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Géraldine Woessner et la déontologie perdue d'un « conseil de déontologie »

26 Juillet 2023 Publié dans #Divers

Géraldine Woessner et la déontologie perdue d'un « conseil de déontologie »

 

 

(Source)

 

 

Résumé du scandaleux fiasco :

  • Le Point écrit en sous-titre : « Contrairement à des affirmations relayées par "Le Monde", "Libération" et Mediapart, le Samu des Deux-Sèvres ne s’est pas vu refuser d’apporter des soins aux blessés. »

  • Un particulier saisit le CDJM. Selon lui : « l’article du Point met en cause à tort trois médias – Libération, Le Monde et Mediapart -, qui, selon cet article, ont accusé les autorités publiques "d’avoir refusé [au Samu] d’apporter des soins aux blessés" […]

  • « Vérification faite par le CDJM, aucun des trois médias mis en cause par Le Point n’a effectivement affirmé que les autorités publiques avaient refusé d’apporter des soins aux blessés. […] »

  • Vérification faite par nous, le Point non plus, mais...

  • ...« Le CDJM [...] estime que les règles déontologiques d’exactitude et de respect de la véracité des faits [...] n’ont pas été appliquées par Le Point»

  • Le Monde, par exemple, avait titré... « Sainte-Soline : l’enregistrement qui prouve que le SAMU n’a pas eu le droit d’intervenir ».

  • Et puis non, le CDJM n'a rien trouvé à redire. Au contraire, il dédouane le Monde.

  • Moralité (une parmi d'autres) : selon que vous êtes dans le camp du Bien ou du Mal...

 

 

Connaissez-vous le CDJM ?

 

Le CDJM, c'est le Conseil de Déontologie Journalistique et de Médiation.

 

Selon la page d'accueil de son site Web – https://cdjm.org/ – le CDJM est « une instance de médiation entre les journalistes, les médias, les agences de presse et les publics sur toutes les questions relatives à la déontologie journalistique ».

 

Une dénomination et une description de la raison d'être ronflants, mais avez-vous remarqué quelque chose. « ...org » renvoie à une association loi 1901 et non à un organe officiel. Pour une entité qui entend promouvoir la déontologie, susciter des méprises sur son statut n'est pas vraiment... déontologique. Mais il semble que la création de ce cénacle ait été, disons, encouragée par l'omni-président et le gouvernement.

 

Cette entité est tripartite, avec un collège de journalistes (16 entités et 56 adhérents individuels), un collège d'éditeurs (17 entités et 13 adhérents individuels) et un collège public (14 entités et 22 adhérents individuels). C'est à l'évidence un petit club. Un club assez largement contesté, en témoigne cet article du... Point.

 

Pratiquant l'écriture inclusive, il annonce que « Tout·e citoyen·ne peut saisir le CDJM pour qu’il se prononce sur un acte journalistique jugé problématique. »

 

 

Le CDJM saisi sur un article du Point

 

Le CDJM produit des « avis » qui ont les apparences d'une décision judiciaire.

 

Voici donc le début d'un tel avis, rendu le 13 juin 2023 :

 

« Le 9 avril 2023, M. Lucas Crochemore a saisi le CDJM à propos d’un article titré "Sainte-Soline : non, le Samu n’a pas été interdit d’accès aux blessés", publié le 3 avril 2023 sur le site du Point. Il énonce deux griefs : inexactitude et atteinte à la véracité des faits, et absence d’offre de réplique.

 

M. Crochemore estime que l’article du Point met en cause à tort trois médias – Libération, Le Monde et Mediapart -, qui, selon cet article, ont accusé les autorités publiques "d’avoir refusé [au Samu] d’apporter des soins aux blessés" ou "de [l]’avoir empêché d’accomplir [sa] mission" lors de la manifestation du 25 mars 2023 organisée à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, par les opposants aux mégabassines. Il considère également que l’article verse "dans la spéculation, et non dans l’exactitude et la véracité des faits, lorsqu’il affirme : 'Avec plus de temps et quelques tracteurs, le chantier de la retenue d’eau aurait réellement été saccagé'". Il estime de même que les journalistes du Point "n’apportent aucune preuve que les violences n’ont pas d’abord été du côté des forces de l’ordre". Il note que ces mêmes journalistes sous-entendent, sans l’étayer, "que la manifestation aurait eu dès le départ une intention violente". »

 

Il y a d'autres griefs encore.

 

 

Allons à la conclusion...

 

C'est un fait connu : il y a des décisions de justice qui sont prises a priori, la justification étant construite ensuite pour étayer la conclusion en cause.

 

Donc,

 

« Le CDJM, réuni le 13 juin 2023 en séance plénière, estime que les règles déontologiques d’exactitude et de respect de la véracité des faits, d’une part, et d’offre de réplique, d’autre part, n’ont pas été appliquées par Le Point.

 

La saisine est déclarée fondée. »

 

N'ayant aucun pouvoir judiciaire, l'avis ne va pas plus loin. Mais on voit bien que ce genre de verdict peut être instrumentalisé (exemple ci-dessous). Celui-ci l'aurait sans doute été bien davantage s'il n'avait pas été aussi outrancier.

 

 

(Source)

 

 

(Source du premier)

 

 

(Source)

 

 

Sommes-nous confrontés à une Kangaroo Court ? Selon Wikipedia en anglais,

 

« Un tribunal kangourou est un terme péjoratif informel désignant un tribunal qui ignore les normes reconnues en matière de droit ou de justice, qui n'a que peu ou pas de statut officiel dans le territoire où il réside et qui est généralement convoqué de manière ad hoc. Le terme est également utilisé pour désigner un tribunal tenu par une autorité judiciaire légitime, mais qui ignore intentionnellement les obligations légales ou éthiques du tribunal (comparer avec un procès fictif). »

 

Au-delà de la question du statut – qui ne fait aucun doute – il y celle du fond.

 

 

Remontons aux pièces

 

L'article du Point, c'est « Sainte-Soline : non, le Samu n’a pas été interdit d’accès aux blessés », de MM. Clément Pétreault (qui avait été sur les lieux), Erwan Seznec et Mme Géraldine Woessner.

 

En chapô ou sous-titre (divulgâcheur : c'est un point essentiel de notre démonstration) :

 

« Contrairement à des affirmations relayées par "Le Monde", "Libération" et Mediapart, le Samu des Deux-Sèvres ne s’est pas vu refuser d’apporter des soins aux blessés. »

 

Extrayons ce paragraphe de l'article :

 

« L'origine de l'intox se trouve dans un enregistrement publié par nos confrères du Monde et de Médiapart. Il s'agit d'une retranscription des échanges entre des avocats de la Ligue des droits de l'homme (LDH) - qui se trouvaient alors à 16 kilomètres des échauffourées - et le standard du Samu. La LDH n'a pas souhaité nous répondre sur les motivations de cette démarche inhabituelle. Il n'est même pas possible de savoir si elle maintient ses accusations. La semaine dernière, son service de presse renvoyait vers Pierre-Antoine Cazaux, l'un des avocats présents à Sainte-Soline, lequel renvoyait de son côté vers… le service de presse de la Ligue»

 

Le CDJM n'a pas pris la peine de préciser quels articles des trois journaux auraient été mis en cause par le Point (divulgâcheur : on comprendra sans nul doute à la fin de cet article pourquoi).

 

 

Et voici ce qu'en fait le CDJM

 

Les trois journaux prétendument mis en cause par le Point ne sont cités ensemble que dans le chapô de son article. Donc, le CDJM pose :

 

« S’agissant du grief d’inexactitude, le requérant cible plusieurs points dans l’article visé. Le premier met en cause à tort, selon lui, trois médias – Libération, Le Monde et Mediapart -, qui, selon l’article et comme il est écrit en sous-titre, ont accusé les autorités publiques "d’avoir refusé [au Samu] d’apporter des soins aux blessés". [...] ».

 

Le texte se poursuit par l'argumentation du requérant, qui s'est appliqué à faire valoir que les trois journaux mis en cause l'ont été à tort.

 

Et le CDJM conclut :

 

« Vérification faite par le CDJM, aucun des trois médias mis en cause par Le Point n’a effectivement affirmé que les autorités publiques avaient refusé d’apporter des soins aux blessés. […] »

 

Et le CDJM s'emploie à décrire ce que les trois journaux ont – ou auraient – écrit. Par exemple :

 

« Le Monde, dans son édition du 28 mars 2023, énonce certes dans son titre que le SAMU n’a pas eu le droit d’intervenir. Mais c’est pour expliquer ce refus, en citant l’enregistrement des échanges entre médecins, demandeurs de secours et SAMU où il est dit clairement que le SAMU ne peut agir sans le feu vert des autorités. »

 

 

Oui, mais voilà...

 

« ...comme il est écrit en sous-titre » – nous citons ici le CDJM...

 

...il faut en réalité lire (c'est nous qui graissons) : « Contrairement à des affirmations relayées par "Le Monde", "Libération" et Mediapart, le Samu des Deux-Sèvres ne s’est pas vu refuser d’apporter des soins aux blessés. » – nous citons ici le Point...

 

...et non : les trois médias ont « affirmé que les autorités publiques avaient refusé d’apporter des soins aux blessés » – nous citons là, à nouveau, le CDJM, lequel travestit donc grossièrement ce que le Point a écrit.

 

 

La paille et la poutre...

 

Nous n'entrerons pas dans les autres griefs.

 

L'article du Monde visé est « Sainte-Soline : l’enregistrement qui prouve que le SAMU n’a pas eu le droit d’intervenir » ; celui de Mediapart devrait être « Blocage des secours à Sainte-Soline : un enregistrement enfonce les autorités ».

 

 

(Source)

 

 

Pour ce qui est du premier, la partie lisible sur Internet est effectivement nuancée – mais c'est un fait ou une opinion non pertinent en l'espèce.

 

Le titre, en revanche, ne laisse aucun doute – mais ce n'est pas plus pertinent pour l'affaire du Point : le lecteur est bien incité à croire qu'il y a eu des manquements extrêmement graves au niveau des autorités, des refus de porter assistance à des personnes en danger.

 

Ce titre est, à notre sens équivalent à : « les autorités publiques avaient refusé d’apporter des soins aux blessés », une affirmation que les trois journaux n'auraient pas faite selon le CDJM.

 

D'où il s'ensuit que :

 

« ...les règles déontologiques d’exactitude et de respect de la véracité des faits [...] n’ont pas été appliquées... ».

 

Par le Point... pas par Le Monde, Libération et Mediapart (et d'autres médias).

 

À propos de Mediapart, le Conseil écrit encore :

 

« Quant à Mediapart, l’article publié le 29 mars, avec de nouveaux témoignages, fait état d’appels nombreux au SAMU dès que l’extrême gravité de la blessure d’une des victimes a été constatée. En fait, comme le note le requérant, les médias incriminés par Le Point s’interrogent sur le fonctionnement des secours et les délais d’intervention et non sur un empêchement stricto sensu d’apporter des soins aux blessés. [...] »

 

Ah oui ? « Sainte-Soline : l’enregistrement qui prouve que le SAMU n’a pas eu le droit d’intervenir », c'est s'interroger sur le fonctionnement des secours, etc. ?

 

 

(Source)

 

 

Au fait...

 

Le Conseil peut s'autosaisir... Article 2 des Statuts :

 

« 2.1 – Cette association tripartite est une instance de dialogue et de médiation entre les journalistes, les médias et agences de presse et les publics sur toutes les questions relatives à la déontologie journalistique dont elle est saisie ou dont elle souhaite se saisir. [...] »

 

Non, le CDJM n'a rien trouvé à redire aux articles de presse qui mettaient en cause les autorités publiques de manière ignominieuse. Même quand il a été confronté à l'évidence dans le cadre d'une saisine sur un article qui dénonçait pourtant ces errements.

 

Il peut s'autosaisir ? Mais apparemment il y a des scandales (allégués) qui le laissent indifférent...

 

 

(Source)

 

 

Post scriptum 1 : Le merveilleux monde du journalisme

 

Il va de soi que Mme Géraldine Woessner en a pris plein la... sur Twitter.

 

Les deux autres auteurs de l'article incriminé ont été épargnés. Il est vrai qu'à côté de, notamment, Mme Emmanuelle Ducros, elle déploie une intense activité de déménagement de l'église vers le milieu du village – formule choisie pour suggérer l'ampleur de la tâche. Cela a suscité quelques solides animosités, voire rancunes tenaces, sur fond de solidarité du microcosme, hélas influent, du pseud-journalisme militant.

 

 

(Source)

 

 

Les insultes peuvent s'exprimer par des guillemets (j'admets ici utiliser aussi les guillemets de mépris...). Mais il y a pire :

 

 

(Source)

 

 

« “Non-respect de la véracité des faits”, “accusation sans preuve”, “absence de contradictoire”… » ?

 

En fait, on ne trouvera que « accusation sans preuve » dans l'avis du comité Théodule : une fois dans la description des obligations du journaliste... et l'autre, dans la récapitulation des griefs du requérant.

 

C'était l'épisode :

 

« Il [le journaliste ] "tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles", selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes (SNJ, 1918/1938/2011). »

 

 

Post scriptum 2 : À propos d'équivalence

 

Le 14 mars 2023, le CDJM a émis un avis sur saisine d'un particulier portant sur un article du Monde, « Les énergies renouvelables en France, des retards, des espoirs et un pactole » ; ici, l'avis citait et référençait l'article...

 

Le requérant s'offusquait plus précisément de la mention que « dix gigawatts au total [de projets d’éoliennes et de centrales photovoltaïques bloqués administrativement] [sont] l’équivalent de dix réacteurs nucléaires ».

 

Il avait écrit que « ces deux modes de production ne sont pas assimilables et même comparables, l’un étant pilotable en fonction de la demande (nucléaire), l’autre ne l’étant pas ». La différence de facteur de charge (de production d'électricité, par exemple par an) était un autre argument important.

 

Le CDJM a déclaré la saisine non fondée au terme de considérations d'un jésuitisme sidérant.

 

Son vice-président a tenté de défendre l'avis sur Twitter par une pirouette. Nous l'avons invité à réexaminer la chose sur la base d'une comparaison similaire, mais plus parlante :

 

« 400 vélos électriques de 250 watts de puissance sont équivalents à une Zoé avec un moteur de 100 kW. »

 

Réponse... parce qu'il y en a eu une :

 

« L’avis revient en détail sur la comparaison faite par Le Monde, son contexte, son intérêt et ses limites. Mais il est tellement plus facile de tout caricaturer parce que sa conclusion ne sert pas votre vision du monde. Bonne journée malgré tout. »

 

C'était la séquence :

 

« Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) est une instance de médiation entre les journalistes, les médias, les agences de presse et les publics sur toutes les questions relatives à la déontologie journalistique. »

 

Drôle de médiation...

 

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F
Encore une belle illustration du naufrage moral des médias :-(<br /> Géraldine Woessner a bien du courage!
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