L'INRAE ne sera pas dirigée par un « Écolosoviet »
(Source)
Un groupe de 27 membres du personnel de l'INRAE a déposé une candidature collective au poste de PDG de l'Institut. Soutenue notamment par le mouvement Scientifiques en Rébellion et l'association Sciences Citoyenne. Pour, en bref, renverser la table.
Reporterre – « le média de l'écologie » – nous a livré le 17 juillet 2024 une information somme toute étonnante avec « À l’Inrae, des chercheurs refusent de se mettre "au service du modèle agricole d’avant" ».
On ne félicitera pas l'auteur de ce titre, les chercheurs en question ayant, précisément et tout bien considéré, des velléités de se mettre au service de ce modèle !
Il y a un mandat qui arrive à échéance en octobre prochain : celui de M. Philippe Mauguin, P-DG de l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnent (INRAE – notez que le « A » est partagé entre deux thèmes, contrairement au « E »).
Un collectif de 27 personnes a fait une démarche originale :
« Nous adressons aujourd’hui notre candidature collective à la présidence de l’INRAE pour porter une programmation de recherche au service d’une agriculture rémunératrice, d’une alimentation saine pour toutes et tous dans le respect des écosystèmes et des territoires. »
Cette candidature collective a été soutenue par le mouvement Scientifiques en Rébellion et l'association Sciences Citoyenne, 66 personnes et, semble-t-il,
« Personnels de l’INRAE, du CIRAD, du CNRS, de l’INSERM, de l’IRD, de l’Université Côte d’Azur, l’Université Montpellier, de l’INED, du GRAB, de l’Ecole polytechnique, de l’Institut d’optique, de l’Université de Bordeaux, de l’Université Lyon 1, de l’Université Paris Saclay, de l’Université de Bourgogne, de l’Université Paris 1, de l’Université de Grenoble, de l’Université Clermont-Auvergne, de l’Université de Rennes. »
Cela relève à notre sens de la stratégie de bordélisation poursuivie par certains milieux politiques qu'il est inutile de préciser.
Bien entendu, la « candidature » a été refusée.
Reporterre a donc donné la parole à l'un des membres de l'Écolosoviet, M. Simon Fellous, et publié la lettre de candidature. Le média a complété son article par une mise à jour du 18 juillet 2024 reproduisant des extraits de la réponse de l'INRAE (ou « d'INRAE » pour reprendre la coquetterie sémantique de ses dirigeants) sur trois points.
Comme souvent, voire d'habitude, le constat de la maladaptation alléguée est détaillé.
« Nous constatons l’incompatibilité de la politique du "en même temps" portée par notre institut. […]
En bref, c'est beaucoup de travaux censés appuyer une agriculture, une politique agricole et, tout compte fait, une société honnies, d'une part, et, d'autre part, des travaux alibis :
« Il [le "en même temps"] est également une imposture politique : tant que l’essentiel des surfaces et des subventions, ainsi que la gouvernance du modèle agricole serviront le développement d’une agriculture intensive en intrants chimiques qui profite beaucoup à quelquesuns mais très peu au plus grand nombre, les alternatives vertueuses resteront minoritaires et ne seront qu’un alibi pour flatter la bonne conscience des plus aisé.es qui peuvent accéder à ces produits. [...]
Il n'est pas sûr que cela corresponde à la perception des contributions de l'INRA à leur métier qu'ont les agriculteurs – ceux qui sont implicitement vilipendés par la description apocalyptique du « modèle agro-industriel » qui se trouverait dans une impasse (c'est assorti d'un catalogue des méfaits), du « système agro-industriel » ou du « productivisme agricole mécanisé, basé sur l’amélioration génétique des animaux d’élevage et des cultures végétales, et sur l’utilisation massive d’engrais et de pesticides, et enfin dans certaines régions sur une irrigation surconsommatrice d’eau [...] » Le machinisme, précédemment du ressort du CEMAGREF puis de l'IRSTEA n'est pas en reste.
Le programme de recherche doit donc « retrouver du sens ». À notre sens, cela suppose un sérieux élagage dans les programmes... et les personnels (sauf à considérer que l'emploi à vie autorise le glandouillage). Et là, c'est un véritable projet socio-politique...
« L’INRAE étant un institut de recherche public, nous souhaitons que les questions de fond soient posées en son sein indépendamment des structures privées: quelle nourriture produire? par qui? pour qui? selon quelles pratiques? selon quelles règles de marché? Il est essentiel que le projet politique de production agricole au service duquel les travaux de recherche d’INRAE sont menés soit explicité en toute transparence. De plus, nous souhaitons que le projet de l’institut, actuellement imposé de manière verticale par les décideur.ses politiques, soit construit dans le cadre d’une relation science-société féconde et ouverte, à différentes échelles de territoire pour définir une souveraineté alimentaire basée sur un choix partagé des productions agricoles, de leur rémunération et de leur distribution. »
On comprend à ce point pourquoi cette démarche est soutenue par Sciences Citoyennes... Cependant, la « relation science-société » risque(rait) fort d'être très sélective, d'être un exercice d'entre-soi.
Mais plus loin se déploie un autre concept :
« Une institution de recherche forte et indépendante repose sur le respect de la liberté académique de ses agents et de leur capacité à orienter eux·elles-mêmes leurs recherches.[...] »
L'envolée lyrique arrive en milieu de texte :
« Parce que ces enjeux qui structurent nos modèles de production agricole déterminent nos conditions de vie de demain, notre contribution au bouleversement climatique, la qualité de nos écosystèmes, l’autonomie et la résilience alimentaire de nos territoires face aux crises à venir et à l’épuisement des ressources, l’INRAE porte une responsabilité envers l’ensemble de la société. »
Et donc :
« Notre candidature affirme donc qu’il est du devoir de notre institut, comme des autres EPSTs également au service de l’intérêt général, de se positionner comme un contre-pouvoir aux intérêts privés et aux outils de "fabrique du doute" qu’ils déploient. [...] »
Il y a eu dans un passé historique la « science bourgeoise » et la « science prolétarienne ». Voilà que pointe une autre forme de dérive, une « science anticapitaliste »...
La révolution en quelque sorte lyssenkiste ne se fera pas à l'INRAE.
Mais l'institution est déjà gangrenée par une « politisation de la recherche », une recherche qui, selon un intertitre de Reporterre citant M. Simon Fellous, doit même être « repolitisée ».
La candidature collective et sa médiatisation apparaissent en dernière analyse comme un stratagème à cette fin : ce qui est attendu des candidats au poste de PDG, ce sont des gages en faveur d'une politique qui va à contre-courant des intérêts bien compris de notre République.
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