Décortiquer l'étude sur le sucralose
Chuck Dinerstein et Susan Goldhaber*
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Image : Clayton Majona de Pixabay
Un produit de dégradation et une substance chimique utilisée pour fabriquer le sucralose – le sucralose-6-acétate – peuvent-ils endommager notre ADN ? Comme c'est souvent le cas, cela dépend. En l'occurrence, il s'agit d'évaluer les dommages causés à l'ADN et l'exposition. Laissons de côté les titres effrayants et les confusions des médias, et voyons une analyse de l'étude.
La recherche est publiée dans le Journal of Toxicology and Environmental Health et porte sur les dommages causés à l'ADN par le sucralose, l'édulcorant, et son métabolite, le sucralose-6-acétate. De nombreux articles grand public ont commencé par parler du sucralose et n'ont abordé que beaucoup plus tard le sucralose-6-acétate, objet de l'étude, et les problèmes qu'il soulève.
Pour démêler l'étude sur le sucralose, nous devons comprendre la validité des tests utilisés et, pour nous assurer que nous partons tous du même point, commençons par quelques définitions.
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Cancérogénicité – se dit de toute substance, combinaison ou mélange de substances qui provoque une augmentation de l'incidence des néoplasmes bénins et/ou malins ou une diminution substantielle de la période de latence entre l'exposition et l'apparition des néoplasmes chez l'homme.
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Génotoxicité – effet destructeur affectant l'intégrité du matériel génétique des cellules (ADN, ARN).
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La clastogénicité est une forme de génotoxicité et se réfère à la capacité d'une substance ou d'un agent à induire des dommages chromosomiques, tels que des cassures ou des réarrangements, dans les cellules. Ces changements peuvent perturber la structure et la fonction normales du matériel génétique, ce qui peut entraîner une instabilité génétique et le développement d'un cancer.
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L'aneugénicité est une autre forme de génotoxicité et fait référence à la capacité d'une substance ou d'un agent à perturber le processus normal de division cellulaire (mitose ou méiose), entraînant un nombre anormal de chromosomes dans les cellules filles. Ce nombre anormal de chromosomes peut entraîner une instabilité génétique et le développement d'un cancer.
Tous les clastogènes ne sont pas directement liés au cancer. Comme pour tous les systèmes biologiques, la relation entre les clastogènes et le cancer est complexe. Le développement du cancer est multifactoriel et les clastogènes peuvent être l'un des nombreux facteurs qui y contribuent, mais ils n'en sont pas la seule cause. Pour les personnes sensibles, l'impact des clastogènes dépend de la dose et de la durée d'exposition – c'est la dose qui fait le poison.
L'étude dont il est question ici utilise plusieurs tests pour identifier les effets clastogènes et aneugènes du sucralose et du sucralose-6-acétate. Avant d'examiner les résultats, il convient de replacer les choses dans leur contexte.
L'objectif de ces tests est de protéger le public contre l'exposition à des substances chimiques nocives. D'une manière générale, le test idéal identifierait ces substances chimiques dangereuses avec peu de faux négatifs – la « sensibilité » du test – et de faux positifs – la « spécificité » du test. Les faux positifs imposent d'autres tests, généralement des tests de cancérogénicité chez nos amis les rongeurs. Ces protocoles de test sont coûteux et prennent du temps, de sorte que des tests plus récents, comme la cytométrie multi-flux, pourraient supplanter les tests mis au point il y a 30 ou 40 ans.
L'étude sur le sucralose a utilisé trois tests pour rechercher les propriétés clastogènes et aneugènes.
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Le test d'Ames – le test classique de mutagénicité – identifie les mutations chez Salmonella typhimurium et Escherichia coli. Vous trouverez une explication plus détaillée de ce test ici. Sa sensibilité est de 57 % et sa spécificité de 64 %.
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Un micronoyau (MN) in vitro de cellule de mammifère – « Les micronoyaux sont de petites structures extra-nucléaires produites par la rupture de l'ADN (clastogènes) ou induites par des aberrations chromosomiques numériques (aneugènes) ». Il a une sensibilité d'environ 75 % et une spécificité de 31 %. Il est considéré comme un test bien validé.
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Cytométrie multi-flux (CMF) – un « outil de dépistage » qui prédit si un composé peut être un clastogène ou un aneugène en se basant sur la présence de biomarqueurs après que les cellules ont été exposées au produit chimique concerné. Sa sensibilité est d'environ 91 % et sa spécificité de 97 %. Il est considéré comme un test bien validé, même s'il ne l'est pas autant que le test MN.
Les tests les plus récents, MN et CMF, sont peut-être plus précis que le test d'Ames classique ; ils sont également plus rapides et moins coûteux. L'amélioration de l'identification des génotoxines possibles en fait des candidats pour remplacer nos protocoles de test actuels et pourrait éliminer la nécessité d'effectuer des tests sur les animaux, mais cela n'a pas encore été le cas.
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Test d'Ames – « ...le sucralose-6-acétate et le sucralose étaient tous deux négatifs (non mutagènes)... »
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Micronoyaux (MN) – le sucralose-6-acétate était génotoxique à une dose de 1.000 μg/ml pendant 27 heures en l'absence d'activateurs métaboliques [1]. Il n'était pas génotoxique en présence de ces activateurs. Le sucralose lui-même n'a pas été testé. (Ces doses et ces « temps de séjour » ne sont pas des valeurs de la vie réelle).
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Cytométrie multiflux (CMF) – Le sucralose-6-acétate s'est révélé clastogène en présence ou en l'absence de ces activateurs métaboliques ; la concentration la plus faible pour laquelle une clastogénicité a été constatée était de 353 μg/ml. La clastogénicité n'a pas été identifiée pour le sucralose.
Les chercheurs ont effectué des tests supplémentaires portant sur les impacts métaboliques et physiologiques du sucralose et du sucralose-6-acétate. Tous deux augmentent la perméabilité de la paroi intestinale, ce qui pourrait favoriser le développement du syndrome de l'intestin perméable ; ils augmentent ou réduisent l'expression d'une série de gènes associés à l'inflammation, au stress oxydatif et au cancer ; et ils ont un impact sur les enzymes du foie, qui détoxifient les substances chimiques ou les médicaments.
Tels sont les résultats scientifiques, les faits. Mais le diable réside dans le fait de les relier entre eux.
Les tests effectués ont conclu que le sucralose-6-acétate est génotoxique, mais que les « effets néfastes potentiels sur la santé » n'ont pas encore été identifiés dans la littérature scientifique. En d'autres termes, aucun lien n'a été établi entre les effets génotoxiques du sucralose-6-acétate et le cancer. Cela est principalement dû au fait que personne n'a cherché, mais s'il y avait une relation forte et solide, quelqu'un aurait certainement enquêté.
« ...une seule portion de boisson contenant du sucralose peut contenir des niveaux de sucralose-6-acétate qui dépassent de 4 ordres de grandeur, voire plus, la valeur TTCgenotox de 0,15 µg/personne/jour. [...] La prise quotidienne répétée augmente l'exposition au sucralose-6-acétate car cette impureté persiste dans l'organisme pendant au moins 11 jours après l'arrêt de la consommation de sucralose ».
Le TTCgenotox est le seuil de préoccupation toxicologique (TTC – Threshold of Toxicological Concern) basé sur un risque de tumeur prévu de 1 sur un million, dérivé d'une analyse des substances chimiques génotoxiques en général. [2] Il s'agit d'un moyen pratique de hiérarchiser les évaluations ultérieures,
« lorsque les expositions sont très faibles et qu'il existe peu ou pas de données sur la toxicité. [...] [Il] n'est pas destiné à être appliqué aux substances chimiques qui sont réglementées et pour lesquelles il existe des exigences spécifiques concernant l'évaluation de leur dangerosité ».
Le sucralose n'est pas soumis à l'évaluation du TTC puisqu'il est approuvé par les autorités réglementaires aux États-Unis, au Canada, en Asie et dans la plus stricte d'entre eux, l'Europe.
On peut toujours craindre qu'une substance chimique génotoxique s'accumule au fil du temps, la demi-vie du sucralose-6-acétate étant d'environ 38 minutes. [3] En ce qui concerne la « persistance de cette impureté dans l'organisme », il convient de noter qu'il s'agit de l'organisme de 10 rats ayant reçu une dose moyenne de 80,4 mg/kg/jour pendant 40 jours. Compte tenu de la dose maximale de 300 mg/litre de sucralose réglementée par l'UE, un être humain typique de 70 kg doit ingérer plus de 18 litres de boissons édulcorées au sucralose par jour pour atteindre des niveaux comparables.
« Ces résultats soulèvent des questions de santé et de sécurité concernant la présence continue de sucralose dans l'approvisionnement alimentaire et indiquent qu'un réexamen du statut réglementaire doit être entrepris. »
Les résultats de la recherche soulèvent effectivement des inquiétudes. Peut-être que les tests sur lesquels nous nous appuyons pour découvrir la génotoxicité, qui datent maintenant de 30 ans, doivent être remplacés par des techniques plus sophistiquées. Mais cela nécessitera des études de validation que nous devrions poursuivre. Les inquiétudes suscitées par le sucralose et son métabolite, le sucralose-6-acétate, démontrent qu'en cherchant bien et suffisamment longtemps, nous découvrirons des changements physiologiques troublants.
Mais ces inquiétudes doivent être tempérées par une certaine dose de bon sens. La dose journalière de sucralose autorisée aux États-Unis est de 5mg/kg/jour. Un gâteau typique fait avec du Splenda contient 10 milligrammes de sucralose – personne ne mangera 35 gâteaux édulcorés au sucralose par jour ou ne boira 18 litres de boissons édulcorées au sucralose.
Les médias qui ont rendu compte de cette étude ont souvent mélangé l'effet du sucralose avec celui du sucralose-6-acétate et ont confondu génotoxicité et cancérogénicité, deux concepts liés mais très distincts. Ils ont écrit leurs articles pour attirer l'attention et faire la lumière sur eux-mêmes, et non sur leur sujet ou les besoins de leur lectorat. [1]
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[1] Ces activateurs métaboliques sont une préparation standard, la S9, dérivée de cellules hépatiques homogénéisées traitées d'une manière spécifique. Ils sont utilisés dans le test d'Ames, un test bactérien, pour reproduire plus fidèlement la génotoxicité chez l'homme, où ces activateurs métaboliques sont présents dans l'organisme.
[2] La TTC est basée sur une distribution de fréquence des doses sans effet nocif observé (DSENO – NOAEL en anglais) au 5e percentile.
[3] La règle générale est que 97 % ou plus de la substance chimique disparaît après 4 à 5 demi-vies ; dans le cas du sucralose-6-acétate, cela correspond à un peu plus de 3 heures.
Sources : Toxicological and pharmacokinetic properties of sucralose-6-acetate and its parent sucralose: in vitro screening assays (propriétés toxicologiques et pharmacocinétiques du sucralose-6-acétate et de son parent le sucralose : essais de dépistage in vitro) Journal of Toxicology and Environmental Health DOI : 10.1080/10937404.2023.2213903
Search for the optimal genotoxicity assay for routine testing of chemicals: Sensitivity and specificity of conventional and new test systems (recherche de l'essai de génotoxicité optimal pour les tests de routine des substances chimiques : sensibilité et spécificité des systèmes de test conventionnels et nouveaux. Mutation Research: Genetic Toxicology and Environmental Mutagenesis DOI : 10.1016/j.mrgentox.2022.503524
Threshold of Toxicological Concern Approach in Regulatory Decision Making: The Past, Present, and Future (approche du seuil de préoccupation toxicologique dans la prise de décision réglementaire : le passé, le présent et l'avenir) Présentation de l'EPA
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* Directeur de la médecine. Le Dr Charles Dinerstein, M.D., MBA, FACS, est le directeur médical de l'American Council on Science and Health. Il a plus de 25 ans d'expérience en tant que chirurgien vasculaire.
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* Susan Goldhaber, M.P.H., est une écotoxicologue qui a plus de 40 ans d'expérience dans des agences fédérales et d'État ainsi que dans le secteur privé. Elle s'intéresse particulièrement aux substances chimiques présentes dans l'eau potable, l'air et les déchets dangereux. Elle se concentre actuellement sur la traduction des données scientifiques en informations utilisables par le public.
Source : Breaking Down the Sucralose Study | American Council on Science and Health (acsh.org)