Nutri-Score, enfumage et ad hominem...
Un post X de M. Stéphane Besançon donne lieu à une réponse polie et factuelle de M. Stephan Peters, laquelle donne lieu à un déluge de […] de M. Serge Hercberg... Que nous dit le déploiement de tels moyens sur les mérites du Nutri-Score ?
Nous savons par des articles précédents – notamment « Le Nutri-Score et les biais de publication – lire : "science" orientée » que MM. Serge Hercberg et Stephan Peters ne passeront pas une soirée ensemble.
Le premier est notamment professeur de nutrition à la Faculté de Médecine de l'Université Sorbonne Paris Nord (ex Paris 13) et membre de l'EREN (Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle Inserm/Inrae/Cnam/UP13 et, surtout, un des concepteurs majeurs du Nutri-Score. Il le défend et promeut – disons – avec passion (voir, par exemple, « Promotion du Nutri-Score en Suisse : un entretien avec M. Serge Hercberg dans la Tribune de Genève ».
Le second est le directeur responsable de la nutrition, de la santé et du développement durable de l'Association Laitière Néerlandaise, notoirement opposée au Nutri-Score, et est l'un des deux auteurs de « Publication bias and Nutri-Score: A complete literature review of the substantiation of the effectiveness of the front-of-pack logo Nutri-Score » (biais de publication et Nutri-Score : une revue complète de la littérature sur la justification de l'efficacité du logo Nutri-Score sur la face avant des emballages) dans PharmaNutrition.
Cet article est en quelque sorte un double crime : il met en doute l'efficacité du Nutri-Score et affirme qu'une grande partie de la littérature est dominée par les membres de l'EREN, et donc entachée de conflits d'intérêts (autres que financiers).
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Pour compléter le casting, il y a M. Stéphane Besançon, CEO de l'ONG Santé Diabète, professeur associé en santé globale au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) et co-auteur de « A study is 21 times more likely to find unfavourable results about the nutrition label Nutri-Score if the authors declare a conflict of interest or the study is funded by the food industry » (une étude a 21 fois plus de chances de trouver des résultats défavorables à l'étiquetage nutritionnel Nutri-Score si les auteurs déclarent un conflit d'intérêt ou si l'étude est financée par l'industrie alimentaire).
C'est lui qui joue le rôle du démarreur, et M. Serge Hercberg embraye avec six posts sur X (ex-Twitter) dont voici le texte complet :
« Pour minimiser ses conflits d’intérêts purement économiques, le lobbyiste des produits laitiers se permet d’accuser les chercheurs universitaires de conflits d’intérêt lorsqu’ils publient des travaux dont les conclusions vont à l’encontre des intérêts des firmes qui le payent.
C’est une stratégie largement utilisée aujourd’hui par les lobbys qui visent à diluer leurs propres conflits d’intérêt financiers en voulant faire croire que les chercheurs académiques en défendant leurs positions basées sur la science ont des conflits d’intérêt intellectuels.
A la différence de Stephan Peters, lobbyiste de la Dutch Dairy Association, qui défend les intérêts des produits laitiers, les chercheurs universitaires qui publient sur #NutriScore n’ont aucun autre intérêt que celui de faire avancer la santé publique basée sur la science.
Pour mémoire la Dutch Dairy Association représente les intérêts de 13 groupes agro-alimentaires laitiers dont les branches néerlandaises d’Arla, Friesland Campina, Lactalis Leerdammer et Yakult… qui s’opposent à la transparence sur la qualité nutritionnelle de leurs produits.
Il y a une différence majeure entre les scientifiques universitaires sans liens d’intérêts économiques, qui aident à la mise en place de politiques publiques basée sur la science et les lobbys qui essayent de discréditer les travaux qui vont à l’encontre de leurs intérêts.
Il ne faut pas se laisser duper par les lobbyistes tel Stephan Peters qui cherche à brouiller la science en essayant de discréditer les chercheurs en publiant des pseudos travaux scientifiques truffés d’erreurs et de désinformation. Voir le debunking [non reproduit ici]. »
Les six posts sont suivis de six autres, alertant le ban et l'arrière-ban des amis journalistes, ONG, etc. Oh, quelque 120 destinataires... Mais à voir les réations sur le fil de M. Serge Hercberg, ils devaient tous avoir piscine.
La consultation de cette liste est intéressante : elle montre comment fonctionne une « certaine » science – ou plutôt « science ».
Il n'est pas nécessaire d'analyser ce fil en détail. C'est la énième itération de « la pauvre blanche colombe académique entièrement dévouée à l'intérêt public de manière totalement désintéressée est agressée par un noir corbeau lobbyiste et ses congénaires de la méchante industrie (multinatiobale, évidemment) utilisant sans scrupules des procédés déloyaux ».
M. Stephan Peters a répondu avec élégance.
(Source)
Il avait aussi allumé la mèche, il est vrai en réponse à un post de M. Stéphane Besançon qui signalait un article dans The Conversation, « Nutri-score : son efficacité est prouvée, sauf en cas de conflit d’intérêts », du 20 octobre 2023, lui-même fondé sur l'article cité ci-dessus.
Dans les images ajoutées à son post, la première est difficile à évaluer en l'absence de contexte (y a-t-il eu soumission d'un même texte à deux panels de reviewers, l'un affilié à l'équipe du Nutri-Score, l'autre non ?) ; la deuxième résume les conclusions après la « réfutation » par l'équipe du Nutri-Score de l'article de Peters et Verhagen.
Insistons sur la conclusion : les publications sur le Nutri-Score sont sujettes à des biais de publication.
Et les chiffres sont ravageurs : 70 % (49 sur 69) publications favorables au Nutri-Score émanent d'auteurs en lien avec les concepteurs du Nutri-Score ou des concepteurs eux-mêmes..
Ce constat est fait sur la base de la « réfutation ». Il avait déjà été publié par un membre de l'EREN sur X le 29 février 2024.
(Source)
Pour mémoire aussi, les conflits d'intérêts ne sont pas que financiers.
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(Source)
En conclusion, cette nouvelle sortie de route qui est à l'origine de ce billet amène à s'interroger sur la validité et la pertinence du Nutri-Score.
Le Nutri-Score prétend catégoriser la valeur nutritionnelle d'un produit alimentaire – dans toute sa complexité – en cinq lettres associées à cinq couleurs et inciter les consommateurs vers de meilleurs choix alimentaires. On aura compris par l'utilisation de « prétend » – et par des billets précédents – que je n'en suis pas un fan.
Au-delà d'une analyse fondée sur la chose elle-même, l'utilisation aussi outrancière de l'enfumage et de l'ad hominem n'est-elle pas une preuve indirecte, un aveu, de l'inanité de ce « truc » ?
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