Nouvelles techniques génomiques : l'EFSA envoie l'ANSES dans les cordes
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Après s'être bien fait tirer l'oreille – ou plutôt les oreilles – la Commission Européenne a publié le 5 juillet 2023 une « Proposition de règlement du parlement Européen et du Conseil concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 201 ».
En bref, les produits de certaines techniques – dites « NGT-1 » – devaient faire l'objet d'une procédure d'agrément simplifiée, les produits des « NGT-2 » restant soumis à la réglementation sur les OGM et, partant, tricards sur le territoire européen pour ce qui est de la culture.
Les NGT de catégorie 1 correspondent à la mutagenèse ciblée – la substitution ou l'insertion de nucléotides (arbitrairement limités à 20) dans une chaîne d'ADN, et la délétion de tout nombre de nucléotides – et la cisgenèse – l'insertion d'un gène provenant de la même espèce ou du même pool génétique, avec éventuellement remplacement du gène natif correspondant. Conceptuellement, les produits des NGT-1 ne se distinguent pas de ce qui peut être obtenu par des méthodes « conventionnelles » de sélection (ils sont « équivalents »).
La proposition est un monument de l'impéritie législative bruxelloise. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué... Mais, faute de mieux, on pouvait saluer une avancée.
La proposition a fait l'objet d'une procédure accélérée. Le Parlement Européen a adopté des modifications qui, à notre sens, sonnent le glas des NGT si elles étaient finalement adoptées (notamment l'obligation d'étiqueter les produits destinés aux consommateurs). Le Conseil n'a pas réussi à s'accorder, et on peut penser que la présidence hongroise (deuxième semestre 2024) cherchera à torpiller le projet.
Notre Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l'Alimentation, de l'Environnement et du Travail (ANSES) est intervenue dans le processus.
Elle s'est autosaisie et a produit le 21 décembre 2023 une « analyse des critères d’inclusion dans la catégorie 1 proposés par la Commission européenne ». Le 6 mars 2024, c'était au tour de « Nouvelles techniques génomiques : l’Anses appelle à une réglementation adaptée ».
Il n'est pas interdit de penser qu'il y a eu des arrière-pensées (voir, pour le positionnement de l'un de ses agents influents, « Alternatives économiques et « nouveaux OGM » : ne pas en avoir ou... n'en avoir pas... et quo vadis ANSES ? ». Toujours est-il que les opposants à une évolution de la réglementation s'en sont emparés, et il a été décidé au Parlement Européen de soumettre les avis de l'ANSES à une expertise de l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA).
Notez le choix de l'illustration (reprise du Monde)... (Source)
L'EFSA a publié le 11 juillet 2024 son « Avis scientifique sur l'analyse de l'ANSES de l'annexe I de la proposition de la CE COM (2023) 411 (EFSA-Q-2024-00178) ».
Voici – découpé car nous avons en sainte horreur les paragraphes extra-longs – le résumé de l'avis :
« Le Parlement Européen a demandé à l'EFSA de fournir un avis scientifique sur l'analyse par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire de l'Alimentation, de l'Environnement et du Travail (ANSES) de l'annexe I de la proposition de règlement de la Commission Européenne "concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (EU) 2017/625".
Le groupe scientifique sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) [GMO Panel] a évalué l'avis publié par l'ANSES, qui porte sur (i) la nécessité de clarifier les définitions et le champ d'application, (ii) le fondement scientifique des critères d'équivalence et (iii) la nécessité de prendre en compte les risques potentiels liés aux plantes obtenues par des nouvelles techniques génomiques de catégorie 1.
Le groupe scientifique sur les OGM de l'EFSA a examiné l'analyse et les commentaires de l'ANSES sur les différents termes utilisés dans les critères de l'annexe I de la proposition de la Commission Européenne et a discuté des définitions sur la base des avis précédents du groupe scientifique sur les OGM de l'EFSA.
Le groupe scientifique sur les OGM de l'EFSA a conclu que la littérature scientifique disponible montre que les plantes contenant les types et le nombre de modifications génétiques utilisés comme critères d'identification des plantes NGT de catégorie 1 dans la proposition de la Commission Européenne existent en tant que résultats de mutations spontanées ou de mutagénèse aléatoire.
Par conséquent, il est scientifiquement justifié de considérer les plantes NGT de catégorie 1 comme équivalentes aux plantes sélectionnées de manière conventionnelle en ce qui concerne la similitude des modifications génétiques et la similitude des risques potentiels.
Dans ses avis précédents, le groupe scientifique sur les OGM de l'EFSA n'a pas identifié de dangers ou de risques supplémentaires liés à l'utilisation des NGT par rapport aux techniques de sélection conventionnelles. »
(Source)
La publication de cet avis n'a pas retenu l'attention des médias français en dehors des cercles spécialisés de l'agriculture et de l'environnement.
L'eurodéputé Christophe Clergeau, dont les positions défendues au Parlement épousent celles des activistes anti-OGM, anti-pesticides, etc. – pour ne pas dire qu'il est leur porte-parole – est évidemment fort mécontent. Il écrit notamment :
« Le rapport de l’EFSA paru aujourd’hui est clairement insuffisant sur le fond comme sur la forme ! Trois pages pour répondre à l’ensemble des questions soulevées par l’ANSES sur la distinction entre les nouveaux OGMs qui seraient complètement dérégulés et ceux qui ne le seront pas, c’est insuffisant. Surtout, l’EFSA persiste dans la logique de la Commission européenne en nous expliquant que puisque les nouvelles techniques génétiques peuvent engendrer des modifications susceptibles d’advenir naturellement, alors les plantes qui en sont issues doivent toutes être considérées comme naturelles. On est proche du sophisme ! »
Notons que « complètement dérégulés » est une outrance qu'on ne peut considérer que volontaire. Mais quand on fait de la politique...
Il souhaite « une conférence scientifique de haut niveau, public et contradictoire ». Il l'aura sans aucun doute, peut-être organisée par la présidence hongroise. Et la mouvance anti-OGM ne se bouchera pas le nez... Si Paris valait bien une messe pour le futur Henri IV, le dézingage de la proposition de règlement sur les NGT vaut bien une alliance avec un régime en et par principe infréquentable.
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