Réduire les engrais synthétiques et améliorer les rendements ? La révolution du microbiome s'invite dans l'agriculture.
Henry I. Miller et Kathleen L. Hefferon, ACSH*
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Image : Wikipedia Commons
Les microbiomes sont l'assortiment collectif et hautement personnel de micro-organismes qui vivent en nous, sur nous et autour de nous. Si elles sont modifiées génétiquement de manière efficace, ces « boîtes noires » pourraient nous aider à guérir le cancer, à comprendre comment nous pouvons nous adapter à la hausse des températures, à jouer un rôle dans la santé mentale et à améliorer la nutrition des enfants.
Ces dernières années, l'importance du microbiome humain a fait couler beaucoup d'encre, notamment en ce qui concerne le microbiome intestinal et l'importance de ses habitants microbiens pour notre santé. Qu'il s'agisse de déchiffrer davantage d'informations sur les probiotiques présents dans nos produits alimentaires ou de pratiquer couramment des procédures auparavant inimaginables telles que les transplantations fécales, les possibilités d'exploiter les mystères du microbiome semblent infinies.
Une relation complexe comme celle qui existe entre les humains et les micro-organismes existe également entre les micro-organismes et notre sol. À l'instar de l'impact du décryptage du microbiome sur la santé humaine, une meilleure compréhension du microbiome du sol pourrait-elle permettre de mieux appréhender des problèmes environnementaux complexes et peut-être d'offrir de nouvelles solutions ? En savoir plus sur le microbiome du sol pourrait-il même nous fournir de nouvelles approches pour résoudre le formidable problème du changement climatique ? Ces recherches pourraient-elles conduire à une forte réduction de l'utilisation d'engrais de synthèse polluants ?
L'utilisation d'engrais est depuis longtemps reconnue comme essentielle mais problématique. Sans macro- et micro-engrais, la nature a du mal à reconstituer les nutriments dans le sol. Les cultures peuvent pousser sans eux, mais elles risquent d'être faibles. Au fil du temps, les nutriments présents dans le sol diminuent, car lorsque les cultures sont récoltées, les nutriments essentiels sont emportés avec eux et se retrouvent sur la table du dîner. Si le sol n'est pas réapprovisionné en éléments nutritifs par le biais de la fertilisation, les rendements des cultures diminueront.
Comme toujours en agriculture, il y a des compromis à faire. Une trop grande quantité d'engrais peut nuire à l'environnement. Les micro-organismes naturellement présents dans le sol peuvent être endommagés par les substances chimiques contenues dans les engrais. Ceux-ci peuvent détruire la fertilité du sol d'une région et réduire la teneur en matière organique et en humus du sol. Ils peuvent également entraîner la libération de gaz à effet de serre.
Les scientifiques ont passé des années à étudier les subtilités des mécanismes du cycle des nutriments du microbiome du sol qui affectent nos cultures vivrières et notre environnement. Prenons l'exemple de l'azote, un élément essentiel à la construction de tous les organismes. Il est abondant dans l'air, mais malheureusement sous une forme inutilisable par la plupart des plantes. Dans le sol, l'azote peut être rare, mais certaines plantes, comme les légumineuses, abritent sur leurs racines un type de bactéries connues sous le nom de rhizobia, qui forme des nodules pour fixer l'azote atmosphérique en ammoniac facilement accessible.
Cette relation est très spécifique et n'existe qu'entre certaines plantes et des micro-organismes du sol. C'est pourquoi la culture de plantes de base telles que les céréales nécessite l'application d'engrais. Les engrais artificiels ont permis d'éviter une famine généralisée, mais comme nombre d'entre eux sont produits à partir de produits pétroliers et pour diverses autres raisons, ils ne constituent pas une solution respectueuse de l'environnement.
La production d'ammoniac de synthèse (par exemple, le procédé Haber-Bosch de fixation de l'azote) et son application représentent environ 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Si ce procédé n'avait pas été inventé, le nombre de personnes que la planète peut nourrir de manière adéquate aurait atteint sa capacité maximale il y a de nombreuses années. Alors que nous nous dirigeons rapidement vers une population mondiale de 10 milliards d'habitants, nous devons doubler notre productivité agricole.
Or, il est loin d'être facile d'y parvenir. L'utilisation excessive d'engrais entraîne un ruissellement excessif d'engrais dans les cours d'eau, créant des zones mortes anoxiques et libérant du N2O, un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2 pour le réchauffement de la planète. Il est donc essentiel de comprendre la relation entre les cultures et le microbiome du sol pour assurer notre sécurité alimentaire et réduire les émissions de gaz à effet de serre d'origine agricole. L'un des moyens d'y parvenir est de faire en sorte que les micro-organismes fixent davantage d'azote pour que les cultures puissent l'utiliser.
En utilisant les mêmes outils qui ont permis des avancées dans la recherche sur le microbiome humain, nous pouvons maintenant exploiter le microbiome du sol pour résoudre certains des problèmes liés à la sécurité alimentaire et à la durabilité de l'environnement. Un moment « charnière » est arrivé il y a quelques années lorsque des scientifiques ont démontré que des bactéries pouvaient être génétiquement modifiées pour fixer l'azote dans les racines de cultures non légumineuses, telles que le maïs, de manière à réduire considérablement l'utilisation d'engrais. Le remplacement partiel des engrais par des bactéries génétiquement modifiées permettrait également de réduire le ruissellement de l'azote et les émissions de N2O.
L'étude pluriannuelle et multisite menée dans la Corn Belt, la ceinture de maïs, a ouvert la voie à la start-up agricole Pivot Bio, qui souhaite commercialiser et rendre largement disponible cette technologie passionnante sous la forme d'un liquide appliqué au sol ou d'une poudre enrobant les semences. Récemment, l'entreprise a montré que ses produits pouvaient remplacer un quart de l'azote de synthèse sans réduire le rendement des cultures.
Cette découverte pourrait être capitale. Les produits de Pivot Bio sont déjà utilisés sur plus de 1,2 millions d'hectares de terres agricoles aux États-Unis, pour diverses cultures telles que le maïs, le blé et le tournesol. Cela a déjà permis de réduire de 29.000 tonnes métriques la quantité d'engrais de synthèse appliquée dans les fermes américaines en 2022, ce qui se traduit par une réduction estimée à 200.000 tonnes de CO2, soit l'équivalent de la combustion de 1.200 wagons de charbon. Ces économies proviennent de la réduction estimée des émissions nécessaires à la production d'engrais de synthèse, combinée à la prévention de la libération de N2O par le sol.
D'autres ont travaillé sur des plantes céréalières qui créent leur propre engrais. Au Whitehead Institute du MIT, le groupe de recherche de Jing-Ke Weng a étudié la manière dont les plantes et les micro-organismes se signalent mutuellement pour lancer le processus de fixation de l'azote dans les légumineuses, en prélude à l'introduction d'une voie de signalisation analogue dans les cultures céréalières.
De même, l'équipe d'Eduardo Blumwald, de l'Université de Californie à Davis, a utilisé l'édition de gènes pour modifier le riz afin d'augmenter la production de composés chimiques, en stimulant l'activité des bactéries fixatrices d'azote au niveau des racines de la plante.
Le professeur Lisa Stein, microbiologiste à l'Université d'Alberta, explore un autre aspect du problème en créant des inhibiteurs de nitrification – des composés chimiques qui réduisent les émissions d'oxyde nitreux en supprimant la conversion de l'azote en nitrate par les micro-organismes du sol. Combinés aux engrais, ils empêchent la production de N2O et sa pollution des cours d'eau.
Les cyanobactéries, parfois appelées algues bleues, peuvent se répandre dans les lacs et les étangs d'eau douce, détournant l'oxygène et les nutriments. Elles peuvent former des biofilms sur l'eau ou la terre et provoquer des maladies.
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Biofilms sur l'eau. Image : Genetic Literacy Project
Comptant parmi les organismes les plus anciens de la planète, elles sont omniprésents, peuvent être utilisées comme source de nourriture et constituent également une source de colorants naturels et de carburants alternatifs. Elles produisent une large gamme de métabolites antimicrobiens. Les cyanobactéries constituent également une alternative prometteuse aux engrais artificiels, car elles peuvent elles aussi fixer l'azote de l'air et le mettre à la disposition des plantes.
Toutes les espèces de cyanobactéries ne peuvent pas former la symbiose forte nécessaire avec chaque type de culture, mais lorsqu'elle se forme, les cyanobactéries peuvent s'attacher et même pénétrer dans les espaces intercellulaires des plantes, de sorte que les bactéries et l'hôte peuvent tous deux bénéficier de l'échange de nutriments. Les cyanobactéries appliquées au sol entourant les plantes cultivées sous la forme de biofilms, qui existent en tant que communautés attachées à la surface ou agrégats en suspension, peuvent offrir d'autres avantages. Elles peuvent fournir des métabolites secondaires bénéfiques aux plantes et augmenter la rétention d'eau du sol.
Les cyanobactéries n'ont pas besoin d'être cultivées sur des terres arables et leur culture est négative en carbone, ce qui signifie que la quantité de carbone capturée par la photosynthèse est supérieure à celle qui est rejetée dans l'environnement. Les cyanobactéries peuvent donc produire des engrais pour une fraction du coût et sans utiliser de combustibles fossiles.
L'ensemble de ces produits pourrait révolutionner la production alimentaire durable en réduisant la nécessité d'utiliser les engrais de synthèse utilisés aujourd'hui à grande échelle. Cela permettrait de résoudre des problèmes environnementaux complexes tels que le ruissellement de l'azote et les émissions d'oxyde nitreux.
À l'instar de notre connaissance du microbiome humain qui s'améliore rapidement, les progrès réalisés dans la compréhension du microbiome du sol modifieront considérablement nos pratiques agricoles, en améliorant le rendement des cultures tout en réduisant la dépendance à l'égard de l'azote de synthèse et les dommages qu'il cause à l'environnement. Tout comme notre compréhension croissante du microbiome humain est en train de révolutionner la médecine, notre connaissance accrue du microbiome du sol transformera l'agriculture.
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Kathleen L. Hefferon est professeur de microbiologie à l'Université de Cornell. Retrouvez Kathleen sur X @Khefferon.
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Henry I. Miller, médecin et biologiste moléculaire, est le Glenn Swogger Distinguished Fellow de l'American Council on Science and Health. Il a été le directeur fondateur du Bureau des biotechnologies de la FDA. Retrouvez Henry sur X @henryimiller.