Marc Dufumier dans Sud-Ouest : un entretien « étonnant »...
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Comme tout un chacun, M. Marc Dufumier a droit à ses propres opinions, mais pas à ses propres faits.
Ses conceptions sur la manière de pratiquer l'agriculture relève de ses opinions.
Prétendre que les viandes sont bourrées d'antibiotiques et que les (certains) consommateurs sont exposés à des doses dangereuses de pesticides – les perturbateurs endocriniens sont stigmatisés ici – relève de la fabrication de faits.
Sud Ouest n'a pas daigné accorder un « droit de réponse ». Et les milieux professionnels et officiels n'ont pas réagi.
Dans le cadre de ses Rencontres de l’Alimentation, l'Agence de l'Alimentation Nouvelle-Aquitaine organise le 1er juin 2023 avec le journal Sud-Ouest et la chaîne TV7 une conférence d'une heure trente sur « Terroirs d’innovation, terroirs d’adaptation, quelles propositions ? ».
Parmi les intervenants, M. Marc Dufumier, présenté comme agronome, professeur à AgroParisTech (ce qu'il n'est plus depuis pas mal de temps) et... expert auprès de la FAO.
C'était donc l'occasion pour Sud-Ouest de publier un entretien, « Marc Dufumier : "Je suis pour une agriculture écologiquement intensive" ».
C'est, pour rester diplomatiquement correct, étonnant.
La notion d'agriculture écologiquement intensive a été formalisée – certes en des termes qui peuvent se discuter, mais qui précisent que « L’AEI n’exclut pas non plus le recours à l’amélioration génétique ni aux organismes génétiquement modifiés. »
M. Marc Dufumier est un opposant aux OGM, même si cela est formulé en termes ampoulés dans cette tribune dans le Monde. Et l'amélioration génétique n'est pas non plus un sujet qu'il porte avec allégresse. Il ne peut se revendiquer de l'AEI.
L'entretien commence fort. À la question bateau initiale, « Pour vous, quel est le plus gros enjeu actuel en matière d’alimentation ? », M. Marc Dufumier répond dès le deuxième paragraphe :
« Aujourd’hui, à force d’ingurgiter des viandes riches en antibiotiques, nous développons une résistance, et quand le médecin nous prescrit un antibiotique, il n’a aucun effet. […] »
Non, les viandes ne sont pas « riches en antibiotiques » – admirez au passage l'emphase zeppelinesque –, elles en sont exemptes, sauf, évidemment, erreurs ou agissements délictueux dans la filière agroalimentaire.
Les poulets aux hormones – ou aux antibiotiques de croissance – ne subsistent plus que dans une inoubliable chanson de Jean Ferrat, la Montagne. Les traitements antibiotiques préventifs sont interdits. Et les traitements curatifs sont strictement contrôlés et suivis d'une période d'interdiction d'abattage pour garantir, précisément, une absence d'antibiotiques dans les viandes.
Les contrôles des États membres colligés par l'Agence Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) montrent qu'une très petite partie (0,17 % de plus de 600.000 échantillons dans le dernier exercice) présentait des non-conformités à la réglementation. Sur 99.167 échantillons, 139 (0,14 %) étaient non conformes pour les antimicrobiens, la plus grande fréquence ayant été observée pour... le miel.
M. Marc Dufumier le sait, ou devrait le savoir.
Mais il insiste. Lourdement.
Les médecins, ces benêts, prescriraient des antibiotiques qui n'auraient aucun effet...
Il insiste encore !
« ...Et évidemment, on ne peut pas en rester à des produits bio pour les bourgeois bohèmes fortunés, et les perturbateurs endocriniens et les antibiotiques dans la viande pour les couches modestes. »
Non, jamais deux sans trois (et admirez encore l'emphase)...
« Après, la question, ce sont les modalités d’élevage. La viande gavée aux antibiotiques, c’est un problème… »
Les pesticides suivent les antibiotiques dans la foulée :
« ...Il y a aussi la présence, dans notre nourriture, de résidus de pesticides, dont un très grand nombre sont des perturbateurs endocriniens, qui dérèglent le fonctionnement de nos glandes endocrines. »
Que dire devant cette saillie ?
Que, selon les statistiques de l'EFSA, 87.863 échantillons alimentaires ont été prélevés et analysés dans l'Union Européenne en 2021 et que 96,1 % des échantillons étaient conformes à la réglementation ? Que, dans le programme coordonné – 13.845 échantillons de produits prédéfinis et collectés de manière aléatoire – 97,9 % se situaient dans les limites légales et 58,1 % (8043 échantillons) se sont révélés exempts de niveaux quantifiables de résidus ?
Que les dépassements de limites maximales de résidus – fixées de manière très sécuritaire – ne posent pas de problèmes pour la santé des consommateurs ? Ou, selon une EFSA faisant preuve de précaution oratoire, « il est peu probable que les denrées alimentaires analysées en 2021 présentent un risque pour la santé des consommateurs » (parce que absence de preuve (de risque) ne vaut pas preuve de l'absence) ?
On notera à nouveau l'exagération : « ...un très grand nombre [de pesticides] sont des perturbateurs endocriniens ». Et, faisant fi de la question des doses et, le cas échéant, de la toxicologie, « [ils] dérèglent le fonctionnement de nos glandes endocrines. »
Enfin voilà ! En une phrase, tout l'édifice de sécurité sanitaire est mis en doute. Ce n'est pas nouveau
Les mots ont un sens ! Et les affirmations péremptoires doivent aussi s'analyser sous l'angle des implications non dites :
« Il faut une alimentation équilibrée, et ça, des plans alimentaires territoriaux peuvent aider, pour faire en sorte que dans les cantines, les restaurations collectives, on puisse y avoir accès. C’est une invitation à acheter des produits labellisés bio, parce qu’il y a un cahier des charges et une obligation de moyens. »
On ne tord pas trop le sens en posant que, par implication, l'alimentation non bio n'est pas équilibrée selon lui...
Quant à l'obligation de moyens de la filière bio...
Mais les produits bios sont chers ! M. Marc Dufumier a la solution magique :
« Donc je pense que les collectivités territoriales doivent pouvoir rémunérer les agriculteurs pour leurs services environnementaux via les impôts territoriaux, ou même au niveau national. Cela permettrait de rendre accessible plus de bons produits aux couches les plus modestes. »
Remarquez... nous payons déjà par les impôts (et les avantages fiscaux concédés aux producteurs bio)... mais cela subventionne les modes de consommation de certains « bourgeois bohèmes fortunés »...
Il y a un couplet – bien connu chez l'auteur – sur les mérite de la culture de légumineuses et les « services environnementaux » qui en résultent. C'est un peu beaucoup naïf. Car ce qui peut être un mode de production intéressant à l'échelle d'une ferme ne l'est pas (nécessairement) à l'échelle du pays.
Suit une question sur son positionnement. Il répond, avec une ode sur l'agro-écologie que nous ne citerons pas ici, mais qui est bien ancrée dans sa Weltanschauung :
« Je prône une agriculture effectivement intensive, mais pas avec des engrais chimiques à base de gaz russe, de produits phytosanitaires et de pesticides. [...] »
Il y a un adverbe nouveau... mais c'est toujours le rêve éveillé...
« Cela veut dire aussi remplacer les engrais azotés chimiques par des légumineuses à grande échelle, comme je l’ai dit en amont. Cela apporterait une vraie valeur ajoutée à nos productions. […] »
On voit mal où se trouve la « vraie valeur ajoutée ». Mais voici :
Alors évidemment, quand je parle de valeur ajoutée, elle est ajoutée par le travail, c’est-à-dire que c’est aussi intensif en travail, intensif en emploi. Dans un pays où il y a 8 % de chômage, c’est une bonne nouvelle. »
En fait, les agriculteurs cherchent... ou laissent péricliter leurs productions faute de main-d'œuvre.
(Source)
Le problème de réalisme n'est pas limité à la question de la fertilisation – qui a pour complément à ce que nous venons de voir ci-dessus la promotion du fumier, donc de l'élevage, mais avec une nouvelle répartition (moins en Bretagne, plus dans les régions céréalières :
« [...] La première des choses à faire, surtout dans des régions comme le Sud-Ouest, c’est de mettre en place des techniques qui permettent aux pluies, y compris torrentielles, de s’infiltrer dans le sol et d’empêcher le ruissellement. Les haies, les couvertures végétales permettent d’emmagasiner l’eau au niveau des racines grâce au humus, et le surplus rejoindra les nappes phréatiques. »
Reconnaissons qu'il n'est pas le seul sur ce créneau. Cela n'empêche pas que ce soit, en grande partie, du rêve la bouche ouverte.
Mais là, on est dans le registre des opinions. M. Marc Dufumier est convaincu que l'agro-écologie peut nourrir 10 milliards d'humains.
On n'est pas dans celui des fake news.
Le journal n'a pas daigné répondre... (Source)