L’intensification de l’agriculture est-elle à l'origine de la disparition des oiseaux en Europe ? (Troisième partie)
Comment produire une annonce de l'oiseaucalypse...
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Et pourtant ! Les oiseaux ne sont pas toujours les bienvenus. (Source)
L'article scientifique de Rigal et al. s'intitule : « Farmland practices are driving bird population decline across Europe » (les pratiques agricoles sont à l'origine du déclin des populations d'oiseaux en Europe ».
« Pratiques agricoles » est une formulation plutôt neutre. On peut faire mieux, et forger une nouvelle vérité biblique : c'est la faute à l'agriculture intensive – ou, au choix, aux engrais et pesticides.
Le titre de l'article « scientifique » était déjà olé olé. Mais « les pratiques agricoles sont à l'origine du déclin des populations d'oiseaux en Europe », tout en accusant nommément et singulièrement un secteur d'activité, alors que d'autres activités et phénomènes interviennent aussi, laissait planer le doute sur la nature des « pratiques ».
Pour le CNRS, c'est plié dans le titre de son communiqué de presse : « L’intensification de l’agriculture est à l'origine de la disparition des oiseaux en Europe ». Le deuxième bullet point est cependant plus mesuré... mais les esprits auront été formatés.
Il paraît que les données rassemblées « permettent même d’observer finement l’effet des pressions cumulées à l’échelle de chaque pays, d’une année sur l’autre ». C'est excessivement présomptueux !
Le paragraphe clé est le suivant :
« Si les populations d’oiseaux souffrent de ce "cocktail" de pressions, les recherches montrent que l’effet néfaste dominant est celui de l'intensification de l'agriculture, c’est-à-dire de l’augmentation de la quantité d’engrais et de pesticides utilisée par hectares [sic]. Elle a entraîné le déclin de nombreuses populations d’oiseaux, et plus encore celle des oiseaux insectivores. En effet, engrais et pesticides peuvent perturber l’équilibre de toute la chaîne alimentaire d’un écosystème. »
Quelle dérive ! L'étude a utilisé les engrais et pesticides comme proxies, comme indicateurs, et ils deviennent le facteur principal. On ne s'étendra pas sur le reste.
Le communiqué passe logiquement à la situation en France. Elle ne peut pas se vanter d'être la première de la classe. Ainsi, elle serait « parmi les pays dont la surface agricole exploitée de manière intensive est la plus élevée mais aussi parmi ceux dont cette surface a le plus augmenté récemment ». Elle est plutôt loin derrière les Pays-Bas, la Belgique et l'Allemagne. Sa couverture forestière serait aussi inférieure à la moyenne européenne. Mais que signifie cette moyenne quand on a des pays nordiques dont une large partie du territoire n'est pas cultivable ?
Les oiseaux sont en déclin ?
« Ce déclin illustre la répercussion des activités humaines sur tout un groupe d'espèces aux exigences très différentes. C'est la signature d'une dégradation environnementale profonde. […]
Ces travaux démontrent l’urgence de repenser le mode de production alimentaire actuel. [...] »
Et vlan ! Le message politique...
Le Monde rapporte des propos de M. Vincent Devictor :
« Nous ne nous sommes pas contentés de mesurer des corrélations entre ces indicateurs et les variations d'évolution des populations d'oiseaux : nous avons pu évaluer des liens de causalité grâce à des techniques d'analyse mathématique récentes et rarement utilisées dans le domaine de l'étude de la biodiversité. »
Hâblerie ! Dans le résumé de l'étude, il était question de « rechercher des réponses plus quasi-causales des populations d'oiseaux aux facteurs de changement globaux »... Que signifie du reste «plus quasi-causales » ?
Le Monde poursuit, plus loin :
« La méthode mise en oeuvre, explique Vasilis Dakos, chercheur à l'ISEM, "permet de révéler des liens de causalité, presque comme dans un cadre expérimental, où les chercheurs peuvent modifier eux-mêmes les variables de l'étude". »
Encore un propos qui martèle le message aux lecteurs que la messe est dite.
Voici un petit échange :
« Les résultats sont effrayants : 20 millions d’oiseaux disparaissent en moyenne d’une année sur l’autre en Europe, depuis près de quarante ans…
Oui, c’est vertigineux. Cela représente 800 millions d’oiseaux en moins depuis 1980. Même pour un chercheur, c’est émouvant. [suivent les chiffres] »
L'étude n'a cité aucun chiffre de ce genre, et serait probablement bien en peine de le faire.
M. Woods, R.A. McDonald et S. Harris ont estimé dans « Predation of wildlife by domestic cats Felis catus in Great Britain » (prédation de la faune sauvage par le chat domestique Felis catus en Grande-Bretagne) que 9 millions de chats britanniques auraient rapporté à la maison 92 (85-100) millions de proies entre le 1er avril et le 31 août 1997, dont 27 (25-29) millions d'oiseaux. L'étude a été fondée sur un questionnaire envoyé à 618 propriétaires de 986 chats. Une étude états-unienne évalue l'hécatombe à 1,3 à 4,0 milliards d'oiseaux... mais nous nous permettrons de trouver ce chiffre suspect.
(Source)
Selon un article de la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB), l'oiseau qui a subi les pertes les plus lourdes est le moineau domestique (247 millions entre 1980 et 2017, pour une perte totale de 560 à 620 millions (contre 800 millions articulés dans la presse française).
Dans l'article scientifique, le mot « cats » est introuvable. En revanche, dans Libération...
« Certains pointaient plutôt la responsabilité des chats, par exemple…
Les chats ont bon dos. Car la plupart des espèces d’oiseaux étudiés ici, qui ne vivent pas en milieux urbains ou suburbains, ne verront jamais un chat de leur vie. Et la population de félins domestiques n’a pas augmenté de 40 % en 40 ans… »
La première phrase nous agrée ; la deuxième est foireuse : il s'agit ici de prédation, pas d'évolution de la prédation. Et cette évolution est même positive, a priori, du fait de l'augmentation importante du nombre de chats et de l'extension des zones urbanisées.
Mais revenons à l'agriculture assez longuement abordée dans cet article :
« L’Hexagone est incapable de maintenir la biodiversité dans son milieu agricole. Comme l’Allemagne, elle enregistre une forte hausse du volume des ventes de pesticides. Et le nombre de mégafermes de plus de 100 hectares a augmenté, chez nous, de 12 % depuis 2005, alors que celui des petites fermes a baissé de 24 %. Notre paysage agricole devient moins accueillant pour la biodiversité. Récemment, il a même été question de faire reculer les progrès enregistrés sur l’interdiction des pesticides les plus dangereux [les insecticides néonicotinoïdes, ndlr].
[…]
Produire autrement, c’est une question de survie du modèle agricole lui-même. Car en détruisant la biodiversité, un pesticide ne protège pas du tout la plante, il tue la possibilité de la cultiver. Il existe un lien très fort entre la présence d’une biodiversité en bonne santé et la rentabilité des cultures dans la parcelle en question. Il y a une forme d’ironie : en tuant la biodiversité, l’agriculture industrielle dopée à l’agrochimie se saborde. »
Vous trouverez peut-être qu'une phrase est particulièrement choquante...
Les auteurs ont déclaré une absence de conflits d'intérêts. Pour les conflits d'intérêts « intellectuels », c'est à voir. Dans quelle mesure ont-ils influencé la rédaction de l'article scientifique – delà des propos d'ordre socio-politiques ? C'est à voir aussi.
Cette étude bénéficie de la marque – en principe de qualité – du CNRS. On peut supposer qu'elle relève aussi de la grande liberté qui est accordée aux chercheurs pour leurs travaux et, qu'à ce titre, elle est au bénéfice d'une immunité scientifique.
Cela n'empêche pas les autorités du CNRS de prendre des mesures pour, par exemple, équilibrer ou préciser le message diffusé par l'étude. Mais nous ne rêverons pas, compte tenu des précédents liés notamment à la crise de la Covid.
En revanche, les autorités du CNRS ont une prise directe sur la communication. Nous avons vu ci-dessus que le communiqué de presse véhicule une description outrancière de l'apport de l'étude à la connaissance.
Est-il permis, dans votre noble institution, de titrer « L’intensification de l’agriculture est à l'origine de la disparition des oiseaux en Europe », c'est-à-dire que ce facteur est le seul responsable ?
Est-ce le rôle de votre noble institution de lancer un appel politique – « Ces travaux démontrent l’urgence de repenser le mode de production alimentaire actuel » ?
Cet article a bénéficié de quelques « tuyaux » de la personne qui s'identifie comme Ellen Bergvader (boerin in Frankrijk) sur Twitter. Qu'elle en soit chaleureusement remerciée.
L'INRAE a cru bon de ressortir un communiqué de presse du 11 mai 2021, « Combiner des pratiques agroécologiques pour conserver les oiseaux dans les vignobles » :
« Le déclin généralisé des oiseaux dans les paysages agricoles européens s'explique par 2 raisons 👇
◾ L’intensification des pratiques agricoles
◾ La disparition des habitats semi-naturels aux abords des champs
Existe-il une solution ? »
(Source)
Ce tweet vient avec ses propres problèmes, notamment la référence à un « déclin généralisé » (qui dépend de la période de temps considérée et n'est peut-être pas généralisé), la référence à une activité agricole spécialisée à l'appui d'une déclaration sur les paysages agricoles en général, la photo d'une région céréalière avec une nuée d'oiseaux... peut-être classés nuisibles.
Mais il a l'avantage de citer « La disparition des habitats semi-naturels aux abords des champs » comme cause majeure du déclin, un aspect qui a été occulté par l'étude de Rigal et al.
(Source : dans le fil du tweet précédent)
On peut concevoir ce tweet comme un contre-feu et une critique de l'étude. La guerre des institutions de recherche, ou une simple escarmouche ?
Ou une manifestation d'énervement ? La critique est en principe ravageuse.
Mais nous ne doutons pas que cette critique sera occultée et que l'étude de Rigal et al. deviendra – comme celle de Hallmann et al. sur la disparition des insectes – la référence incontournable des activistes. L'approche adoptée dans cette baudruche, tant sur le fond que sur la forme, ainsi que son instrumentalisation médiatique y ont déjà pourvu.