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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Les agriculteurs se battent seuls dans cette affaire

30 Mars 2024 Publié dans #Manifestations, #Union Européenne

Les agriculteurs se battent seuls dans cette affaire

 

David Zaruk (Risk-monger)*

 

 

 

Ma note : Alors que les agriculteurs manifestaient place du Luxembourg, devant le Parlement Européen, le Forum pour l'Avenir de l'Agriculture discutait doctement le 26 mars 2024 du « rétablissement de la possibilité de transformer le système alimentaire ». Ce thème avait sans doute été choisi avant les manifestations. Entre « gens importants »... On avait tout de même donné la parole à un agriculteur.

Je me suis promené aujourd'hui autour du Parlement Européen pour soutenir les agriculteurs qui protestaient le jour de la réunion de l'UE sur l'agriculture et la pêche à Bruxelles. Leurs actions étaient impressionnantes et bien gérées (et j'ai été touché par le fait que de nombreux agriculteurs m'ont souri). De là, j'ai marché jusqu'à la place du centre de Bruxelles où la conférence du Forum pour l'Avenir de l'Agriculture (Forum for the Future of Agriculture FFA) traitait de l'avenir de la chaîne alimentaire.

 

Le contraste de ton m'a vraiment frappé. Les agriculteurs protestent pour trouver un moyen de survivre à la fois sur le plan économique et sur le plan de la production... mais ils sont seuls. Aucun autre acteur de la chaîne alimentaire ne les rejoint. Les distributeurs, les fabricants de produits alimentaires, les marques... ne sont pas à leurs côtés. Au contraire, ces groupes sont responsables de l'augmentation des pressions exercées sur les agriculteurs (pressions sur les prix, restrictions technologiques et entraves réglementaires environnementales). Les agriculteurs résistent à la langue de bois, mais ils sont seuls.

 

Je suis au regret de dire que, malgré leurs campagnes de relations publiques intelligentes, des groupes comme Nestlé, McCain's, McDonald's et Carrefour représentent une menace plus grande pour les moyens de subsistance des agriculteurs que les ONG radicales qui sont financées par le lobby de l'alimentation biologique et font campagne pour interdire les outils agrotechniques conventionnels tels que les pesticides de synthèse, les engrais et les technologies avancées d'amélioration des plantes. Les mesures imposées par les distributeurs et les marques en matière d'alimentation durable peuvent faire gagner des points ESG [Environnement, Social, Gouvernance] à leurs actionnaires, mais elles empêchent les agriculteurs de gagner leur vie. Il n'y a pas de consultation et peu de communication avec les agriculteurs tout au long de la chaîne alimentaire. Si les agriculteurs ne peuvent pas s'adapter aux exigences de durabilité des grandes marques alimentaires (à ce qu'elles prétendent que le « marché veut »), c'est leur problème.

 

Cet épandeur de lisier était en réserve pour le cas où le gendarme belge aurait causé des problèmes aux agriculteurs. Franchement, ils auraient dû l'envoyer sur le FFA.

 

À deux kilomètres et un monde d'écart, les universitaires, les décideurs politiques et les représentants de la chaîne alimentaire présents à la conférence du FFA parlaient de l'avenir de l'agriculture en faisant peu de cas des défis auxquels les agriculteurs sont confrontés aujourd'hui. Le concept de transition du système alimentaire était une stratégie environnementale par laquelle les activistes, menés par des idéalistes verts, imposent des pratiques et des règles qui désavantagent ceux qui produisent notre nourriture.

 

Un seul agriculteur a été autorisé à prendre la parole lors de la conférence du FFA, et bien qu'il ait été passionné et qu'il ait eu un impact, après que les consultants et les lobbyistes eurent poliment applaudi, ils ont commencé à exposer leurs propres stratégies sur la manière dont ils allaient résoudre ce qu'ils considéraient comme les problèmes de l'agriculture.

 

 

Les agriculteurs ? Qui a besoin d'agriculteurs ?

 

Dès la deuxième session du FFA, il est apparu clairement que les agriculteurs étaient considérés comme un obstacle aux objectifs de l'agriculture durable – un problème obsolète à résoudre. Si les agriculteurs disparaissaient, il serait tellement plus facile pour les consultants et gestionnaires du reste de la chaîne alimentaire de mettre en œuvre leurs stratégies.

 

M. Jörg-Andreas Krüger, président du groupe allemand de protection de l'environnement NABU, a déclaré avec audace que les protestations des agriculteurs avaient fait reculer de plusieurs années leurs réalisations dans le domaine de l'environnement. Cela doit être très frustrant pour lui. Il a également semblé penser que les agriculteurs n'avaient appris que récemment à prendre soin des sols, alors qu'ils sont les gardiens de la terre depuis qu'ils ont commencé à défricher une parcelle pour la cultiver.

 

Des gens de la tech comme Mme Nanna-Louise Linde, vice-présidente des affaires gouvernementales européennes chez Microsoft, pensent que l'IA jouera un rôle prépondérant dans l'avenir de l'agriculture et que celle-ci sera entièrement automatisée. La question de l'accès à cette technologie est importante. Selon Mme Linde, des outils existent déjà. Les agriculteurs peuvent désormais utiliser des applications simples pour consulter des experts « sans avoir besoin de savoir lire ou écrire ». Ce commentaire arrogant n'est pas passé inaperçu auprès de plusieurs agriculteurs renfrognés présents dans la salle.

 

Mais une question intéressante se pose à ceux qui cherchent à développer des applications d'IA : peut-on avoir une agriculture sans agriculteurs ? À mesure que les données s'affinent, les décisions relatives au choix des semences, à la gestion des mauvaises herbes et des sols ainsi qu'aux travaux des champs peuvent être entièrement automatisées. Les développeurs de technologies considèrent que cela sera une réalité dans un avenir proche et voient d'un bon œil la façon dont cela améliorera l'agriculture en remplaçant les agriculteurs (et en éliminant une fois pour toutes ces méchants tracteurs de nos villes). C'est déjà le cas avec l'agriculture verticale et d'ici dix ans, ils pensent que toute l'agriculture se fera à partir d'un ordinateur portable.

 

La plupart des intervenants du FFA se font livrer leur nourriture, préparée et emballée dans une boîte, de sorte que l'automatisation de l'étape de l'agriculture proprement dite n'est qu'une avancée technologique de plus pour le mieux.

 

 

Trop de règles et pas assez de confiance...

 

Il m'est apparu clairement, dès le début, que les maîtres de PowerPoint et leurs groupes de consultants ont décidé d'entrer dans la chaîne agricole et alimentaire pour la réparer selon leurs idéaux et les objectifs de leurs campagnes. Les agriculteurs ne sont que les utilisateurs finaux qui devront s'adapter aux demandes « nécessaires et inévitables » de changement systémique.

 

Après le déjeuner, un panel de membres fondateurs du FFA a fait le point sur l'appel à l'action lancé l'année dernière en faveur d'une transition alimentaire durable. Chacun a expliqué comment il allait aider les agriculteurs dans cette transition (cette transition n'était pas encore clairement définie, mais elle avait quelque chose à voir avec l'amélioration de la biodiversité). Il est clair que les agriculteurs doivent changer et devenir plus durables. On ne leur fait pas confiance pour gérer cela eux-mêmes.

 

Finalement, un agriculteur belge, M. Bram Van Hecke, s'est vu confier le micro. Mais il n'était pas préoccupé par toutes les belles promesses de la chaîne de valeur alimentaire. Il a sûrement déjà entendu tout cela. Il voulait entendre les régulateurs ; il voulait savoir pourquoi Farm2Fork ne prenait pas du tout en compte les intérêts des agriculteurs. M. Van Hecke souhaitait que le groupe FFA qui a élaboré un appel à l'action sur les transitions des systèmes alimentaires transmette ses conseils aux gouvernements. En réalité, il est tout simplement débordé par la bureaucratie. « Je ne connais aucun agriculteur qui ne veuille pas protéger la biodiversité [...] Nous sommes dans une situation où il y a trop de règles et pas assez de confiance. » Bram a mérité à juste titre ses longs applaudissements.

 

 

Au diable les agriculteurs !

 

Lors de la dernière session de la conférence, M. Chris Hogg, responsable mondial des affaires publiques chez Nestlé, a expliqué que l'entreprise encourageait l'agriculture régénératrice, mais que cela « ne ferait pas de différence si nous ne pouvions pas l'étendre ». D'accord Chris, mais est-ce que vous discutez vraiment avec les agriculteurs pour savoir si c'est possible ou est-ce que vous parlez seulement avec les investisseurs ESG ? À la suite d'une intervention d'un Risk-monger plutôt énervé et irritable, Chris a reconnu qu'il n'avait eu de contacts qu'avec des agronomes et des chercheurs.

 

Cela m'a rappelé un problème que j'avais appris des producteurs de pommes de terre au Canada qui se voyaient imposer leurs obligations ESG par les marques alimentaires, sans aucune consultation sur la question de savoir s'il était possible ou rentable pour les agriculteurs de cultiver des pommes de terre sans labour (« régénératives ») à grande échelle. Un chercheur du Nouveau-Brunswick a déclaré que c'était possible et cela a suffi aux marques alimentaires.

 

Aujourd'hui, je suis arrivé à la conclusion que la chaîne de valeur alimentaire n'est pas digne de confiance. Les agriculteurs sont seuls dans leur lutte pour l'équité, et les marques et les distributeurs ne sont en aucun cas prêts à renoncer à leurs marges ou à leurs exigences en matière de durabilité pour que ceux qui travaillent la terre puissent en avoir un peu plus. Pire encore, les marques de produits alimentaires compliquent la tâche des agriculteurs qui souhaitent obtenir des rendements satisfaisants et durables. Lors d'une récente discussion sur Twitter (X) sur la façon dont les pommes de terre génétiquement modifiées permettaient aux agriculteurs ougandais de produire le même produit et le même rendement sans avoir à utiliser de fongicides, j'ai appris que cette technologie était disponible pour les agriculteurs canadiens depuis longtemps, mais que des entreprises comme McDonald's, craignant une réaction négative des consommateurs, refusaient de s'approvisionner auprès d'eux, empêchant de fait les agriculteurs de cultiver des produits plus durables.

 

Ainsi, lorsque les marques alimentaires et les distributeurs nous disent qu'ils fournissent ce que les consommateurs veulent (des aliments naturels, abordables et durables), ce qu'ils veulent dire, c'est qu'ils ne sont pas prêts à défendre les agriculteurs ou à leur donner une part équitable.

 

Au diable les agriculteurs !

 

 

Émissions de pommes c. émissions d'oranges

 

Tout au long de la conférence du FFA, une bataille de vocabulaire s'est engagée entre deux mots très galvaudés : climat et agriculteur. La plupart des discussions sur l'agriculture au FFA ont porté sur la transition vers une agriculture plus respectueuse du climat. Mais s'agit-il d'une discussion juste ou raisonnable ? Les émissions de CO2 des différents secteurs sont-elles comparables ? Les émissions de CO2 liées à la production des ingrédients nécessaires à la fabrication d'une baguette de pain ne devraient pas être comparées aux émissions générées par un vol long-courrier, la conduite d'une grosse voiture ou la consommation de produits de mode éphémère. Il y a certaines émissions (par exemple, celles provenant de la production alimentaire) dont nous ne pouvons pas nous passer et d'autres pour lesquelles des réductions d'émissions plus importantes peuvent être réalisées sans affecter les éléments essentiels de la vie. En d'autres termes, les émissions de gaz à effet de serre de l'agriculture ne devraient pas être considérées de la même manière que les autres émissions de CO2. Malheureusement, comme nous l'avons vu avec les restrictions sur le gaz naturel, les comptables de l'ESG ne considèrent pas les choses de cette manière.

 

La chaîne alimentaire est un important émetteur de CO2 et c'est à l'agriculteur qu'il incombe de procéder à toutes les réductions. Il n'y a pas de responsabilité dans la suite de la chaîne, et les agriculteurs l'ont compris.

 

Aujourd'hui, après la conférence du FFA, je suis retourné à la Place du Luxembourg et au Parlement Européen. Les agriculteurs commençaient à plier bagage et il y avait une certaine résignation dans l'air. Nous avons besoin d'un plus grand nombre de personnes aux côtés des agriculteurs. Nous devons être plus nombreux à dénoncer les marques de produits alimentaires qui ne se soucient pas des conséquences de leurs campagnes de relations publiques sur le développement durable. Si les consommateurs ne veulent pas payer davantage, les distributeurs et les marques doivent partager une partie de leurs bénéfices avec les agriculteurs. La responsabilité de cette injustice ne devrait pas incomber aux gouvernements.

 

La véritable menace qui pèse sur la prospérité future des agriculteurs réside dans la chaîne alimentaire dont ils sont à la base.

 

________________

 

David pense que la faim, le SIDA et des maladies comme le paludisme sont les vraies menaces pour l'humanité – et non les matières plastiques, les OGM et les pesticides. Vous pouvez le suivre à plus petites doses (moins de poison) sur Twitter ou la page Facebook de Risk-monger.

 

Source : The Farmers are Fighting this One Alone – The Risk-Monger

 

Ma note : Je ne suis pas d'accord avec David sur l'utilisation de la tonne à lisier. Les manifestations respectueuses des personnes et des biens sont à mon sens bien plus efficaces dans une opinion publique qu'il convient de conquérir.

 

 

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