« Une victoire pour la science » : un tribunal français rejette les poursuites en diffamation engagées par le scientifique anti-OGM Séralini
Personnel de l'Alliance pour la Science et Victor Oria*
Dans une grande victoire pour la science, un tribunal français a rejeté le 17 octobre l'action en diffamation intentée par le célèbre scientifique français Gilles-Éric Séralini, militant anti-OGM, en donnant raison à trois journalistes spécialisés dans l'établissement des faits que M. Séralini avait poursuivis pour avoir qualifié son travail de « frauduleux ».
Mme Géraldine Woessner, l'une des trois journalistes visés par M Séralini, a annoncé sur X/Twitter : « J'ai la joie de vous annoncer que la jurisprudence a ENFIN changé : dans le procès en diffamation que m'intentait Gilles-Eric Séralini, pour avoir qualifié de "frauduleuse" son étude de 2012 sur les rats nourris aux OGM, le tribunal vient de prononcer la relaxe. Bonne journée!🎶 » Elle ajoute : « Mes confrères @MacLesggy et Patrick Cohen, également poursuivis, sont eux aussi relaxés. »
L'affaire remonte à 2019 lorsque M. Séralini, un biologiste français de l'Université de Caen, a poursuivi Mac Lesggy, M. Patrick Cohen et Mme Géraldine Woessner pour diffamation après que les trois journalistes eurent qualifié de frauduleuses et trompeuses les conclusions de son étude controversée – et ensuite rétractée – sur des rats nourris au maïs OGM et au Roundup.
M. Patrick Cohen, par exemple, avait qualifié à la télévision française l'article controversé de M. Séralini de « l’une des pires tromperies scientifiques de ces dix dernières années ». M. Séralini, par l'intermédiaire de ses avocats, a alors déposé une plainte pour diffamation devant le tribunal de grande instance de Paris, en France, demandant 50.000 euros à chaque journaliste à titre de dommages et intérêts et affirmant que sa santé avait souffert de la controverse.
Le tribunal a toutefois rejeté les arguments de M. Séralini. Se référant en particulier à l'utilisation par Mme Woessner du terme « frauduleux » pour décrire son article rétracté en 2012, le tribunal français a jugé qu'en utilisant ce terme, elle s'était appuyée sur [retraduit de l'anglais] « une base factuelle abondante » qui justifiait « l'utilisation de cette sémantique, qui ne doit pas être comprise au sens strict de fraude scientifique, mais plutôt comme la critique d'actes contrevenant à l'éthique qui devrait entourer la production et la couverture médiatique des travaux scientifiques ». Selon les juges, Mme Woessner a agi de bonne foi et a été acquittée de l'accusation de diffamation.
Les scientifiques ont jubilé en apprenant que les journalistes français avaient été blanchis. M. Channa Prakash, professeur de génétique moléculaire végétale à l'Université de Tuskegee, aux États-Unis, a tweeté : « C'est une excellente nouvelle pour la science et la liberté d'expression. Appelons la fraude une fraude ! »
M. Prakash a ajouté : « Cet article frauduleux affirmant que les OGM provoquent des cancers chez les rats a été utilisé par plusieurs pays, dont le Kenya et l'Inde, pour interdire ou stopper les cultures d'OGM. On devrait demander à Séralini de payer pour les dommages causés aux agriculteurs de ces pays qui ont été privés d'un produit de valeur à cause de ses méfaits. »
Bien que les défauts de la publication originale de 2012 aient été immédiatement évidents pour de nombreux scientifiques et aient conduit plus tard à sa rétractation par la revue Food & Chemical Toxicology, l'article de M. Séralini a suscité une énorme agitation dans les médias et le public parce qu'il contenait des images abominables de rats atteints de tumeurs gigantesques. Le gouvernement kenyan a alors interdit les importations d'OGM, une interdiction qui n'a été levée que récemment par le gouvernement Ruto et qui est désormais enlisée dans des procès intentés à Nairobi par des groupes de campagne anti-OGM.
Depuis le Kenya, le professeur Richard Oduor, président du Kenya University Biotech Consortium (Kubico) et directeur par intérim de la recherche, de l'innovation et de la vulgarisation à l'Université Kenyatta, a déclaré que l'affaire était vouée à être rejetée et a ajouté : "Il [M. Séralini] devrait présenter des excuses publiques. »
Le Dr Paul Chege, biotechnologiste kenyan spécialisé dans les cultures, a déclaré que l'article de M. Séralini était un parfait exemple de science défectueuse, raison pour laquelle il a été rétracté. « Toutefois, cet article a eu une influence considérable sur les politiques en matière de biotechnologies végétales dans les pays du Sud. Je suis heureux que nous ayons franchi un cap et que nous formulions des politiques agrobiotechnologiques fondées sur des faits », a ajouté M. Chege.
Mme Susan Moenga, du Kenya, chercheuse en biotechnologie à NuCicer, qui travaille sur les pois chiches, a déclaré que le verdict était le bienvenu, mais qu'il fallait aller de l'avant. « À l'avenir, nous devrions mettre en place une communication scientifique solide à l'intention du public afin de ne pas nous retrouver dans la même situation qu'il y a dix ans », a déclaré Mme Moenga. « Je suis heureuse que le Kenya prenne les devants en matière d'adoption du génie génétique, en permettant l'innovation dans notre espace et notre contexte, avec l'appui de cadres réglementaires rationnels. »
S'adressant à l'Alliance pour la Science, Mme Géraldine Woessner s'est déclarée « soulagée » par le jugement du tribunal français. Elle a fait remarquer qu'alors que « nos témoins étaient d'éminents spécialistes de la question », M. Séralini s'était appuyé sur les témoignages de trois personnes : un avocat professionnel anti-OGM, « un spécialiste de l'écologie des manchots qui n'a aucune compétence en la matière » et un député européen des Verts qui est « l'ancien patron de Biocoop, un géant de l'alimentation biologique ».
Mme Woessner a également souligné les dommages à long terme laissés par la controverse Séralini, qui a fait que la recherche publique sur les OGM « n'est plus possible en France » et a laissé un héritage médiatique de « théories conspirationnistes délirantes » et de méfiance à l'égard de la science « dont nous avons collectivement payé le prix, lors de la crise de la Covid ». Elle a ajouté : « Tout reste à faire pour réparer les énormes dégâts sociétaux infligés » par toute cette affaire.
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* Victor Oria (PhD) est LEAD Fellow, Prof. Janine Erler Research Group, Biotech Research and Innovation Centre – Université de Copenhague, Danemark.