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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Liberté d'expression et diffusion des connaissances scientifiques

27 Juillet 2023 Publié dans #Etats-Unis d'Amérique

Liberté d'expression et diffusion des connaissances scientifiques

 

Barbara Pfeffer Billauer, ACSH*

 

 

Image : Myriams-Fotos de Pixabay

 

 

Ma note : Ça se passe aux États-Unis d'Amérique. Quand une Cour de justice s'occupe de science, cela peut dérailler... En France aussi ! On pourra lire à cet égard, sur une autre thématique, l'excellent « Glyphosate : une dangereuse dérive de la justice » de M. Gil Rivière-Wekstein.

 

Lorsque des critiques négatives de son produit, alors majeur, ont été publiées dans le Journal of the American Society of Anesthesiologists (ASA), le fabricant a prétendu qu'il s'agissait d'une diffamation commerciale et a intenté un procès. Il a perdu. La décision de la Cour repose sur le droit constitutionnel à la liberté d'expression des chercheurs et du rédacteur en chef. La Cour a pris la bonne décision, mais pour de mauvaises raisons. Est-ce important ?

 

 

L'affaire concerne le médicament Exparel (bupivacaïne liposomale), approuvé par la FDA, un anesthésique local à longue durée d'action utilisé pour contrôler la douleur post-chirurgicale et fabriqué par Pacira Biosciences, Inc. L'édition de février 2021 de l'ASA Journal contenait une analyse clinique de 76 études et une méta-analyse de neuf études, concluant que le médicament n'est « pas supérieur aux anesthésiques standard ». Ces résultats sont repris dans l'éditorial. À l'époque, les actions de Pacira se négociaient à plus de 75 dollars ; en octobre, elles avaient chuté à 48 dollars. En 2020, l'Exparel représentait la quasi-totalité du chiffre d'affaires total de Pacira.

 

Pacira aurait pu avoir des raisons d'être mécontente. L'éditorial « incriminé » se lisait comme suit :

 

« Bupivacaïne liposomale : Efficace, d'un bon rapport coût-efficacité ou (simplement) coûteuse ? »

 

La plainte de Pacira se lit comme si elle avait été victimisée. Elle affirme que les études ont abouti à des conclusions non qualifiées, qu'elles ont fait du cherry-picking, sélectionné des études défavorables, qu'elles ont utilisé des méthodologies défectueuses, qu'elles ont généralement ignoré les études favorables au médicament et que deux auteurs n'ont pas divulgué leurs conflits d'intérêts financiers. Ils affirment également que l'ASA a proposé un programme de formation médicale continue (FMC) qui contenait des réponses basées sur ces articles (à savoir que l'Exparel est « inférieur » à l'anesthésique standard), ainsi que la publication d'un podcast reprenant ces conclusions.

 

Pacira a donc intenté un procès pour diffamation commerciale, affirmant que les conclusions étaient (entre autres) biaisées ou fondées sur des études biaisées.

 

 

Liberté d'expression et diffamation commerciale

 

La diffamation commerciale est une forme de diffamation appliquée aux produits. Alors que la diffamation est un recours pour atteinte à la réputation d'une personne, la diffamation commerciale est un recours pour atteinte à la réputation d'un bien ou d'un produit. Il s'agit dans les deux cas d'exceptions aux protections générales de la liberté d'expression, qui reconnaissent un intérêt particulier à protéger la libre circulation des « informations commerciales ». Pour rendre sa décision, la Cour s'est appuyée sur le droit de la liberté d'expression, en catégorisant trois composantes de l'expression et leurs protections en matière de liberté d'expression.

 

 

Le contenu

 

« Si une déclaration peut être interprétée comme un fait ou une opinion, nous devons l'interpréter comme une opinion [et] par conséquent, elle ne peut donner lieu à une action [couronnée de succès]»

 

La Cour a relevé plusieurs formes de contenu sur lesquelles repose la détermination du bien-fondé de la plainte :

 

  • L'opinion – qui n'est jamais susceptible de donner lieu à une action couronnée de succès.

  • Les opinions « mixtes » fondées sur des faits non divulgués – qui ne peuvent généralement pas donner lieu à une action en justice.

  • Les faits –qui peuvent donner lieu à une action en justice.

  • Les ambivalences – qui ne peuvent donner lieu à une action.

 

Comme la Cour a qualifié les descriptions des auteurs, à savoir « analgésique inférieur » ou « pas supérieur », de langage « vague » ou figuratif, elle a conclu que ce langage devait être classé dans la catégorie des hyperboles rhétoriques ne donnant pas lieu à une issue favorable dans une action en justice.

 

Pour parvenir à sa décision, la Cour s'est appuyée sur des avis juridiques concernant la publicité : « la question de savoir si quelque chose est le "meilleur" est hautement spéculative et presque toujours une question d'opinion ». Comparant le discours scientifique à des publicités commerciales, la Cour a jugé que le lectorat scientifique ne serait pas induit en erreur par les articles de la revue, qu'elle a indirectement comparés à de la « publicité mensongère ».

 

« Si les déclarations de supériorité relative [...] n'induisent pas en erreur le consommateur moyen, des déclarations similaires faites dans une revue universitaire n'induiront pas en erreur les experts qui lisent l'article. »

 

 

Vérifiabilité

 

« Le fait d'exiger qu'une déclaration soit vérifiable [avant qu'une action puisse être intentée] garantit que les défendeurs ne sont pas punis pour avoir exercé leur droit d'exprimer leurs pensées, conformément au premier amendement. »

 

Deuxièmement, la Cour discute de la vérifiabilité, qu'elle interprète à tort comme la question de savoir si une déclaration scientifique est « capable de vérité [...] ou de fausseté », avant de déterminer que les conclusions de l'article étaient provisoires, non vérifiables et, par conséquent, non susceptibles de donner lieu à une issue favorable dans une action en justice.

 

En prenant sa décision, la Cour confond la vérifiabilité et la fiabilité scientifiques tout en accusant Pacira de la même erreur. En science, la vérifiabilité signifie testable, tandis que la fiabilité signifie répétable – et non pas digne de confiance, comme le pense la Cour. En science, le concept de vérifiabilité est incongru avec la fiabilité d'une étude. Dans un langage qui laisse perplexe, la Cour conclut que les objections de Pacira portent sur la fiabilité, qui n'est pas pertinente ; par conséquent, leur demande ne peut donner lieu à une issue favorable dans une action en justice.

 

« De simples différends sur la fiabilité de la méthodologie divulguée dans une étude scientifique ne peuvent donner lieu à une action en diffamation commerciale, car ces différends ne portent pas sur la question de savoir si les déclarations elles-mêmes sont vérifiables. »

 

Tout en notant que le discours scientifique serait freiné par la poursuite de l'action, la Cour estime que les déclarations en question sont des conclusions scientifiques provisoires et donc non vérifiables [1] – et s'appuie sur les sections « limitations » typiques des études pour prouver leur nature incertaine. En outre, comme l'une des études soulève des questions « ouvertes à d'autres recherches », la Cour conclut que les articles ne sont ni vérifiables ni fondés sur des faits. Les auteurs sont donc à l'abri de toute poursuite.

 

« La plupart des conclusions contenues dans un article de revue scientifique sont, en principe, susceptibles d'être vérifiées ou réfutées au moyen d'une preuve objective. [...]En même temps, cependant, c'est l'essence même de la méthode scientifique que les conclusions de la recherche empirique soient provisoires et sujettes à révision. [...] »

 

Pour résoudre la quadrature du cercle, la Cour est obligée de conclure que « parce que les conclusions "scientifiques" sont sujettes à une révision perpétuelle, elles ne sont pas vérifiables ». Cela débouche sur l'incroyable considérant suivant : « [P]arce qu'une "conclusion scientifique" est sujette à révision, [elle] n'est pas un fait ».

 

De telles conclusions rabaissent l'intégrité des normes de recherche requises pour la publication, mettent en cause le processus d'évaluation par les pairs, démontrent une ignorance de l'importance de ces recherches et obligent la Cour à « parler des deux côtés de la bouche », à tenir des propos contradictoires.

 

 

Les conclusions scientifiques sont-elles des faits ?

 

Étant donné que la plupart des résultats scientifiques sont susceptibles d'être révisés, il faut en conclure que la science ne repose pas sur des faits. Cette conclusion n'est ni rassurante ni socialement optimale lorsque de fausses conclusions scientifiques, telles que « les vaccins ne fonctionnent pas », sont diffusées sur les réseaux sociaux et dans des revues payantes.

 

« [Le contexte est déterminé par] le moyen par lequel la déclaration est diffusée et le public auquel elle est destinée. »

 

La décision conclut que les lecteurs de l'ASA « sont les mieux placés pour identifier les opinions » et « choisissent de les accepter ou de les rejeter sur la base d'une évaluation indépendante des faits ».

 

En élargissant le concept de contexte, nous pouvons examiner le contexte qui a donné naissance à la question et à l'éditorial de l'ASA :

 

L'Exparel a été autorisé par la FDA en 2009. L'approbation de la FDA n'est pas subordonnée à la supériorité par rapport aux médicaments existants, mais simplement à la sécurité et à l'efficacité par rapport à un placebo. Pacira a présenté des études portant sur des médicaments apparemment comparables, montrant la supériorité de son produit. Près de la moitié de ces études tombent sous le coup de la même accusation que Pacira porte aux auteurs de l'article de l'ASA : il semble qu'elles aient été fortement biaisées et/ou soutenues par l'industrie.

 

Les auteurs de la méta-analyse ont conclu :

 

« Utilisée par voie périnéale dans les blocs nerveux périphériques, la bupivacaïne liposomale apporte une amélioration cliniquement non importante […] des scores de douleur postopératoire par rapport à la bupivacaïne non liposomale. [...] Des preuves de haute qualité ne soutiennent pas l'utilisation de la bupivacaïne liposomale périneurale par rapport à la bupivacaïne non liposomale pour les blocs nerveux périphériques ».

 

Les auteurs de la revue clinique sont à la fois plus nuancés et plus indignés par la poursuite de l'utilisation de la bupivacaïne liposomale :

 

« [...] la prépondérance des preuves actuelles ne permet pas de soutenir l'utilisation systématique de la bupivacaïne liposomale par rapport aux anesthésiques locaux standard dans le traitement de la douleur postopératoire. [...] [A]vant une adoption généralisée, il incombe à ceux qui proposent de passer à la bupivacaïne liposomale de fournir des données de haute qualité [...] avec un faible risque de biais, démontrant de manière concluante des avantages qui justifient la multiplication par 100 du coût par rapport à la bupivacaïne non encapsulée ».

 

Ces déclarations sont loin d'être provisoires. De plus, elles sont fondées sur des études testables, c'est-à-dire vérifiables (et testées). Pourtant, en défendant les publications de l'ASA, la Cour a recours à des arguments constitutionnels, banalisant l'importance des articles et les recommandations des chercheurs. Les médecins lisent ces articles précisément parce qu'ils n'ont pas le temps, ou dans certains cas, l'expertise, d'examiner eux-mêmes les données sous-jacentes. Lorsque les tribunaux rejettent le contenu de revues publiées par des organisations médicales respectées sur des bases juridiques inadaptées au lieu d'utiliser les normes d'évaluation des preuves scientifiques telles qu'elles ressortent des affaires Daubert et Joiner, les soins médicaux risquent d'en pâtir.

 

La Cour aurait pu noter que la coutume et la pratique en médecine veulent que les auteurs soient libres (et souvent invités) à écrire des points de vue détaillés apportant la contradiction. Par ailleurs, Pacira aurait pu attaquer la méta-analyse, en publiant ses conclusions et en exposant ses objections et revendications spécifiques. Enfin, la Cour aurait pu dire que le consensus de la communauté scientifique n'est pas d'accord avec Pacira ; par conséquent, il appartient à la catégorie des sciences solides et légalement admissibles.

 

Voici ce que le rédacteur en chef de l'ASA avait à dire :

 

« Pourquoi tout cela est-il important ? Les nouveaux médicaments peuvent être très rentables pour les sociétés pharmaceutiques. Une fois l'Exparel approuvé, Pacira Biosciences a lancé une stratégie de marketing agressive et puissante. Entre 2013 et 2019, ils ont versé 25,8 millions de dollars à plus de 27.000 médecins pour divers services, y compris une rémunération pour être conférencier ou enseignant lors d'événements éducatifs non accrédités. Les ventes de bupivacaïne liposomale ont augmenté pendant cette période, l'entreprise faisant état d'une croissance de 25 % en 2019 par rapport à 2018, avec des recettes annuelles de 421 millions de dollars en 2019. Le coût d'une dose unique de 266 mg de bupivacaïne liposomale de la marque Exparel est d'environ 334 dollars. La bupivacaïne non liposomale coûte environ 3 dollars par dose. »

 

Un parti pris, quelqu'un ?

 

___________

 

[1] Une différence essentielle entre la science et le droit réside dans le fait qu'en science, toutes les conclusions sont considérées comme des vérités provisoires susceptibles d'être révisées. En revanche, le droit considère la vérité comme une finalité à un moment donné.

 

Le Dr Barbara Pfeffer Billauer, JD MA (Occ. Health) Ph.D., est professeur de droit et de bioéthique au sein du Programme International de Bioéthique de l'Université de Porto et professeur de recherche sur l'art politique scientifique à l'Institute of World Politics à Washington DC.

 

Source : Free Speech Versus Disseminating Scientific Knowledge | American Council on Science and Health (acsh.org)

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