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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

La science dans le prétoire : l'épisode séquence glyphosate de l'EPA

24 Avril 2023 Publié dans #Glyphosate (Roundup), #Etats-Unis d'Amérique

La science dans le prétoire : l'épisode séquence glyphosate de l'EPA

 

Barbara Pfeffer Billauer*

 

 

Image : zefe wu de Pixabay

 

 

Le [17 juin 2022], la Cour d'appel du neuvième circuit a mis un coup d'arrêt à l'EPA pour mauvais comportement. En l'occurrence, l'EPA a déterminé que le glyphosate, le « mauvais garçon » du RoundUp, ne présente probablement pas de « risque déraisonnable » pour l'Homme ou l'environnement, mais elle a sauté quelques étapes dans ses procédures de réglementation scientifique. Pourquoi les bureaucraties croient-elles qu'elles sont exemptées des règles, précisément des règles qu'elles ont elles-mêmes établies ?

 

 

De nombreux articles de l'American Council on Science and Health ont fait état des études qui sous-tendent la science réglementaire du glyphosate. Il serait juste de dire que notre analyse a suggéré qu'il y a peu de risque. Mais nous avons également écrit à de nombreuses reprises sur le besoin de transparence réglementaire et sur la nécessité de disposer de données scientifiques précises pour étayer ces décisions. Dans le cas présent, notre croyance en la nécessité de processus cohérents, transparents et scientifiquement fiables signifie que nous nous rangeons du côté de la Rural Coalition et que nous demandons plus de données et une meilleure évaluation, plus holistique ou cohérente. L'EPA a failli à ses responsabilités et doit refaire son analyse pour se conformer aux normes scientifiques et juridiques de base.

 

 

Quelques éléments de contexte

 

Le glyphosate, l'ingrédient actif du Roundup de Monsanto (et maintenant de Bayer), est une substance chimique très controversée. Certaines agences sanitaires, comme le CIRC, l'ont considéré comme « probablement cancérigène pour l'Homme », bien que leur analyse ait fait l'objet de critiques assez sévères. D'autres, comme l'EPA, estiment qu'il ne présente pas de « risque déraisonnable » pour l'Homme. Dans plusieurs affaires judiciaires, le fabricant a été jugé responsable de cas individuels de cancer, ce qui a donné lieu à des dommages-intérêts qui font l'objet d'un appel. Les membres de la communauté agricole sont également divisés, certains ayant peur, d'autres vantant sa capacité à réduire les mauvaises herbes et à maximiser les rendements.

 

Bayer AG, qui a acheté le Roundup et sa responsabilité pour 63 milliards de dollars, espère que le litige prendra fin. Pour promouvoir cette vision, elle retire volontairement le Roundup du marché des consommateurs, bien qu'il reste disponible pour les utilisateurs agricoles. Elle a également accepté de payer près de 11 milliards de dollars pour régler les procès déjà en cours qui prétendent que le Roundup a « causé » les cancers des plaignants. Le juge qui supervise ce règlement n'est pas convaincu que les 2 milliards de dollars de paiements de réserve soient suffisants pour les futures réclamations contre leur produit.

 

Une déclaration de l'EPA selon laquelle le glyphosate ne présente pas de « risque déraisonnable » serait utile à Bayer dans ses appels, en dissuadant de futurs procès et en parvenant à un règlement afin que la société ne soit plus distraite et épuisée par ce litige. Une telle conclusion de l'EPA serait d'autant plus bienvenue que les normes de réglementation de l'EPA sont beaucoup plus strictes que celles requises pour déterminer la causalité dans une action en responsabilité civile.

 

 

L'avis de la Cour

 

Le neuvième circuit, qui a évalué la détermination administrative de l'EPA, a commencé par examiner le processus sous-jacent à l'élaboration de l'évaluation par l'EPA du cancer lié au glyphosate. Le document sur le cancer de l'EPA, une évaluation des dangers généralement appliquée, construit :

 

une analyse totale examinant ce que les données biologiques révèlent dans leur ensemble sur les effets cancérigènes et le mode d'action de l'agent, et leurs implications pour l'évaluation du danger pour l'Homme et de la réponse à la dose.

 

En bref, le processus en quatre étapes décrit dans les Lignes Directrices de 2005 pour l'Évaluation des Risques Liés aux Agents Cancérigènes :

 

  • Détermine si une substance chimique peut « présenter un danger cancérogène pour l'Homme » et, si c'est le cas, dans quelles circonstances, en utilisant un processus d'« identification des dangers » ;

     

  • Identifie à quel niveau ces effets néfastes peuvent se produire et évalue la relation dose-réponse :

     

  • Évalue les conditions pertinentes d'exposition humaine ; et

     

  • Caractérise le risque – « y compris la mesure dans laquelle les données permettent de tirer des conclusions sur la nature et l'étendue des risques liés à diverses expositions ».

 

La conclusion de cette analyse à quatre volets est réduite à l'un des cinq descripteurs standard du potentiel cancérogène pour l'homme. [1] Dans le cas du glyphosate, l'EPA a déterminé qu'il entrait dans la catégorie « non susceptible d'être cancérogène pour l'homme » [« not likely to be Carcinogenic in Humans »].

 

D'après ces lignes directrices de 2005, cette catégorisation est appropriée

 

lorsque les données disponibles sont considérées comme robustes pour décider qu'il n'y a pas de base pour une préoccupation de danger pour l'homme.

 

Mais la Cour n'a pas accepté la conclusion de l'EPA selon laquelle les données étaient robustes. Les juges ont souligné une incohérence flagrante dans le raisonnement de l'EPA, un sophisme logique auquel nous sommes confrontés à la limite de nos connaissances sur la causalité du cancer et de la « science » imprécise de l'évaluation des risques. Commentant une conclusion antérieure, la Cour a opiné :

 

Parce qu'un raisonnement incohérent ne peut survivre à un examen des preuves substantielles, le groupe [consultatif scientifique] a conclu que la détermination de l'EPA selon laquelle le glyphosate n'était pas susceptible d'être cancérigène n'était pas soutenue par des preuves substantielles.

 

L'absence de preuve n'est pas une preuve d'absence

 

En effet, le sophisme logique identifié par la Cour constitue une préoccupation valable. La décision de l'EPA est fondée sur son évaluation de l'ensemble des preuves, y compris l'épidémiologie et la toxicologie (c'est-à-dire les études sur les animaux). Dans les deux types d'analyses, l'EPA a sélectionné les données.

 

En ce qui concerne les études animales, l'EPA a conclu que « les études sur les tumeurs et la génotoxicité chez les animaux n'ont montré aucune raison de s'inquiéter ». Pourtant, dans leur analyse, en discutant de l'association entre le glyphosate et le lymphome non hodgkinien (LNH), l'EPA a conclu sans ambiguïté que :

 

une conclusion concernant l'association entre l'exposition au glyphosate et le risque de LNH ne peut être déterminée sur la base des preuves disponibles.

 

Si le risque ne peut être déterminé, comment peut-il n'y avoir aucune raison de s'inquiéter ? C'est cette incohérence logique qui entache de manière indélébile le reste de leur rapport. Cette incohérence s'avère assez gênante et nuit à l'assurance donnée par l'EPA que le glyphosate n'est pas préoccupant.

 

 

Données sélectives – picorage (cherry picking)

 

Plus précisément, la Cour a noté que l'EPA a utilisé des contrôles historiques « uniquement pour écarter les études indiquant que le glyphosate peut causer des tumeurs ». Elle a également souligné que les directives sur le cancer fournissent deux méthodes statistiques pour évaluer les études de toxicité animale. Dans un test par paire, on demande si les animaux traités ont plus de tumeurs que les témoins. Dans un test de tendance, on demande si l'incidence des tumeurs augmente avec la dose – a-t-on constaté une relation dose-réponse, un précepte cardinal dans la recherche d'une association avec le cancer ?

 

Selon les lignes directrices, l'échec de l'un ou l'autre test soulève des inquiétudes quant à la cancérogénicité. Mais le rapport de l'EPA écarte les données de tendance positive du glyphosate en s'appuyant sur les données négatives par paires – un bel exemple d'obtention d'un résultat différent en déplaçant les poteaux de but.

 

La Cour note ensuite d'autres cas où l'EPA a pu être sélective dans son choix d'études épidémiologiques. Ainsi, l'EPA a constaté et rapporté que :

 

  • « L'exposition humaine au glyphosate est associée à un risque au moins quelque peu accru de développer un LNH » et que

     

  • « Certaines études épidémiologiques fournissent des preuves d'une relation exposition-réponse entre le glyphosate et le LNH. »

 

Mais l'EPA n'a écarté que les études défavorables, et ce, pour diverses raisons, aussi valables soient-elles. Celles-ci incluent l'exclusion des facteurs de confusion, « tels que l'exposition à d'autres pesticides » influençant les résultats du LNH, ou ceux indiquant que le risque accru pourrait être dû au « hasard et/ou à des biais » (c'est-à-dire non significatif statistiquement) ou que certaines études « n'ont pas détecté une association positive entre l'exposition au glyphosate et le LNH ou une relation exposition-réponse ».

 

Nous dirions que ce sont des composantes de l'opinion nuancée d'un expert et qu'elles ne sont pas aussi gênantes que le sophisme logique (c'est-à-dire l'incohérence de leurs conclusions) énoncé à la fois au début et en conclusion et let que la sélection des résultats. En outre, il est crucial d'ajouter que même les lectures épidémiologiques les plus compromettantes (montrant un risque accru d'exposition avec un risque élevé de cancer de 30 à 50 %) ne serviraient pas à établir la causalité du cancer dans une action en responsabilité civile. Au contraire, les normes imposées à l'EPA sont fondées sur le principe de précaution de la prévention et sont bien plus rigoureuses que la preuve de la causalité dans une affaire de délit lié à une toxicité.

 

Parce que « le choix par l'EPA d'une description du danger n'est pas étayé par des preuves substantielles », entre autres raisons (y compris les préoccupations soulevées par son propre groupe consultatif scientifique), la Cour a annulé la décision de l'EPA, lui donnant un « nouveau départ » et lui disant de recommencer. Il est tout à fait possible que l'EPA aboutisse au même résultat lors de la révision, mais au moins elle ne pratiquera pas le double langage, ce qui produira une évaluation bien plus rassurante.

 

Attendons de voir ce qui se passera.

 

____________

 

[1] Les lignes directrices présentent cinq conclusions et les critères qui les sous-tendent : « cancérogène pour l'Homme », « susceptible d'être/probablement cancérogène pour l'Homme » [« likely to be carcinogenic to Humans »], « preuve suggestive du potentiel cancérogène », « informations insuffisantes pour évaluer le potentiel cancérogène » et « non susceptible d'être cancérogène pour l'Homme » [« not likely to be carconogenic to Humans »].

 

Source : Ninth Circuit orders EPA to reexamine glyphosate’s toxicity to humans and the environment  (le neuvième circuit ordonne à l'EPA de réexaminer la toxicité du glyphosate pour les humains et l'environnement), Courthouse News Service.

 

Le Dr Barbara Pfeffer Billauer, JD MA (Occ. Health) Ph.D., est professeur de droit et de bioéthique au sein du Programme International de Bioéthique de l'Université de Porto et professeur de recherche sur l'art politique scientifique à l'Institute of World Politics à Washington DC.

 

Source : Science in the Courtroom: EPA Glyphosate Edition | American Council on Science and Health (acsh.org)

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