Aperçu de l'approche européenne à l'égard des PFAS
Suzan Goldhaber, ACSH*
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Image : PublicDomainPictures de Pixabay
J'ai déjà écrit de nombreux articles sur les substances per- et polyfluroalkylées (PFAS), également connues sous le nom de « forever chemicals » et « polluants éternels », ainsi que sur la désinformation et le manque de crédibilité scientifique qui les entourent. Cependant, l'Europe a surpassé les États-Unis en ce qui concerne l'absurdité des réglementations proposées sur ces substances chimiques. Le 7 février 2023, l'Agence Européenne des Produits Chimiques (EChA) a proposé d'interdire tous les PFAS, ce qui concernerait plus de 12.000 substances chimiques. Pour ce faire, elle a utilisé une définition des PFAS si large qu'elle inclut presque tous les produits chimiques contenant du fluor [1]. Que se passe-t-il ?
J'ai pris connaissance de la proposition de l'EChA après avoir lu un excellent article intitulé « The EU's Per- and Polyfluoroalkyl Substances (PFAS) Ban : A Case of Policy over Science » (l'interdiction des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) dans l'UE : un cas où la politique l'emporte sur la science), publié dans la revue Toxics et rédigé par M. Tommaso A. Dragani.
M. Dragani est actuellement directeur scientifique d'Aspidia, une entreprise spécialisée dans la « bioremédiation des polluants et la production et l'administration d'enzymes naturelles et synthétiques et d'autres protéines ». Avant d'assumer cette fonction, il était directeur du laboratoire de recherche « Épidémiologie génétique et pharmacogénomique » à l'Institut National du Cancer italien, et a publié plus de 189 articles scientifiques dans des revues à comité de lecture, principalement dans les domaines de la toxicologie et de l'épidémiologie génétique.
M. Dragani a été extrêmement aimable et a accepté une interview au cours de laquelle je lui ai posé des questions sur la proposition de l'EChA et sur les sujets abordés dans son article. Notre discussion a été légèrement modifiée.
SG : Vous pensez clairement que l'Agence Européenne des Produits Chimiques a commis une erreur en proposant d'interdire une classe entière de substances chimiques, les PFAS. Pourriez-vous expliquer pourquoi ?
TD : Je pense que l'EChA a tort de proposer d'interdire une classe entière de substances chimiques, car les PFAS ne sont pas un petit nombre de composés similaires, mais le terme couvre environ 12.000 composés ayant des propriétés physiques, chimiques, environnementales et biologiques très différentes. Il n'existe aucune preuve de risques pour la santé pour la plupart des PFAS, mais leur interdiction a des conséquences négatives importantes. C'est pourquoi je ne recommande pas une interdiction générale.
SG : Quelles seraient les conséquences imprévues si l'interdiction proposée devenait effective ?
TD : À mon avis, il y a deux conséquences négatives distinctes et involontaires à prendre en compte :
Tout d'abord, l'interdiction proposée, si elle est mise en œuvre, entraînera l'arrêt de la production de polymères fluorés en Europe. Ces matériaux, qui ne présentent aucun risque connu pour la santé ou l'environnement, jouent un rôle essentiel dans plusieurs industries. Ils sont utilisés dans les appareils médicaux, les ordinateurs, les téléphones portables et dans le développement de matériaux de haute performance pour l'aérospatiale, l'automobile, les cellules photovoltaïques, les moteurs électriques, etc.
Deuxièmement, la recherche d'alternatives potentielles aux PFAS pourrait conduire à l'introduction de substituts moins efficaces et potentiellement plus dangereux. En l'absence d'évaluations approfondies de la toxicité, ces substances de substitution pourraient être mises sur le marché de manière précipitée, ce qui susciterait des inquiétudes quant à leur sécurité.
SG : Que sont les fluoropolymères et pourquoi devraient-ils être considérés comme un groupe distinct des autres PFAS ?
TD : Les polymères fluorés représentent une catégorie distincte au sein du groupe des PFAS en raison de leur taille moléculaire beaucoup plus importante, dépassant souvent 100.000 daltons (Da), et de leurs structures moléculaires plus complexes. Ces tailles moléculaires importantes présentent un avantage essentiel : elles limitent l'absorption des fluoropolymères par les organismes vivants, réduisant ainsi la probabilité de bioaccumulation. En outre, l'encombrement des polymères fluorés se traduit par une plus faible solubilité dans l'eau, ce qui limite encore leur capacité à se disperser dans l'environnement. Par conséquent, les polymères fluorés peuvent être classés comme polymères à faible risque, car ils répondent à tous les critères d'une telle classification.
SG : Votre article indique clairement que les PFAS comprennent un large éventail de substances chimiques hétérogènes. Existe-t-il un moyen logique de diviser ces substances chimiques en groupes plus petits ?
TD : Les fluoropolymères constituent une catégorie chimique différente de celle des composés PFAS tels que le PFOS et le PFOA qui ont contaminé notre eau potable. Compte tenu de cette différence fondamentale, je ne pense pas qu'il soit judicieux, du point de vue de la santé publique, de regrouper les PFAS en petits groupes sur la base de propriétés chimiques et physiques similaires. Au contraire, il est essentiel d'évaluer chaque substance de manière indépendante pour déterminer si elle pose des problèmes de toxicité.
SG : Comment la structure de ces substances chimiques influe-t-elle sur leur toxicité ? Pourquoi devrions-nous nous attendre à ce que les différents PFAS affectent différemment le corps humain ?
TD : La toxicité des PFAS est en effet influencée par leurs structures chimiques, car ces structures dictent la manière dont les composés PFAS peuvent interagir avec des récepteurs ou des protéines spécifiques dans notre corps. Bien que nos connaissances évoluent encore, nous pouvons mettre en évidence certaines caractéristiques générales qui éclairent cette question :
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Longueur de la chaîne de carbone : La longueur des chaînes de carbone des PFAS joue un rôle dans la toxicité. Les PFAS ayant des chaînes plus longues tendent à être moins toxiques car ils sont moins susceptibles d'être absorbés par l'organisme.
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Groupes fonctionnels : La présence de groupes fonctionnels, tels que le sulfonate ou le carboxylate, peut affecter la solubilité dans l'eau d'un composé PFAS et donc son potentiel de toxicité.
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Isomères : Certains composés PFAS existent sous forme d'isomères, ce qui signifie qu'ils ont la même formule chimique mais des structures différentes. Ces différences structurelles peuvent conduire à des profils de toxicité différents car les isomères interagissent différemment avec les récepteurs biologiques.
Cependant, il est important de reconnaître que notre compréhension de la toxicité des PFAS est encore limitée et qu'il peut être difficile de faire des prédictions précises.
SG : Que sont les facteurs d'équivalence de la toxicité (TEF) et pourquoi ne devraient-ils pas être utilisés pour évaluer la toxicité des PFAS ?
TD : Dans mon article, j'ai abordé le concept des facteurs d'équivalence toxique (TEF), qui servent d'outil aux régulateurs pour évaluer la toxicité collective résultant de l'exposition à des mélanges chimiques. Toutefois, pour que les TEF soient scientifiquement valables, ils doivent être appliqués à des substances chimiquement apparentées qui agissent par le même mécanisme d'action et produisent des types de toxicité similaires.
Malheureusement, ce principe ne s'applique pas aux PFAS, car il s'agit d'un groupe de substances chimiques extrêmement divers. Les PFAS présentent des variations significatives dans la manière dont ils interagissent avec notre corps (toxicocinétique) et ne partagent pas nécessairement un mécanisme d'action commun. En outre, les mécanismes observés chez les rongeurs de laboratoire, qui sont généralement utilisés pour calculer les TEF, peuvent ne pas être directement applicables à l'homme.
En résumé, les PFAS présentent un défi unique en raison de leur hétérogénéité, de leur toxicocinétique variée et des variations potentielles de leurs mécanismes d'action. Cette complexité rend inappropriée l'utilisation des TEF dans l'évaluation de la toxicité des mélanges de PFAS.
SG : Quel rôle la bioremédiation peut-elle jouer dans l'élimination des PFAS ?
TD : La bioremédiation est un processus remarquable qui exploite le pouvoir métabolique des micro-organismes et de leurs enzymes pour décomposer les contaminants. Elle est rentable et respectueuse de l'environnement – elle ne fait pas appel à des substances chimiques nocifs ou à l'incinération.
Je pense que la bioremédiation est une solution prometteuse, mais largement inexploitée, qui pourrait bientôt améliorer de manière significative la gestion de la contamination par les PFAS. Cette conviction m'a amené à fonder ASPIDIA, une jeune entreprise qui se consacre à la réalisation de projets de recherche axés sur la bioremédiation des PFAS.
Malheureusement, l'obtention d'un financement pour de telles entreprises peut s'avérer très difficile en Italie. Je vous suis très reconnaissant pour vos efforts de sensibilisation à cette question. J'espère que dans un avenir assez proche, nous serons en mesure de réunir les fonds nécessaires pour mener des recherches scientifiques importantes dans le domaine de la bioremédiation – un domaine qui pourrait avoir d'immenses effets bénéfiques sur notre santé et sur l'environnement. Votre soutien est inestimable pour faire de cette vision une réalité.
SG : Si vous étiez l'autorité de réglementation, quelle serait votre approche pour réglementer les PFAS ?
TD : En tant que régulateur, mon approche serait ciblée et stratégique, se concentrant principalement sur la gestion des composés PFAS connus pour présenter des risques élevés – qui sont peu nombreux, moins d'une douzaine. Pour les autres PFAS, il serait essentiel de procéder à une évaluation individuelle de leurs propriétés toxicologiques, en examinant chaque substance au cas par cas. Il est à noter que les fabricants procèdent déjà à certains aspects de cette évaluation et qu'une mise en œuvre plus poussée n'entraînerait pas d'augmentation significative des coûts.
En même temps, je voudrais souligner l'importance des process industriels qui minimisent les émissions de substances potentiellement toxiques dans l'environnement. J'aimerais encourager les efforts de recherche et de développement, en particulier dans le domaine prometteur de la biorémédiation.
Cette approche à multiples facettes conduirait en fin de compte à une protection plus efficace de la santé humaine et de l'environnement, réduisant ainsi de manière significative les impacts négatifs potentiels sur le bien-être et la qualité de vie des citoyens.
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[1] « Les PFAS sont constitués d'une chaîne de carbone entièrement (per) ou partiellement (poly) fluorée reliée à différents groupes fonctionnels ». Agence Européenne des Produits Chimiques
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* Susan Goldhaber, M.P.H., est une écotoxicologue qui a plus de 40 ans d'expérience dans des agences fédérales et d'État ainsi que dans le secteur privé. Elle s'intéresse particulièrement aux produits chimiques présents dans l'eau potable, l'air et les déchets dangereux. Elle se concentre actuellement sur la traduction des données scientifiques en informations utilisables par le public.
Source : Insights into the European Approach to PFAS | American Council on Science and Health (acsh.org)