S'exprimer en faveur des outils qui soutiennent l'agriculture durable
Gabriel Carballal, Réseau Mondial d'Agriculteurs*
Tout ce qui concerne l'agriculture est meilleur aujourd'hui qu'il y a une génération : nous disposons de meilleures semences, de meilleurs outils et de meilleures méthodes, ce qui nous permet de produire plus de nourriture que jamais auparavant.
Ici, en Uruguay, où je pratique l'agriculture, même le sol est meilleur, mais il sera difficile de conserver tous les avantages liés à la santé du sol si le monde nous prive de l'une de nos meilleures technologies.
Nous sommes actuellement dans la saison la plus active de l'année, car dans l'hémisphère sud, nous approchons de l'été. Il y a d'abord les semis de soja. Ensuite, nous récolterons nos cultures d'hiver de canola, de blé et d'orge. Enfin, nous entamerons une deuxième campagne d'été avec d'autres semis de soja et de maïs. Nous espérons améliorer notre efficacité cette année grâce à une nouvelle machine qui épand de l'engrais sec directement dans le sol.
Dans les années 1990, nous n'aurions pas bénéficié d'autant d'options ni d'une telle productivité. Cela s'explique par le fait qu'une grande partie du sol uruguayen est marginale. Il est peu profond et peu fertile. L'érosion des sols menace les agriculteurs presque partout, mais notre topographie et nos conditions météorologiques se combinent pour en faire un risque inhabituel. Ces défis ont limité les cultures dans notre pays à moins de 400.000 hectares.
C'est alors qu'est apparue la pratique de l'agriculture sans labour (agriculture de conservation des sols), un concept révolutionnaire qui a transformé l'agriculture en Uruguay, dans toute l'Amérique du Sud et dans le monde entier. En résolvant le problème de l'érosion des sols, elle a permis d'augmenter la production sur les meilleures terres et de rendre productives les zones marginales.
Aujourd'hui, les agriculteurs uruguayens cultivent plus de 1,8 million d'hectares. C'est presque cinq fois plus de terres agricoles que ce que nous avons planté et récolté dans les années 1990. Cette augmentation est bénéfique tant pour les agriculteurs que pour les consommateurs, qui bénéficient d'une nourriture abondante et abordable.
Traditionnellement, les agriculteurs labourent leurs champs pour les ameublir afin d'y déposer des semences ou pour tuer les mauvaises herbes qui volent l'humidité et les éléments nutritifs des cultures. Or, le labour est un acte de violence et, en déchirant le sol, il favorise l'érosion qui, traditionnellement, a contrarié les agriculteurs uruguayens.
La culture sans labour permet de ne pas perturber le sol. À l'aide de machines spécialisées, nous déposons les semences directement dans la terre. Nous utilisons également les résidus de culture et les cultures de couverture pour protéger le sol. Le résultat est que notre sol reste en place et s'enrichit au fil du temps, à mesure que la matière organique s'accumule. Nous améliorons également la porosité du sol, ce qui lui permet de capter et de conserver l'eau de pluie. Nous kidnappons même du carbone, car nos cultures l'extraient de l'atmosphère et l'enfouissent dans le sol, où il améliore la croissance et nous aide à nous adapter au changement climatique.
Cette approche est bénéfique non seulement pour les agriculteurs qui produisent une abondance de nourriture et pour les consommateurs qui en dépendent, mais aussi pour la biodiversité, la conservation et la durabilité.
Pourtant, tous les éléments de cette réussite dépendent du glyphosate, une technologie de protection des cultures qui nous permet de lutter contre les mauvaises herbes sans avoir recours au labour.
Les agriculteurs utilisent le glyphosate depuis près d'un demi-siècle. C'est l'herbicide le plus étudié et le plus scruté de l'histoire. La science a démontré à maintes reprises qu'il était sans danger. Toutefois, il est récemment devenu controversé, car des activistes de l'Union Européenne et d'ailleurs cherchent à le faire interdire.
Ce serait une énorme erreur. Elle mettrait fin à une grande partie des progrès que nous avons réalisés dans le domaine de la production agricole durable.
Elle serait également contre-productive. De nombreux agriculteurs réagiraient à une restriction en utilisant de plus grandes quantités d'herbicides moins efficaces. C'est la seule façon d'espérer maintenir la production, la conservation et la durabilité que nous sommes en droit d'attendre. Malgré cela, cela augmenterait nos coûts et forcerait de nombreux agriculteurs à revenir au travail du sol à l'ancienne, voire à mettre la clé sous la porte.
La bonne nouvelle, c'est que je pense que le glyphosate restera disponible en Uruguay. La mauvaise nouvelle, c'est que les agriculteurs européens sont sur le point de le perdre, à cause de régulateurs plus préoccupés par les pressions politiques que par le bien-être des agriculteurs et les prix des denrées alimentaires pour les consommateurs.
Vous pouvez vous demander pourquoi un agriculteur uruguayen se soucierait du sort des agriculteurs de l'Union Européenne. Une mauvaise politique menée de l'autre côté de l'océan n'améliorerait-elle pas notre avantage concurrentiel ?
Peut-être, mais seulement à court terme. Partout dans le monde, les agriculteurs sont confrontés à des menaces irrationnelles et nous devons y faire face ensemble. Pour que l'agriculture prospère à l'avenir, nous devons nous unir pour sauver nos sols et préserver les acquis de la dernière génération.
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* Gabriel Carballal, agriculteur, Uruguay
Gabriel Carballal est agronome et « agriculteur sans ferme ». Il cultive en hiver du blé, de l'orge, du canola, de l'avoine, des semences de graminées et en été du soja, du maïs et du sorgho sur 1.500 hectares qu'il loue personnellement et sur d'autres hectares en partenariat avec sa famille et deux sociétés différentes en Uruguay. M. Carballal est membre bénévole du conseil d'administration du Réseau Mondial d'Agriculteurs (Global Farmer Network). Gabriel a été reconnu par le GFN comme lauréat du prix Kleckner 2021 pour le leadership agricole mondial.
Source : Speaking Up in Support of the Tools That Support Sustainable Agriculture – Global Farmer Network