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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Quand les normes hexagonales malmènent la compétitivité française (réponses à Atlantico)

3 Février 2024 Publié dans #Manifestations

Quand les normes hexagonales malmènent la compétitivité française (réponses à Atlantico)

 

 

Atlantico m'a demandé de répondre à une série de questions pour un article à quatre claviers et huit mains, « Colère des agriculteurs : à quel point importons-nous des produits qui ne respectent pas les normes françaises ? » (en accès libre). Dans la co-production, outre le poseur de questions : M. Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech, travaillant sur les questions de commerce international, et M. Jean-Luc Demarty, un ancien haut-fonctionnaire de la Commission Européenne qui fut aux premières loges des questions agricoles et de commerce extérieur, y compris des accords bilatéraux maintenant vilipendés. Ci-dessous, mes réponses.

 

 

1/ Les agriculteurs français sont en colère. Ils s’agacent de l’importation de nombreux produits alimentaires qui ne respecteraient pas les normes hexagonales. Peut-on vraiment dire, comme c’est souvent affirmé en ce moment, que les traités de libre-échange ne sont pas négociés autour de ces mêmes normes ? Le respect de celle-ci n’est-il pas compris dans les accords finaux ?

 

M. Jean-Luc Demarty a répondu de manière magistrale, avec une expertise de première main, à cette question dans « Crise dans l’agriculture : la redoutable schizophrénie française » et « Le libre-échange a-t-il vraiment tué l’agriculture française (et aggravé la crise climatique) ? »

 

Il va de soi – malgré les discours ambiants fondés, soit sur une méconnaissance des règles et des usages en matière de négociations commerciales, soit sur une mauvaise foi politicienne cyniquement assumée (l'un n'empêchant pas l'autre) – que les négociateurs s'attachent à obtenir le meilleur résultat global en évitant les désastres sectoriels.

 

M. Jean-Luc Demarty nous rapporte que nos négociateurs y sont plutôt bien parvenus, pour l'Europe, l'agriculture française ayant plongé dans le marasme, et ce, pour des causes internes.

 

Mais absence de désastre ne signifie pas nécessairement absence d'effets négatifs. Il faudrait donc vérifier l'état de la situation accord par accord et filière par filière.

 

La question posée est intéressante ! Les accords sont négociés sur la base des normes européennes, et non des « normes hexagonales » qui auraient été créées par le génie législatif et réglementaire français de toutes pièces ou par surtransposition de normes européennes.

 

Ce qui est incorporé dans les accords finaux, ce sont les normes à la date de la fin des travaux.

 

Mais les meilleurs précautions n'empêchent pas les « accidents », à l'image des découpes de volailles ukrainiennes évoquées dans un des articles cités ci-dessus.

 

 

2/ Au-delà de la théorie, quid de la pratique ? Peut-on dire de la raquette, en matière d’importations alimentaires, qu’elle est trouée et que les griefs de nos agriculteurs sont, pour partie au moins, fondés ?

 

On entre ici – aussi – dans la question du commerce intracommunautaire. Il y a sans aucun doute des « trous dans la raquette », des situations de concurrence objectivement ou subjectivement défavorable, voire déloyale.

 

D'une manière générale, les secteurs des fruits et légumes sont plus sensibles aux différences – selon le cas aux distorsions – en matière de climat, de normes économiques et sociales, et de normes environnementales.

 

Mais est-il suffisant de se lamenter ? Il faudrait procéder à un sérieux examen de conscience, parce que nous – tant les instances décisionnelles que les acteurs économiques – n'avons pas toujours pris les mesures nécessaires. Ou, inversement, nous avons consciemment ou non péjoré la situation de nos agriculteurs. L'analyse économique rationelle conduit aussi à admettre que, dans certains cas, notre intérêt bien compris est de profiter de l'avantage compétitif du partenaire commercial. Sans oublier les considérations géopolitiques.

 

Ainsi, lorsque – répondant à des déclarations intempestives et irréfléchies du président de la République – on a restreint les usages du glyphosate aux seules situations où il était difficilement dispensable (en pérorant sur l'extraordinaire exploit de la réduction de son usage), on a créé une situation de concurrence faussée pour un très grand nombre d'agriculteurs par rapport à leurs collègues des autres États membres.

 

Notre activisme anti-néonicotinoïdes, répondant à des campagnes de dénigrement très largement infondées, a fait le bonheur des producteurs de sucre de canne lorsque nous avons interdit l'enrobage des semences de betteraves. Et, en interdisant tous les néonicotinoïdes en France, nous avons pénalisé les producteurs français par rapport à leurs collègues européens qui peuvent encore utiliser l'acétamipride en traitements foliaires.

 

Il y a bien les fameuses « clauses miroir ». Meilleure élève de la classe européenne, la France a interdit en 2016 le diméthoate sur cerises (avant d'« exporter » sa décision à Bruxelles) et a aussi interdit les importations de cerises en provenance de pays où cette substance très utile dans la lutte contre la Drosophila suzukii est autorisé. Résultat : elle a malmené la filière cerises française, pénalisée encore davantage par les pertes de rendement et les conditions socio-économiques.

 

La production de tomates au Maroc illustre les enjeux géostratégiques : c'est d'une certaine manière un échange à bénéfices mutuels tomates contre blé. Ce serait une erreur gravissime que de réduire nos importations de tomates et de céder notre marché d'exportation de blé à quelqu'un qui ne nous veut pas du bien.

 

On peut aussi évoquer les haricots prêts à cuire ou les roses du Kenya : ils offrent des emplois à de nombreuses femmes, leur permettent d'envoyer leurs enfants à l'école et contribuent pas seulement financièrement au développement du pays.

 

Gardons nous donc, en conclusion, d'adopter une vision trop étroite des relations commerciales internationales et de leurs effets sur l'agriculture française.

 

 

3/ Dans quelle mesure peut-on défendre l’idée que les grandes exploitations produiraient des produits moins sains que les petites exploitations ? Ne sont-elles pas soumises à des contrôles qualités plus rigoureux ? Comment s’assurer, par exemple, que l’encre utilisée sur l’emballage d’un yaourt produit dans une enseigne très locale, n’a pas contaminé le produit final ?

 

Cette idée est indéfendable.

 

Les grandes exploitations livrent préférentiellement à la filière agroalimentaire, laquelle est outillée pour assurer la qualité sanitaire des produits livrés aux consommateurs. Les petites exploitations sont aussi performantes lorsqu'elles allient compétence, savoir faire, soin et matériel adéquat. Cela n'empêche évidemment pas les accidents, ni les malversations, dont les médias se font généralement les choux gras, mais différentiellement.

 

Notons que la dernière crise sanitaire de taille a été en Europe celle des graines germées de fenugrec bio en mai-juin 2011. Due à E. coli souche O104:H4, elle a affecté près de 4.000 personnes, dont certaines maintenant dialysées à vie, et fait 53 morts, essentiellement en Allemagne. Nombre de médias français ont du reste arrêté de rapporter le nombre de décès quand les concombres espagnols ont été mis hors de cause et que les suspicions se sont reportées sur un produit bio.

 

On entre ici aussi dans la question des pesticides et des effets sur la santé de leurs résidus dans les aliments. Une question qui fait l'objet d'une désinformation faramineuse.

 

D'aucuns s'imaginent que l'on pourrait protéger nos marchés en imposant des conditions drastiques à leur emploi, ce qui, soit dit en passant, implique la reconnaissance de leur rôle dans une production performante (reconnaissance oubliée quand on fait la promotion du bio...).

 

Les données colligées annuellement par l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) montrent que près de 60 % des échantillons analysés dans le programme coordonné ne présentent pas de résidus de pesticides à des niveaux quantifiables. Près de 2 % dépassent les limites maximales de résidus, sans que cela implique une préoccupation pour la santé des consommateurs.

 

Dans les programmes nationaux libres, qui ciblent plus particulièrement les situations à risques, les dépassements montent à près de 4 %, toujours sans susciter de préoccupations. Les dépassements sur les produits de pays tiers sont alors beaucoup plus élevés (de l'ordre de 10 %, souvent sur des produits et origines spécifiques), mais pour des raisons diverses : le pesticide n'est pas approuvé dans l'Union Européenne, en général ou pour le produit alimentaire en cause, et il n'y a pas de tolérance à l'importation ; les préconisations d'emploi n'ont pas été respectées ; ou encore, des traitements ont été appliqués lors de la transformation pour réduire les contaminations bactériennes.

 

 

4/ L’espérance de vie des Français a récemment atteint un record. Faut-il penser, au regard des données sanitaires, que l’on court un si grand danger du fait de notre alimentation ?

 

Clairement, notre alimentation est intrinsèquement bien plus saine que par le passé et elle contribue à notre espérance de vie. S'il y a malbouffe, c'est essentiellement par choix personnel.

 

L'agitation autour des pesticides mériterait une analyse détaillée tant sur la réalité des faits que sur les intérêts promus par cette agitation.

 

Personnellement, entre le risque hypothétique d'un pesticide et le risque réel d'une intoxication prévenue par la recherche de la meilleure qualité sanitaire, le choix est fait. Plutôt le résidu en quantité infime que l'aflatoxine. Mais l'affaire du pain maudit de Pont-Saint-Esprit est si loin (1951)... Alors on fait peur avec une exposition au glyphosate de l'ordre du microgramme quand la dose journalière admissible – établie de manière très, très sécuritaire – est de 30 milligrammes pour une petite personne de 60 kilos (0,5 mg/kg poids corporel – 1,75 mg/kg aux États-Unis).

 

 

5/ Un certain nombre de figures politiques, y compris à droite, martèlent l’idée qu’il faudrait empêcher les produits n’étant pas aux normes d’arriver en France. Que répondre à de tels arguments ?

 

C'est de la démagogie. Ce que l'on entend par là, c'est la fermeture de la frontière à certains produits, le cas échéant de certaines provenances (puisque les produits trouvés non conformes aux règles sanitaires au stade de l'importation ne sont pas admis dans les circuits commerciaux).

 

C'est déjà une question communautaire et non française sur le plan décisionnel.

 

Quant à durcir les conditions, on imagine aisément les problèmes de séparation des filières, les contrôles (qui, certes, créent des emplois, mais peu productifs). Et aussi les embarras politiques et économiques (mesures de rétorsion par exemple).

 

Cela ne résoudra pas notre problème principal, la compétitivité par rapport aux autres États membres de l'Union Européenne et ne fera pas revenir des productions que nous avons tuées ou asphyxiées par notre propre incurie.

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