Mon expérience avec une journaliste santé sur l'aspartame
David Zaruk (Risk-monger)*
Avant-propos (André Heitz) : Un groupe de travail du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) s'est réuni du 6 au 13 juin 2023 pour évaluer la cancérogénicité de l'aspartame, en termes de danger. Le Comité d'Experts Conjoint FAO/OMS sur les Additifs Alimentaires (JECFA) s'est réuni du 27 juin au 6 juillet 2023 pour procéder à une évaluation des risques, y compris un nouvel examen de l'exposition à l'aspartame par l'alimentation et de la dose journalière admissible.
Il était prévu de publier les résultats de ces travaux conjointement, le 14 juillet 2023, à l'évidence pour éviter un emballement médiatique (et plus... voir l'article ci-dessous) sur la base de la seule classification du CIRC, comme cela s'est déjà produit par le passé. Les conclusions des travaux devaient rester confidentielles dans l'intervalle.
Quelqu'un a brisé le silence, s'agissant du CIRC et a fait amorcer la machine médiatique à créer de l'angoisse...
Et aujourd'hui, 14 juillet, le CIRC a réussi son coup, comme le montre cet article du Monde, avec Reuters (surprise, surprise, Reuters). Il y a même le coup maintenant classique de la confusion entre l'OMS et le CIRC : « L’aspartame vient pourtant d’être reconnu comme "cancérogène possible" par l’OMS ».
Dans cet article, le communiqué de presse à l'en-tête de l'OMS est passé à l'as (les traducteurs français avaient piscine [additif de 14 heures : il est maintenant en ligne]). Mais il a servi de base à un autre article du Monde. Mais c'est toujours le classement du CIRC qui est mis en avant dans le titre.
Dans le concert d'articles biaisés et anxiogènes, la BBC se distingue : « Aspartame advice unchanged despite cancer question » (le conseil sur l'aspartame reste inchangé malgré la question du cancer).
La profession de journaliste spécialisé dans la santé est au plus bas... et va probablement encore plus bas. Avec l'avalanche d'articles qui a suivi la fuite bien orchestrée du CIRC sur l'aspartame, beaucoup de choses sont dites par de nombreux organes de presse, mais peu de choses sont factuelles.
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les principaux médias n'utilisent pas les recherches du Risk-Monger, alors qu'elles sont mises gratuitement à leur disposition ? Il a même offert des prix au premier journaliste grand public qui reprendrait son exposé sur les 30 transgressions éthiques au cœur du CIRC. Mais le Risk-Monger ne dit pas des choses que les journalistes de santé voudraient publier et ne passe pas son temps à leur demander de l'encre. Ces journalistes n'entendent que ce qu'ils veulent entendre et ne communiquent qu'avec ceux qui les alimentent en scandales sur l'industrie alimentaire. En d'autres termes, la plupart des journalistes qui traitent des questions de santé et d'environnement sont devenus partiaux et paresseux.
J'ai récemment eu une interaction intéressante avec une journaliste santé de l'un des plus grands journaux américains. J'ai plus appris d'elle et de sa façon de pratiquer son métier qu'elle n'a appris de moi. Voici le récit de mon expérience.
Le jeudi 29 juin a commencé par l'habituelle longue expiration de Monger devant l'écran dans son sous-sol poussiéreux. Reuters avait publié un article annonçant que la monographie 134 du CIRC avait conclu que l'aspartame était « peut-être cancérigène » (2B). Ce n'était pas une surprise et c'était une décision éditoriale assez sûre. Le CIRC a conçu son modèle d'évaluation des risques pour conclure automatiquement que toute substance est cancérigène (littéralement à coup sûr). J'ai été contrarié par le fait que l'article de Reuters s'appuyait sur une grande partie de mes recherches (l'influence du Collegium Ramazzini, les lettres américaines et japonaises à l'OMS...), mais qu'il avait choisi de ne pas citer mon travail.
J'ai ensuite reçu un courriel d'une journaliste d'un grand journal américain me demandant une interview. Pour respecter sa vie privée, je l'appellerai simplement « Bambi ». J'avais critiqué son article de la semaine précédente en le qualifiant de « hamburger sans intérêt au service des militants anti-aspartame ». Elle était curieuse de savoir qui avait divulgué les résultats du CIRC à Reuters. J'ai partagé le fil de discussion sur Twitter de Peter Lurie, directeur de l'ONG anti-industrie alimentaire Center for Science in the Public Interest (CSPI), qui était représenté par un observateur au CIRC.
Bambi a répondu presque immédiatement qu'elle venait d'avoir un appel de Peter Lurie qui disait que la fuite ne venait pas de lui. Ce responsable d'une ONG militante dans le domaine de la santé était-il en train de nourrir et de cadrer la journaliste ? Elle a ensuite fait valoir que, dans son fil Twitter, Peter avait utilisé le conditionnel « si » comme dans la citation qu'elle avait reçue de lui pour l'article qu'elle avait écrit la semaine précédente.
Bambi ne voulait pas croire que son ange gardien, Peter Lurie, pouvait se tromper. Lorsque je lui ai fait remarquer que, dans le tweet, son conditionnel « si » faisait référence à la FDA et non au CIRC, elle est passée à la question suivante : pourquoi le Risk-Monger déteste-t-il tant Ramazzini ? Au moins, Lurie a pris le temps de lire mes articles.
Lorsque l'article de Bambi contenant plusieurs paragraphes de citations de Peter Lurie est sorti, il l'a retweeté (et Bambi a retweeté le tweet de Peter). Son article ne contenait aucune information, mais voulait simplement signaler que le CIRC s'était réuni pour discuter de l'aspartame et du cancer (lorsque des articles sont publiés sans aucune information ou nouvelle, c'est probablement le résultat d'une campagne médiatique activiste).
Voyant que cette journaliste, qui écrit pour l'un des plus grands journaux américains, agissait au nom d'un activiste d'une organisation qui avait assisté à la réunion du CIRC en tant qu'observateur et qui s'intéressait aux conséquences de la monographie du CIRC sur l'aspartame, j'ai commencé à considérer tout contact ultérieur avec elle comme une perte de temps pour nous deux. Je lui ai écrit :
« Désolé Bambi, mais si le CSPI vous a en numérotation rapide, je ne suis pas sûr qu'une conversation avec moi vaille la peine que vous y consacriez du temps. Mon groupe de chercheurs n'insiste pas sur nos histoires et nous pouvons facilement être ignorés.
Mais je suis toujours prêt à me laisser surprendre. »
Bambi m'a tout de même demandé de tester certaines de ses « hypothèses », en supposant que la fuite de Reuters provenait de l'industrie.
« Je suppose que Reuters ne fonderait pas une "fuite" sur votre tweet couplé à celui du CSPI, et je suppose donc que la fuite provient d'observateurs favorables à l'industrie. »
Cette journaliste était-elle sérieuse dans son travail ou avait-elle simplement besoin de prétendre qu'elle parlait à toutes les parties ? Peter Lurie, du CSPI, a donné à Bambi sa partition sur la théorie du complot de l'industrie et lui a dit de s'en servir (« Oh, et voici une nuisance à Bruxelles que vous devriez supprimer en cours de route »). J'ai déjà été entraîné sur cette voie de faux semblants et je connais très bien les types de racailles qui se cachent dans l'ombre.
Une simple recherche sur Google montre que Bambi a cité Peter Lurie dans au moins sept de ses articles au cours des trois dernières années dans ce grand journal. Le journalisme par procuration à son meilleur !
J'ai senti que Bambi était gravement induite en erreur par cet activiste prédateur, et je suis donc revenu aux motivations du directeur du CSPI (qui semble passer plus de temps à répandre sa bile anti-entreprises dans les médias qu'à faire quoi que ce soit de positif pour les consommateurs). J'ai essayé de lui faire voir le bourbier dans lequel Peter Lurie l'entraînait.
« Remarquez que dans cette partie du fil de discussion, il a insisté sur l'effet attendu sur l'industrie. Il sait très bien que le but de ce spectacle est de produire une référence d'agence scientifique pour que les avocats américains puissent poursuivre l'industrie (comme pour le glyphosate, le talc...). »
Cette remarque est tombée dans l'oreille d'un sourd et le courriel suivant de Bambi portait sur ce qu'il adviendrait de l'industrie et de ses produits. Je commençais à m'agacer car elle ne faisait que lire des points du document d'information du CSPI. Combien de temps Peter Lurie a-t-il passé à préparer Bambi à parler en son nom par l'intermédiaire de l'un des plus grands journaux américains ? Combien d'autres journalistes ce militant arrogant a-t-il en numérotation abrégée ?
Bambi n'a aucune idée de la stratégie Predatort (des avocats américains spécialisés dans la responsabilité civile [tort] qui utilisent leurs scientifiques pour obtenir des monographies du CIRC afin de créer des preuves permettant d'extorquer des milliards à l'industrie) parce que, tout simplement, personne ne lui a transmis ces informations. On lui racontait des histoires sur l'industrie qui essayait d'empoisonner les consommateurs pour faire du profit. Ce type de scandale pouvait être vendu plus facilement à son rédacteur en chef et à ses lecteurs, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de creuser d'autres pistes. Cela ne valait pas le temps de Bambi, qui ne pouvait donc pas trouver une raison de se donner la peine d'examiner d'autres idées. Elle était devenue paresseuse et comme elle nageait dans une mer de préjugés, personne ne lui en tenait rigueur.
Mais le professeur en moi a tout de même essayé de lui expliquer ce qui se passait réellement.
« Vous semblez ne pas comprendre l'essentiel : il s'agit de poursuivre Coca-Cola. Il y a dix ans, il suffisait qu'une agence ou une organisation déclare que le glyphosate était probablement cancérigène, et à ce jour, une seule l'a fait, pour que des cabinets d'avocats poursuivent Monsanto en utilisant les scientifiques de Ramazzini comme consultants en litiges (très bien payés) et les ONG qui avaient coordonné leurs campagnes anti-Monsanto. Sans aucune preuve réelle, ils ont forcé Bayer à accepter un règlement pour 11 milliards de dollars, dont très peu ont été versés aux 100.000 victimes qui se sont plaintes.
Ainsi, le 14 juillet, attendez-vous à voir des publicités télévisées en fin de soirée invitant les gens à se joindre aux procès de masse contre Coke. Combien pensez-vous qu'ils obtiendront de Coke ? Les avocats, pas les plaignants ? Lurie fait partie du jeu et il veut que vous soyez son idiote utile. Il sera également témoin dans les affaires – 500 dollars de l'heure. Fait amusant : Ramazzini a fait pression sur le CIRC pour qu'il rédige une monographie sur la 5G – il a reçu des fonds d'une ONG anti-5G pour réaliser une étude. Si Coke n'est pas assez gros, pensez à Apple. »
Il n'y a pas eu d'autre réponse ou question par courriel. Le Risk-Monger vient de tirer sur Bambi.
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Après cet échange ennuyeux, je me suis posé des questions : comment le journalisme dans le domaine de la santé a-t-il pu passer de la fourniture d'informations importantes sur les découvertes de la recherche et les conseils sur le bien-être à la fonction d'idiots utiles et de porte-voix d'ONG anticapitalistes et alarmistes ? Ma conclusion est que la profession est largement peuplée de jeunes idéalistes naïfs fraîchement sortis de l'université, d'incompétents inutiles ou d'activistes partiaux qui considèrent qu'un bureau au Monde est plus efficace pour atteindre leurs objectifs qu'un costume d'abeille d'une ONG.
Il y a une quinzaine d'années, j'ai participé à un programme universitaire belge visant à former des étudiants en journalisme invités des États-Unis (un semestre à l'étranger pour se familiariser avec la politique européenne et les médias). À l'époque, les réseaux sociaux émergeaient pour secouer les toiles d'araignée des médias traditionnels et j'avertissais mes étudiants qu'ils devraient devenir des entrepreneurs pour survivre. Et il y a bien eu un bouleversement. Ceux qui ont survécu aux coupes budgétaires ont dû rédiger beaucoup plus de textes et faire moins de recherches, certains activistes ont commencé à occuper gratuitement les postes vacants et le journalisme d'investigation a disparu. C'est à cette époque que j'ai lancé mon blog Risk-Monger et que j'ai compris qu'il fallait que quelqu'un prenne le temps de se plonger dans les preuves négligées.
Quelles ont été les conséquences de ces bouleversements pour le journalisme papier ? Les sources de revenus se sont taries (abonnements, petites annonces, publicité...) et le nombre de journalistes a considérablement diminué. Cela a créé un monde où les informations sont produites pour des échotiers à la recherche d'influenceurs tribaux afin de renforcer les biais de confirmation. Ceux qui occupaient encore des bureaux de presse devaient choisir ceux qui pouvaient les aider et ignorer les autres par pur triage. Des personnalités comme Peter Lurie, du Center for Science in the Public Interest, ont ainsi pu influencer des millions de personnes par un simple coup de fil à une Bambi naïve.
Comme la rémunération est nulle, ce bureau aura bientôt un nouvel occupant (et Peter devra recommencer le processus de « formation »). Le journalisme dans le domaine de la santé va encore se dégrader.
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* David pense que la faim, le SIDA et des maladies comme le paludisme sont les vraies menaces pour l'humanité – et non les matières plastiques, les OGM et les pesticides. Vous pouvez le suivre à plus petites doses (moins de poison) sur Twitter ou la page Facebook de Risk-monger.
Source : My Experience with a Health Journalist on Aspartame – The Risk-Monger