Si vous aimez le jus d’orange, vous allez probablement devoir chercher des alternatives (ou payer plus cher)
André Heitz*
Atlantico m'a demandé de répondre à trois questions suscitées par le brouhaha médiatique actuel sur une crise du jus d'orange. J'ai essayé de creuser un peu plus profond et de voir un peu plus loin.
Une crise majeure touche la production de jus d'orange liée aux aléas météorologiques et à une maladie bactérienne.
1- Une crise semble toucher actuellement la production de jus d’orange. Comment expliquer ce phénomène ? Est-ce lié au mauvais temps ou à des maladies qui touchent les oranges ?
Il y a effectivement une crise liée aux aléas météorologiques (que l'on appelle de plus en plus « climatiques ») et à une maladie bactérienne, le Citrus greening ou huánglóngbìng (abrégé en HLB). La bactérie est essentiellement propagée par des insectes piqueurs, des psylles. Le HLB induit une chute prématuré des fruits, un non-mûrissement des fruits et une mort prématurée de l'arbre.
Notez que d'autres arbres et la vigne peuvent être affectés par des bactérioses avec des effets similaires. Citons Xylella fastidiosa, qui a fait des ravages sur les oliviers de l'Italie du sud ; ou encore Candidatus Phytoplasma vitis, agent causal de la flavescence dorée qui détruit les ceps de vigne et qui a fait l'objet d'un tapage médiatique en 2013 quand un vigneron bourguignon en biodynamie a refusé d'appliquer un traitement obligatoire pour lutter contre les cicadelles, vectrices de la maladie... refusé sous les vivas d'une galaxie anti-pesticides irresponsables, et a posteriori avec une quasi-bénédiction d'une justice bien clémente.
Les deux plus grands producteurs de jus d'orange sont le Brésil (État de São Paulo principalement) et les États-Unis d'Amérique (Floride), l'un pour l'exportation et l'autre pour la consommation nationale. Ils ont été rejoints par le Mexique, qui alimente essentiellement le marché états-unien. Ces trois pays sont affectés par le HLB.
(Source)
Le psylle asiatique propagateur du HLB a été introduit en Floride en 1998 et, n'ayant pas fait l'objet de mesures de lutte en l'absence de dégâts importants, s'est bien installé. Le HLB est arrivé en 2005 et s'est rapidement répandu dans toute la Floride en faisant des ravages dans les vergers et en augmentant les coûts de production du fait des traitements insecticides.
La Floride est aussi affectée par des gels et des ouragans. Le bilan est représenté par le graphique ci-dessous. Il y a eu, en particulier, deux ouragans à l'automne 2022 (Ian et Nicole). Le coût des dégâts du premier sur la production d'agrumes a été chiffré par l'Université de Floride à 247 millions de dollars, avec 150.000 hectares affectés.
(Source)
Au Brésil, le HLB toucherait 40 % des vergers. Selon un article du Financial Times, la production de la campagne passée a souffert de températures élevées et de précipitations faibles, avec une réduction de la production d'un quart à la clé. Selon d'autres, comme JapanToday ou The Grocer, c'est un excès de pluie.
La production mexicaine, majoritairement exportée vers les États-Unis d'Amérique, a aussi subi une baisse de 30 % en 2023 en raison de la sécheresse.
Par ailleurs, les stocks de jus d'orange congelé sont au plus bas.
2- La pénurie d'oranges a-t-elle accru les hausses des prix pour les consommateurs pour les fruits ou les jus ? Ces difficultés remodèlent-elles l'industrie mondiale du jus d'orange ?
La loi de l'offre et de la demande est impitoyable. Ajoutez lui la nervosité des marchés et la spéculation...
Les cours du jus d'orange ont déjà pris l'ascenseur, en gros, depuis 2020.
(Source)
Mais on assiste ces derniers jours à une bouffée de chaleur, avec une cotation flirtant avec les 5 dollars la livre de jus d'orange concentré congelé sur l'International Exchange à New York (voir aussi ici).
(Source)
Nous avons déjà eu une situation tendue en France au printemps de 2023, laquelle a produit une palanquée d'articles dans les médias. Citons Capital et son « Pourquoi le prix du jus d'orange est en train d'exploser » parce qu'il citait deux avis divergents.
Pour M. Éric Imbert, écoonomiste au CIRAD, « En résumé, le marché du jus d’orange est très spéculatif. Il est très lié à la production, aux stocks et à la demande ». Compte tenu des divers facteurs, il estimait que la hausse des prix n'était pas simplement temporaire.
Mais pour M. Quentin Mathieu, de La Coopération Agricole, « la hausse des prix [était] purement conjoncturelle et temporelle ».
Les choses ne sont pas simples... Si l'offre piétine, entraînant une hausse des prix – sachant toutefois que la matière première n'est qu'un élément du prix de vente à la consommation –, la demande peut baisser, le consommateur s'abstenant d'acheter ou se tournant vers d'autres produits comme le jus de pomme. À cet égard, le Figaro publiait en août 2023 un instructif « Pourquoi le jus d’orange coûte de plus en plus cher ». Le mot de la fin ? « Orange, pomme: qui gagnera la bataille en rayon ? »
Revenons à M. Éric Imbert : « ...entre la baisse de la demande ou celle de la production, qui va l’emporter ? »
C'est à ce stade qu'il faut aussi intégrer l'évolution du secteur d'activité. Elle sera nécessairement lente, s'agissant de la production, et ira dans deux sens différents : des vergers actuellement indemnes pourraient être infectés par le HLB, ou de nouveaux vergers pourraient être mis en place dans des pays et régions indemnes. Cela s'applique aussi aux oranges de table.
3- Quels fruits alternatifs pourraient se substituer à l’orange dans ce contexte ? Les mandarines vont-elles remplacer les oranges dans les jus ? Sont-elles plus « résistantes » que les oranges ?
Selon des articles récents, comme ceux du Financial Times, de JapanToday ou de The Grocer, les producteurs de jus pourraient se tourner vers d'autres fruits comme la mandarine en substitut ou en complément de l'orange.
Au Royaume-Uni, le fournisseur Coldpress a lancé un jus de mandarine en février 2024.
Une telle démarche ne peut qu'être conjoncturelle si le produit ne s'impose pas par ses qualités chez le consommateur. Et le produit est bien sûr aussi tributaire de la disponibilité de la matière première et de l'offre et de la demande sur le marché.
Les mandariniers et clémentiniers sont aussi sensibles au HLB. Une stratégie de substitution ne réduit donc pas les aléas phytosanitaires. Sur le plus long terme, au-delà de la lutte contre la bactérie par l'arrachage des arbres malades et contre les psylles, et au-delà de l'implantation de nouveaux vergers dans des zones indemnes, la solution viendra sans doute – ou peut-être – de la génétique et de la biotechnologie.
Une espèce comme le citron caviar (Microcitrus australasica ou Citrus australisica) est résistante au HLB et pourrait fournir des gènes pour des travaux d'amélioration des plantes conventionnels (si des croisements sont possibles) ou relevant du génie génétique. Pour la biotechnologie, on peut penser, par exemple, à des ARN interférents ciblant la bactérie ou le vecteur.
On y travaille... Mais il faut être conscient du temps long de la recherche agronomique – un message qui s'adresse plus paticulièrement à nos gouvernants qui pensent qu'avec un claquement de doigts... Si une solution génétique est trouvée, il faut la tester, créer une gamme diversifiée de variétés adaptées aux différents conditions de production environnementales et autres, multiplier les plantes, implanter des vergers... et attendre que les arbres entrent en production.
En attendant, il faudra sans doute payer plus cher (mais le jus d'orange n'est pas hors de prix)... ou se tourner vers d'autres produits.
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* André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.
Une version de cet article a été publiée par Atlantico.