Révélations sur la viande rouge : l'épidémiologie nutritionnelle à l'épreuve du gras
Chuck Dinerstein, ACSH*
Image : kalhh de Pixabay
L'épidémiologie nutritionnelle est connue pour produire des résultats sensationnels et contradictoires qui nous déroutent tous.Nous devons nous contenter d'études observationnelle qui peuvent être tordues d'innombrables façons pour obtenir des résultats différents. Un nouvel outil a été mis au point pour remédier à cette situation en testant tous les choix analytiques possibles et en montrant à quel point ces études peuvent être souples et peu fiables.
« L'épidémiologie nutritionnelle a longtemps été critiquée pour ses résultats sensationnels et contradictoires, ce qui a érodé la confiance dans cette discipline. Néanmoins, les études d'épidémiologie nutritionnelle continuent de jouer un rôle crucial dans l'élaboration des recommandations et des politiques alimentaires, d'où la nécessité de tirer des conclusions crédibles de ces études. »
Telles sont les conclusions d'une étude récente portant sur une nouvelle méthodologie permettant de tirer des « conclusions crédibles ». Le Dr Stanley Young, membre du comité des conseillers scientifiques de l'ACSH, a été l'un des premiers à dénoncer l'utilisation du p-hacking [la pêche aux p] et, plus particulièrement, l'impact d'une analyse de la viande rouge. Les études nutritionnelles utilisant des essais contrôlés randomisés plus crédibles sont difficiles à réaliser et manquent souvent de pertinence dans le monde réel. Par conséquent, les études observationnelles sont la monnaie courante. Cependant, comme l'ont souligné le Dr Young et de nombreux autres chercheurs, il existe de nombreuses façons de sélectionner et d'analyser un ensemble de données particulier, « chacun pouvant produire des résultats dont la direction, l'ampleur et la signification statistique varient ».
Étant donné que notre compréhension d'un phénomène aussi complexe que l'impact de la nutrition sur notre biologie est limitée et qu'il n'y a pas de consensus sur la meilleure approche analytique, le choix des modèles analytiques et des données pertinentes est très souple. Les études observationnelles dépendent fortement des choix des chercheurs. Bien que cela ne soit pas nécessairement vrai dans tous les cas, les deux côtés des questions nutritionnelles suggèrent que les croyances et les attentes des chercheurs influencent leur travail. Et même l'analyse de sensibilité visant à séparer le bon grain de l'ivraie est subjective.
L'incohérence des résultats, en particulier dans les études nutritionnelles, érode la confiance. Comment réduire le bruit et amplifier le signal ? Les chercheurs proposent une analyse des courbes de spécification.
C'est un nom impressionnant pour une idée relativement simple. Dans l'analyse de la courbe de spécification (SCA – specification curve analysis), on commence par identifier les choix plausibles pour l'analyse. Cela inclut les modèles statistiques analytiques, les critères de sélection des participants, les variables et la manière dont elles sont décrites. Vous éliminez les combinaisons improbables et il vous reste, comme l'a souligné le Dr Young, un grand nombre de « spécifications analytiques »[1]. Vous testez ensuite l'ensemble des données par rapport à toutes les possibilités combinatoires, en générant une courbe de spécification qui visualise la distribution des résultats pour chaque possibilité combinatoire, ainsi que l'ampleur et la direction de leur impact.
Pour démontrer la technique SCA, les chercheurs se sont penchés sur une controverse nutritionnelle non résolue,
« L'effet de la viande rouge non transformée sur la mortalité toutes causes confondues – une question qui a donné lieu à des résultats incohérents dans la littérature et à des recommandations alimentaires contradictoires. »
S'appuyant sur une méta-analyse précédemment réalisée de « 15 publications faisant état de 24 études de cohortes », ils ont identifié de nombreux facteurs, notamment :
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Types de modèles nutritionnels ajustés en fonction de l'énergie totale ou tenant compte de la densité nutritionnelle ;
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Caractérisation de la consommation de viande rouge en tant que variable continue, par exemple 30 grammes, ou en tant que variable catégorisée, par exemple 30-60 grammes ;
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Sous-groupes d'intérêt classés par sexe ou par âge ;
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Covariables principales (incluses dans tous les modèles) : âge, sexe, tabagisme, apport énergétique total, année, statut ménopausique, traitement hormonal, parité, et contraceptifs oraux. Les covariables secondaires (ajustées dans certains modèles) comprennent la race/l'ethnie, l'éducation, l'état civil, la consommation d'alcool, l'activité physique, l'IMC, le statut socio-économique, les comorbidités et les variables alimentaires.
Si l'on considère toutes ces variations, on obtient 10 billions [mille milliards] de combinaisons uniques, un chiffre difficile à calculer même avec la puissance informatique actuelle. Les chercheurs ont limité leur analyse aux covariables comprenant toutes les variables principales et un ensemble aléatoire de covariables secondaires, soit 1.440 spécifications uniques et plausibles. Les modèles ont utilisé les données de notre vieil ami, le National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) de 2007 à 2014, liées aux données de mortalité du National Death Index et aux informations nutritionnelles de la Food Patterns Equivalents Database (base de données des équivalents des habitudes alimentaires). Après exclusion des données manquantes, il y a eu 10.661 « participants ». Le NHANES utilise des rappels alimentaires à un moment donné, de sorte que les conclusions sur les composants alimentaires basées sur ces données sont au mieux floues. Cette étude est une preuve de concept pour une SCA, et non une analyse définitive du rôle de la viande rouge dans notre santé.
La SCA a constaté que parmi les 1.440 façons variables d'analyser les données
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36 % présentaient un rapport de risque (RR – Hazard Ratio) supérieur à 1, ce qui signifie que la viande rouge augmente la mortalité toutes causes confondues ; 64 % présentaient un RR inférieur à 1, ce qui signifie que la viande rouge n'augmente pas la mortalité toutes causes confondues.
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Seules 48 de ces 1.440 variations étaient statistiquement significatives, « 40 avaient indiqué que la viande rouge réduisait la mortalité toutes causes confondues et huit indiquaient que la viande rouge augmentait la mortalité toutes causes confondues ».
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45 % des variations ont donné un RR compris entre 0,9 et 1,1, ce qui signifie que la viande rouge a eu peu d'impact, bon ou mauvais, sur la mortalité toutes causes confondues.
Si, comme le soulignent les chercheurs, il ne s'agit pas du dernier mot sur la viande rouge et notre santé, ces résultats démontrent clairement que « les conclusions des études épidémiologiques nutritionnelles peuvent dépendre des méthodes d'analyse ».
La présence d'une flexibilité analytique, que nous l'attribuions ou non à des conflits d'intérêts mal intentionnés, rend les études épidémiologiques nutritionnelles moins sûres. La SCA est un autre outil permettant de clarifier notre incertitude, mais d'une manière fractale, elle peut également être subjective. Les chercheurs ont déterminé les méthodologies et les variables qu'ils considéraient comme justifiables. Ils ont également sélectionné un ensemble de données spécifique parmi d'autres, et les données disponibles au sein de l'ensemble de données ont encore limité les variations possibles.
L'analyse des courbes de spécification offre un moyen prometteur de faire la part des choses. En testant rigoureusement tous les choix analytiques plausibles, l'analyse des courbes de spécification met en évidence à quel point les résultats peuvent dépendre des méthodes choisies. Bien que cette approche n'élimine pas la subjectivité ou le risque de biais, elle offre une vision plus transparente et plus complète des données. L'étude sur la viande rouge et la mortalité toutes causes confondues en est un excellent exemple, qui montre que nos conclusions peuvent varier de manière significative en fonction de la voie analytique empruntée [1].
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[1] Comme le soulignent les chercheurs à titre d'exemple, « trois choix uniques pour cinq aspects de l'analyse donnent 243 spécifications analytiques uniques ».
Source : Grilling the data: application of specification curve analysis to red meat and all-cause mortality (passer les données à la moulinette : application de l'analyse des courbes de spécification à la viande rouge et à la mortalité toutes causes confondues), Journal of Clinical Epidemiology DOI : 10.1016/j.jclinepi.2024.111278
Le Dr Charles Dinerstein, M.D., MBA, FACS est directeur de la médecineà l'American Council on Science and Health (conseil américain pour la science et la santé). Il a plus de 25 ans d'expérience en tant que chirurgien vasculaire.
Source : Red Meat Revelations: Cutting Through the Fat of Nutritional Epidemiology | ACSH