Matière organique du sol, gaz à effet de serre et agriculture biologique : pas terrible !
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Nature Climate Change a publié un article d'une équipe franco-britannique, « Soil organic carbon stocks potentially at risk of decline with organic farming expansion » (les stocks de carbone organique du sol risquent de diminuer avec l'expansion de l'agriculture biologique).
Les auteurs en sont Ulysse Gaudaré, Matthias Kuhnert, Pete Smith, Manuel Martin, Pietro Barbieri, Sylvain Pellerin et Thomas Nesme. Les auteurs français sont affiliés à l'INRAE... oups ! INRAE, quatre d'entre eux à ISPA (Interactions Sol Plante Atmosphère), Bordeaux Sciences Agro.
Nous ne disposons que du résumé et ne sommes pas disposé à payer la « modique » somme de 25 euros moins un centime pour un accès limité dans le temps.
Le voici (découpé) :
« L'agriculture biologique est souvent considérée comme une stratégie permettant d'augmenter le stock de carbone organique du sol (COS) des terres cultivées. Cependant, les fermes biologiques n'occupent actuellement qu'une petite fraction des terres cultivées, et on ne sait pas exactement comment l'expansion à grande échelle de l'agriculture biologique aura un impact sur les apports de carbone dans le sol et sur les stocks de COS.
Nous utilisons ici un modèle biogéochimique spatialement explicite pour montrer que la conversion complète des terres cultivées mondiales à l'agriculture biologique sans utilisation de cultures de couverture et de résidus végétaux (scénario normatif) entraînera une réduction de 40 % de l'apport de carbone dans le sol et une baisse de 9 % des stocks de COS.
Un scénario biologique optimal favorisant l'utilisation généralisée de cultures de couverture et le recyclage accru des résidus réduira l'apport de carbone dans le sol de 31 %, et le COS pourra être préservé 20 ans après la conversion à l'agriculture biologique.
Ces résultats suggèrent que l'expansion de l'agriculture biologique pourrait réduire le potentiel de piégeage du carbone dans le sol, à moins que des pratiques agricoles appropriées ne soient mises en œuvre. »
Ce n'est pas terrible comme résumé et cela donne l'impression sur la fin qu'on a cherché à rester « politiquement correct ».
Sauf erreur, il n'y a pas d'autres éléments sur internet... Pas de communiqué de presse – tonitruant – de l'INRAE... oups ! INRAE.
Mais quelques recherches ont mené à la présentation d'une soutenance de thèse de M. Ulysse Gaudaré. La voici, également découpée :
« L’expansion de l’agriculture biologique permettrait-elle d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole ? Une approche systémique à l’échelle mondiale.
L’agriculture et les autres usages des terres sont responsables de 23% des émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre (GES). Pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris, il est nécessaire de réduire les émissions de GES dans tous les secteurs y compris l’agriculture.
L’Agriculture Biologique (AB) apparait comme un modèle agricole prometteur du fait (i) du non recours aux engrais azotés de synthèse – et de la réduction des émissions de N2O associées – et (ii) de pratiques favorisant le stockage de carbone (C) dans les sols – et donc le retrait de CO2 atmosphérique.
Cependant l’AB est souvent critiquée pour ses rendements plus faibles, engendrant potentiellement des changements d’usage des terres si ce mode de production se développait.
Plusieurs études ont estimé que la généralisation de l’AB serait de nature à atténuer les émissions de GES d’origine agricole (de -3 à -40%), mais celles-ci n’ont pas tenu compte des rétroactions systémiques potentielles que le développement de ce mode de production pourrait générer. Ces rétroactions sont principalement le fait d’une plus forte compétition pour les ressources fertilisantes organiques avec une potentielle cascade d’effets menant à
(i) une réduction de la disponibilité en azote pour les cultures engendrant une réduction des rendements,
(ii) une réduction des entrées de C et des stocks de C dans les sols agricoles et
(iii) des changements d’usage des terres liés à un besoin accru de surfaces agricoles.
Si l’effet de ces rétroactions sur la production alimentaire mondiale a été étudié dans une récente étude, leurs effets sur les émissions de GES n’ont encore jamais été explorés à l’échelle mondiale.
L’objectif de cette dissertation est d’évaluer l’effet d’une généralisation de l’AB – ainsi que des rétroactions systémiques qu’elle engendre – sur les émissions de GES d’origine agricole.
Pour répondre à cet objectif, nous avons couplé le modèle GOANIM – modèle simulant la disponibilité en azote et ses conséquences sur la productivité des cultures dans des scénarios de généralisation de l’AB – à trois autres modèles : le modèle N2O-CH4 adapté des directives du GIEC pour estimer les émissions de N2O et CH4 des activités agricoles, un modèle simulant la dynamique du C dans les sols agricoles (RothC) pour estimer les changements de stocks de carbone organique des sols et un modèle visant à estimer un changement de besoin en terres agricoles en fonction des rendements agricoles et des régimes alimentaires (GlobAgri-AgT) pour estimer le changement d’usage des terres.
Les résultats obtenus montrent qu’une généralisation de l’AB verrait les émissions de GES d’origine agricole augmenter de 56% comparées aux émissions actuelles. Cette augmentation nette s’explique par
(i) une baisse de 60% des émissions annuelles de N2O et CH4 (-3.1 Gt CO2eq.an-1),
(ii) une augmentation des émissions de CO2 liée au déstockage du carbone des sols agricoles (+2.3 Gt CO2eq.an-1) et
(iii) des émissions de CO2 induites par des changements d’usage des terres (+3.7 Gt CO2eq.an-1).
De plus, nous avons trouvé une réponse non-linéaire des émissions mondiales de GES en fonction de la part des surfaces agricoles mondiales occupées par l’AB. Ainsi, dans un scénario où l’AB ne couvre que 20% des surfaces agricoles mondiales, les émissions de GES mondiales pourraient être réduites de 70%. Ce résultat suggère l’existence d’un développement optimal de l’AB minimisant les émissions de GES d’origine agricole.
Par ailleurs, nos résultats permettent d’identifier des pratiques en AB (comme la généralisation des cultures intermédiaires) qui permettraient d’améliorer les effets de l’AB sur les émissions de GES.
L’approche utilisée dans cette dissertation est une base méthodologique qui permettra l’analyse d’autres scénarios incluant une plus grande diversité de pratiques, apportant un éclairage sur les pistes ouvertes aux producteurs et décideurs publiques pour réduire les émissions de GES d’origine agricole.
Faut-il laisser cela brut de décoffrage ? Je ne pense pas.
Cela reste des Kriegsspiele sur tableur.
Et cela reste enfermé dans le carcan d'une idéologie antiscientifique.
L'agriculture biologique ne refuse pas seulement les engrais de synthèse (sauf lorsqu'ils ont été « blanchis » par le passage sur un champ cultivé ou dans l'estomac d'un animal élevé dans le cadre de l'agriculture conventionnelle). Elle refuse aussi la protection phytosanitaire avec des produits de synthèse (avec quelques exceptions...), le progrès génétique moderne, etc.
Quels seraient les résultats si on adoptait une approche dynamique incorporant des progrès agronomiques dans les deux formes d'agriculture, en tenant compte des freins considérables qui s'exercent sur l'agriculture biologique ?
Cela ne devrait pas changer la conclusion générale. En tant que telle, l'agriculture biologique n'est pas favorable au stockage du carbone dans le sol.
Pour stocker – augmenter la teneur en matière organique du sol – il faut, d'une part, apporter de la matière organique. Étant entendu que quand on apporte de la matière organique provenant d'ailleurs – par exemple d'une exploitation conventionnelle ou d'un manège équestre – on procède à un enrichissement d'un côté et un appauvrissement de l'autre.
Les rendements moindres de l'AB en produits agricoles et alimentaires sont sans doute associés à des rendements moindres en résidus susceptibles de se transformer en humus.
On me rétorquera peut-être : « Ah oui, mais les rotations en bio, les cultures de trèfle et de luzerne pourvoyeuses de matière organique en agriculture biologique »... Mais l'AB n'en a pas le monopole et l'AC ne s'interdit pas ces cultures.
Il faut, d'autre part, minimiser les pertes. Là aussi, l'AB est pénalisée par le nécessaire recours à des façons culturales pour lutter contre les adventices.
On peut, bien sûr, essayer de ruser. Évoquer des « pratiques agricoles appropriées ». Cela ne change rien ou pas grand-chose aux fondamentaux car les pratiques bénéfiques sont aussi applicables dans l'agriculture que l'on appelle par convention et faute de mieux « conventionnelle ».