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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

La COP 28 vue par un agriculteur canadien

20 Janvier 2024 Publié dans #Climat

La COP 28 vue par un agriculteur canadien

 

Kristjan Hebert, Réseau Mondial d'Agriculteurs*

 

 

 

 

Il faut beaucoup de temps pour aller de ma ferme enneigée dans la campagne de la Saskatchewan à la ville étincelante de Dubaï. Le Canada et les Émirats Arabes Unis sont presque aux antipodes l'un de l'autre. Les 14 heures de vol depuis Toronto ont été les plus décourageantes.

 

Mais j'avais une histoire à raconter et les personnes qui se sont réunies pour une conférence des Nations Unies sur le climat en novembre et décembre avaient besoin de l'entendre.

 

Mon message était simple : les agriculteurs font partie de la solution.

 

La COP28 n'est pas une mince affaire. Quelque 85.000 personnes y ont participé, dont 150 chefs d'État. Les événements qui s'y sont déroulés ont occupé des dizaines de bâtiments. La seule chose que j'ai vue qui s'approche de cette taille est un énorme salon des produits de base, mais même cela ne donne pas une bonne idée de l'immensité de la COP28.

 

Par le passé, les agriculteurs faisaient rarement partie du programme. Pourtant, nous étions souvent tenus pour responsables de l'émission inconsidérée de gaz à effet de serre. En notre absence, nous ne pouvions pas nous défendre, et encore moins expliquer ce que nous faisons.

 

On nous considérait comme acquis, comme si nous pouvions cesser de faire notre travail et que la nourriture arriverait quand même dans les assiettes.

 

Les choses ont commencé à changer il y a deux ans, lors de la COP26 en Écosse, comme l'a expliqué Mateusz Ciasnocha, de Pologne (et mon collègue du Réseau Mondial d'Agriculteurs). Ce changement s'est poursuivi l'année dernière lors de la COP27 en Égypte, comme l'a expliqué Maria Virginia Solis Wahinsh d'Argentine (également membre du GFN).

 

J'ai le plaisir d'annoncer que l'agriculture a encore progressé lors de la COP28. En tant que membre de la délégation de la Saskatchewan à cet événement, j'ai été constamment occupé, participant à sept ou huit groupes de discussion sur la durabilité, les ressources naturelles, etc.

 

Le plus grand obstacle que les agriculteurs doivent surmonter dans ces réunions est un préjugé général. Beaucoup de gens soi-disant sophistiqués pensent que les agriculteurs sont des nigauds. Ils pensent que nous sommes peu éduqués, figés dans nos habitudes et pas du tout progressistes. C'est ce point de vue étroit qui a exclu les agriculteurs des conférences des Nations Unies sur le climat pendant un quart de siècle.

 

Il est également erroné, comme les organisateurs de la conférence commencent à le reconnaître et comme j'ai entrepris de le prouver à Dubaï.

 

Ma ferme est en fait une exploitation de haute technologie. Elle n'a rien à voir avec le mythe du « Vieux MacDonald », qui prône des pratiques primitives sur dix acres [quatre hectares] – un stéréotype cher aux personnes qui se souviennent d'une comptine de leur enfance mais qui n'ont pas pris la peine de visiter une ferme du XXIe siècle.

 

Prenons l'exemple de l'innovation que constituent les capteurs de sol. Traditionnellement, les agriculteurs ont toujours su comprendre ce qui se passait au-dessus du sol et dans les premiers centimètres du sol. Dans mon exploitation, nous commençons à comprendre ce qui se passe en profondeur. Pour ce faire, nous utilisons des sondes de sol – des tiges métalliques équipées de capteurs qui recueillent des données sur l'humidité et les nutriments et nous aident à exécuter des algorithmes afin d'utiliser les données pour améliorer le rendement des cultures.

 

Nous exploitons ces informations de multiples façons, l'une des plus importantes étant de nous conseiller sur l'utilisation des engrais. De nombreux non-agriculteurs pensent à tort que les gens comme moi se contentent de couvrir leurs champs d'engrais. En réalité, nous mesurons soigneusement l'engrais et le distribuons à des endroits précis, en quantités précises et à des moments précis. C'est bon pour nos cultures, car elles reçoivent le coup de pouce dont elles ont besoin au moment où elles en ont besoin, et bon pour l'environnement, car cela protège le sol et empêche le ruissellement.

 

Une grande partie du phosphate contenu dans nos engrais provient d'ailleurs des déchets humains que nous recyclons à partir des eaux usées. C'est la définition même de l'agriculture régénératrice.

 

Les sols agricoles sont une ressource dans la lutte contre le changement climatique. C'est pourquoi les agriculteurs comme moi s'associent à l'initiative « 4 pour 1.000 », qui vise à augmenter la teneur en carbone des sols. En retirant le carbone de l'atmosphère et en l'enfouissant dans la terre, nous aidons non seulement le climat, mais nous créons également des terres agricoles plus riches pour nos cultures. C'est ce qu'on appelle le piégeage du carbone.

 

Une fois que nous aurons trouvé un moyen précis et fiable de calculer la séquestration du carbone, nous pourrons mettre en place un système qui rémunère les agriculteurs pour le carbone qu'ils stockent dans leur sol et créer une nouvelle incitation puissante pour les agriculteurs à lutter contre le changement climatique tout en nourrissant le monde.

 

Il s'agit d'un défi de taille et complexe qui implique la science et la politique, et les tactiques qui fonctionnent dans mon exploitation ne fonctionneront pas dans d'autres endroits qui ont besoin de leurs propres stratégies régionales.

 

Pourtant, le progrès commence lorsque les agriculteurs parlent d'agriculture, de technologie et de climat aux gens – et lorsque nous le faisons, comme je l'ai fait à la COP28, les décideurs politiques, les activistes et le public ouverts d'esprit sont intéressés et réceptifs.

 

Je suis heureux d'avoir fait le voyage et d'avoir raconté mon histoire.

 

______________

 

Kristjan Hebert

 

Kristjan exploite 11.300 hectares dans le sud-est de la Saskatchewan, au Canada. Il produit de l'orge de brasserie, du blé de force roux de printemps, du canola, du seigle d'automne, des pois jaunes et de l'avoine. Il est revenu de l'université en 2008, déterminé à développer l'exploitation familiale, qui ne comptait que 800 hectares dans son enfance.

 

Kristjan a mis à profit ses intérêts pour la finance (il est expert-comptable) et les relations humaines pour prendre les décisions commerciales et constituer l'équipe nécessaire à la croissance. L'exploitation agricole passe des contrats à terme pour ses cultures et ajuste la rotation des cultures dans une certaine mesure en fonction des contrats de vente auxquels elle a accès.

 

Elle pratique le semis direct sur la majeure partie de ses terres et le travail du sol minimal sur le reste. Les technologies utilisées comprennent la fertilisation à taux variable et un plan de gestion des éléments nutritifs sur 6 à 9 ans qui comprend de nombreuses façons d'appliquer les engrais. Cela permet de gérer les risques les années où le prix des engrais est élevé, comme c'est le cas actuellement.

 

Kristjan travaille en collaboration avec son frère, éleveur de bétail, pour produire de l'ensilage pour le bétail, puis cultiver une plante de couverture disponible pour le pâturage, ce qui ajoute du fumier à la terre. D'un point de vue environnemental, il pense qu'il est important que les agriculteurs et les éleveurs travaillent ensemble.

 

Source : A Farmer’s View From COP28 – Global Farmer Network

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