Nutri-Score : une étude pour occuper le terrain dans le cadre d'une stratégie d'influence
« Afficher le Nutri-Score des produits alimentaires dans les publicités conduirait » – admirez le conditionnel – « à choisir des aliments plus favorables sur le plan nutritionnel », écrit une équipe de recherche composée majoritairement de... concepteurs du Nutri-Score.
Le récent dérapage incontrôlé du concepteur principal du Nutri-Score – voir « Nutri-Score, enfumage et ad hominem... » nous a incité à faire un tour sur le blog Nutri-Score. Nous n'avons pas été déçu.
La dernière livraison est : « Afficher le Nutri-Score des produits alimentaires dans les publicités conduirait à choisir des aliments plus favorables sur le plan nutritionnel ». Elle se fonde, évidemment sur un article de recherche.
L'article de recherche, c'est « A randomized controlled trial to test the effects of displaying the Nutri-Score in food advertising on consumer perceptions and intentions to purchase and consume » (un essai contrôlé randomisé pour tester les effets de l'affichage du Nutri-Score dans la publicité alimentaire sur les perceptions et les intentions d'achat et de consommation des consommateurs), publié le 15 avril 2024 dans le International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity, un « pay-for-play » à environ 2.500 euros pour publier un article, mais qui semble de qualité (facteur d'impact 8,7).
Les auteurs en sont Didier Courbet, Laure Jacquemier, Serge Hercberg*, Mathilde Touvier*, Barthélémy Sarda*, Emmanuelle Kesse-Guyot*, Pilar Galan*, Nicolas Buttafoghi & Chantal Julia*.
Les astérisques signalent des membres de l'Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle (EREN), conceptrice du Nuti-Score. Il est permis d'affirmer qu'ils sont affligés d'un conflit d'intérêt, certes pas financier, mais « intellectuel » au vu de leur assiduité dans la défense et la promotion de leur produit, qu'ils tentent d'imposer au niveau de l'Union Européenne comme marquage obligatoire sur la face avant des produits emballés.
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(Source)
En voici le résumé :
« Contexte
Certaines recherches montrent que la publicité pour les produits riches en graisses, en sucres ou en sel (HFSS – high-fat, sugar, or salt) contribue à une évolution des préférences des consommateurs vers des produits de mauvaise qualité nutritionnelle, conduisant à des apports nutritionnels malsains qui augmentent le risque d'obésité et de maladies chroniques. Une stratégie consistant à afficher des informations nutritionnelles simples et compréhensibles (comme l'étiquette nutritionnelle Nutri-Score sur la face avant de l'emballage) dans les messages alimentaires pourrait contribuer à orienter le choix des consommateurs vers des produits plus sains.
Méthodes
Une expérience contrôlée randomisée a été menée sur 27.085 participants répartis de manière aléatoire entre deux conditions expérimentales et une condition de contrôle. Dans les deux conditions expérimentales (variable indépendante : messages publicitaires avec ou sans le Nutri-Score), les participants ont été exposés à des publicités pour des produits alimentaires diversifiés de qualité nutritionnelle contrastée et appartenant à neuf catégories alimentaires différentes. Les participants ont ensuite été interrogés sur leur perception, leur évaluation affective et leur intention d'acheter et de consommer les produits. Dans la condition de contrôle, les participants n'ont pas été exposés aux publicités.
Résultats
Globalement, les effets d'interaction entre les deux variables (1) les messages avec ou sans le Nutri-Score et (2) la qualité nutritionnelle des produits, étaient significatifs pour toutes les variables dépendantes, avec des tailles d'effet entre grandes et moyennes. Globalement, plus la qualité nutritionnelle des produits est bonne, plus les perceptions, les évaluations affectives et les intentions d'achat et de consommation sont positives. Lorsque le Nutri-score était affiché dans les messages publicitaires (vs. lorsqu'il ne l'était pas), les perceptions, l'évaluation affective et les intentions comportementales : (1) devenaient plus positives pour les produits de bonne qualité nutritionnelle (nutri-score A et B), (2) devenaient plus négatives pour les produits de mauvaise qualité nutritionnelle (nutri-score D et E), (3) changeaient peu ou pas du tout pour les produits de qualité nutritionnelle intermédiaire (nutri-score C).
Conclusions
Cette recherche est la première dans la littérature à démontrer que l'affichage du Nutri-Score dans les messages publicitaires aide les consommateurs à orienter leurs choix vers des aliments plus sains. Une réglementation imposant l'affichage du Nutri-Score dans les publicités alimentaires pourrait constituer une mesure de santé publique efficace. »
Ce n'est pas précisé dans le résumé : l'étude a été réalisée sur un segment de la cohorte Nutrinet-Santé, un ensemble de volontaires qui se sont inscrits pour contribuer à des études sur la nutrition. Ils ont donc un intérêt pour ces questions. L'article relève brièvement que cette population est particulièrement bien informée sur le Nutri-Score.
On peut penser qu'il y a un biais vers l'hypochondrie et l'orthorexie.
Le tableau 1 sur les caractéristiques démographiques apporte d'autres éléments de biais. Une population essentiellement féminine (74 % – ce qui n'est peut-être pas préoccupant puisque ce sont les femmes qui font essentiellement les courses), âgée (71 % ont plus de 50 ans), de professions supérieures, dirigeantes ou intellectuelles (42 %), de niveau universitaire ou plus (69 %), à revenus élevés (53 % à plus de 2.700 euros/mois).
Les participants ont été confrontés, au total, à 39 produits de 9 groupes d'aliments – soit en moyenne quelque 4 produits par groupe – de notation différente, allant de A à E. Comme il est indiqué dans le résumé, sans publicité – par exemple, selon l'image ci-dessus, de l'enseigne qui proclame « tous unis contre la vie chère » – ou bien avec publicité et, dans ce cas avec ou sans le Nutri-Score. Ils ont ensuite répondu à une série de questions, si nous avons bien compris sur la base des images des produits (sans Nutri-Score), pour un nombre plus limité de produits.
Cette procédure ne soulève pas de questions méthodologiques si on se limite à l'expérience en tant que telle. Mais elle est très éloignée de la réalité, de l'acte d'achat (ou non) d'un client de supermarché face à une gondole de produits. Ce client aura-t-il vu et regardé avec une précision suffisante la publicité – a priori un prospectus annonçant les bonnes affaires – et se souviendra-t-il sz son appréciation ?
En tout état de cause, si on veut imposer une marquage dans la publicité, on l'aura aussi sur le produit dans la gondole.
Le dernier graphique, sur la question de savoir si le répondant donnerait le produit à un enfant entre 7 et 12 ans n'est pas reproduit.
Une difficulté majeure réside dans le fait que les résultats sont fournis sous forme de scores ou de points, sans échelle de référence.
Ainsi, que représente, pour le score général, une différence de quelque 1 point en faveur des produits notés A et présentés dans une publicité avec le Nutri-Score, et de 0,5 point en défaveur des produits notés E ?
Les différences sont dans ce cas statistiquement significatives, mais cela n'est pas étonnant au vu de la taille des populations. Encoe une fois, une différence statistiquement significative n'implique pas nécessairement une différence dans la réalité des faits.
C'est une constante pour de nombreux articles scientifiques : des recherches plus approfondies sont nécessaires. Interprétation : « Nous y en a vouloir encore des sous... »
Ici :
« Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre pourquoi les valeurs du score global étaient légèrement inférieures dans la condition "messages sans Nutri-Score" par rapport à la condition de contrôle. »
En bref, la publicité sans Nutri-Score a un effet négatif sur une cohorte dont nous avons décrit les caractéristiques un peu particulières ci-dessus.
Il y a mieux :
« En termes de nouvelles perspectives de recherche, les effets de l'affichage du Nutri-Score dans les publicités audiovisuelles, comme à la télévision ou sur Internet, et dans d'autres supports de communication commerciale, comme la publicité en magasin et le sponsoring, devraient être testés, tout comme les messages avec des histoires et des personnages attrayants qui génèrent des émotions positives. De même, les effets sur les enfants et les adolescents devraient également être évalués. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les effets sur le comportement d'achat réel ainsi que les effets à long terme, en particulier lorsque les messages publicitaires sont répétés. En ce qui concerne les processus impliqués, il est nécessaire de mieux comprendre le rôle du Nutri-Score dans le traitement des messages publicitaires dans lesquels il est inclus, compte tenu du niveau d'implication et de familiarité avec la marque.
Nous n'insisterons pas ici. Vouloir classer – rationnellement – la qualité nutritionnelle des produits alimentaires, dans toute sa diversité, à l'aide d'une échelle à cinq lettres et cinq couleurs tient de la mission impossible.
Nous l'avons déjà écrit par ailleurs : le Nutri-Score initial – parfait selon ses concepteurs – a été critiqué, non seulement par les « lobbies » honnis, mais aussi par 180 scientifiques experts en nutrition. Il a été modifié, et il est devenu plus que parfait... sans doute en attendant la prochaine révision.
En définitive, cet article s'ajoute aux nombreux autres produits par des membres de l'EREN, éventuellement avec d'autres auteurs, pour vanter les mérites et l'efficacité du Nutri-Score et, surtout, pour pousser les décideurs à Bruxelles à le rendre obligatoire dans l'étiquetage des produits emballés.
(Source)
Sa valeur informative est à notre sens très limitée en tant que produit de recherche – une recherche financée sur des fonds publics qui auraient sans doute pu trouver un meilleur usage. Sur le plan des décisions de santé publique, elle est nulle ou quasi.
C'est admis d'une certaine manière – par un conditionnel qui n'est pas simplement de bienséance – dans la conclusion de l'article :
« […] Le Nutri-Score aide les consommateurs à orienter leurs choix vers des aliments plus sains. Les implications pour les politiques publiques liées à la prévention du surpoids et de l'obésité sont importantes. Outre la réglementation de la publicité pour les produits très défavorables sur le plan nutritionnel afin de protéger la santé des enfants, comme l'interdiction de la publicité de 7 heures à 22 heures pour les produits nutri-score D et E [7], l'affichage obligatoire du Nutri-Score pourrait être une mesure efficace pour les adultes. »
Et la note 7 renvoie à un article comprenant des membres de... devinez...
C'est admis aussi, implicitement, par le paragraphe sur les « nouvelles perspectives de recherche » que nous avons reproduit ci-dessus.
Cela étant dit, si le Nutri-Score devenait obligatoire sur les emballages, sa reproduction séparée sur les publicités serait un complément utile – selon des modalités et des conditions dont la définition occupera des légions de bureaucrates à Bruxelles et dans les capitales, ainsi que les députés européens et les « lobbyistes », sans compter les braves défenseurs auto-proclamés de la santé et de l'intérêt publics.
Mais fallait-il une recherche sur fonds publics sur un panel de – excusez du peu – 27.085 participants pour établir cela ?
Nous vous laisserons juges :
« Les chercheurs des institutions publiques peuvent soumettre une demande de collaboration comprenant des informations sur l'institution et une brève description du projet à collaboration@etude-nutrinet-sante.fr. Toutes les demandes seront examinées par le comité de pilotage de l'étude NutriNet-Santé. Si la collaboration est acceptée, une convention d'accès aux données sera nécessaire et des autorisations appropriées des autorités administratives compétentes pourront être requises. Conformément à la réglementation en vigueur, aucune donnée personnelle ne sera accessible. »
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