Néonicotinoïdes : marre de l'« information » au mieux spécieuse !
(Source)
Sur le site FranceTVInfo, on trouve un « Néonicotinoïdes : quelles alternatives pour les betteraviers après l'abandon de ces pesticides "tueurs d'abeilles" ? », des propos recueillis par M. Thomas Baïetto auprès d'un directeur de recherche de l'Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement (INRAE).
M. Thomas Baïetto se présente quant à lui ainsi :
« Journaliste à franceinfo.fr depuis 2011, je me suis progressivement spécialisé ces dernières années sur les questions environnementales. Je m’intéresse en particulier au réchauffement climatique et à l’érosion de la biodiversité, deux crises majeures qui menacent l’avenir de nos sociétés. »
Se spécialiser... verser dans le militantisme, n'empêche pas de faire preuve d'un minimum d'objectivité.
Il y en a marre de ce « pesticides "tueurs d'abeilles" » qu'on assène sur le public à tout bout de champ.
Oui, les néonicotinoïdes représentent un danger pour les abeilles – à l'instar de bien d'autres insecticides, y compris parmi ceux qui sont autorisés, et même ceux utilisés dans l'agriculture dite « biologique ».
Non, ils ne présentent pas de risques, ou de risques inacceptables, lorsqu'ils sont utilisés selon des préconisations qui tiennent compte du danger. C'est bien sur cette base que des dérogations ont été accordées pour l'enrobage des semences de betteraves (et quelques autres espèces) par – excusez du peu – onze États membres de l'Union Européenne.
Et non, les néonicotinoïdes en enrobage des semences ne présentent pas de risques indus – sauf dans la littérature militante et selon les décisions politiques ou plutôt politiciennes fondées sur un « principe de précaution » interprété de manière abusive.
Cet enrobage est largement pratiqué dans des pays comme l'Australie ou le Canada sur le canola/colza, une plante très attractive pour les abeilles, avec le soutien bruyant de groupements d'apiculteurs. Faut-il croire que leurs abeilles sont plus résistantes que les nôtres ?
L'auteur de l'article a écrit :
« L'utilisation de ces pesticides qui s'attaquent au système nerveux des insectes était dénoncée par les organisations environnementales et la communauté scientifique. »
Pour les « organisations environnementales », on comprend... c'est leur business et pour certaines leur gagne-pain.
Mais il n'y a pas de « communauté scientifique ».
Tout au plus y a-t-il une conjuration déterminée à avoir la peau des néonicotinoïdes, fort active, fort bruyante et fort médiatisée ; une palanquée de chercheurs militants experts en sur-médiatisation de travaux de recherche contestables sinon pourris ; et une masse de chercheurs taiseux, conscients du fait que leurs financements seraient compromis s'ils s'inscrivaient en faux par rapport au discours dominant.
Répétons une évidence : comment les néonicotinoïdes ont-ils pu être utilisés pendant des décennies, et continuent à l'être ailleurs que dans l'Union Européenne, sans que les catastrophes brandies par les Philippulus ne se soient produites ? Comment les apiculteurs de l'Alberta peuvent-ils faire des récoltes de miel canons sur les canolas issus de semences enrobées ?
L'auteur affirme aussi :
« Une nouvelle dérogation aurait été par ailleurs contraire aux engagements pris en décembre par la France lors de la COP15 de Montréal (Québec), pour enrayer la disparition de la biodiversité. »
On frise le degré zéro de la réflexion « écologique », ou le degré infini de la désinformation également « écologique ».
Il faudrait croire que cet engagement de l'Accord de Kunming-Montréal de « réduire de moitié au moins le risque global lié aux pesticides et aux produits chimiques hautement dangereux » d'ici 2030 s'appliquerait directement à l'enrobage des semences de betteraves avec un néonicotinoïde (et, par extension, interdirait toute homologation nouvelle d'une substance ou d'un usage...) !
D'autre part, ce serait ignorer les risques respectifs de l'enrobage et des solutions dites « de substitution ».
À l'heure où j'écris, les autorités françaises sont encore en train de définir les options qui seront disponibles pour les betteraviers.
L'année dernière, la Suisse avait autorisé un programme de trois traitements aériens avec de l'acétamipride (un néonicotinoïde), du spirotétramate et du flonicamide. Il n'est pas sûr qu'un tel programme soit plus avantageux du point de vue de l'objectif de l'Accord précité ; en fait, le spirotétramate et le floniicamide sont classés dangereux pour les abeilles (mais rappelons que danger et risque sont deux notions différentes)...
(Source)
Notre chercheur de l'INRAE est interrogé sur les néonicotinoïdes. On passe au singulier dans la réponse :
« […] Son inconvénient pour l'environnement est lié à sa grande efficacité : il est tellement efficace qu'il peut avoir un impact beaucoup plus large que sur les seuls pucerons visés par les producteurs de betteraves. [...] »
Ben non, le fait de toucher des insectes non ciblés n'a rien à voir avec l'efficacité. Du reste, la plupart des insecticides ne sont pas sélectifs. Et c'est passer sous silence le fait que l'enrobage des semences cible les insectes piqueurs et suceurs – bref, les pucerons dans notre cas – et limite grandement les effets hors-cible.
L'abeille est bien sûr citée. Oui, les néonicotinoïdes ont un impact négatif, en termes de danger et « [p]lusieurs études l'ont démontré ». Mais il faut tenir compte, notamment, des conditions dans lesquelles ils sont mis en œuvre – de l'élimination ou de la mitigation des risques. Et, comme nous l'avons vu ci-dessus, dans des pays comme l'Australie et le Canada...
Et voici une autre tarte à la crème :
« C'est enfin un produit rémanent qui persiste longtemps dans l'environnement. »
C'est au mieux fallacieux comme le montre le tableau ci-dessous !
(Source)
En comptant large pour le thiaméthoxame, la quantité autorisée pour un hectare de betteraves (quelque 60 grammes) se réduit de moitié tous les trois mois dans le pire cas et on ne trouvera plus que 4 grammes dans le sol au bout d'un an. Ce sera plus long pour l'imidaclopride. Mais le projet de dérogation y avait pourvu en interdisant les plantes mellifères pendant les deux ans suivant la culture de la betterave.
Sus aux néonicotinoïdes ! Tout est bon pour les dénigrer et tout est bon pour leur trouver des « alternatives » ! Voici donc :
« Par exemple, le flonicamid, un produit phytosanitaire qui va vraiment cibler les pucerons. Beaucoup d'expérimentations ont démontré son efficacité [une étude récente à laquelle David Makowski a participé concluait à une réduction de 79,9% du nombre de pucerons 14 jours après l'application]. Il y a d'autres produits phytosanitaires, comme le spirotétramat, mais celui-ci fait également l'objet d'une dérogation, dont on ne sait pas si elle sera prolongée.
Oui... quoique... Nous n'avons pas trouvé les 79,9 % dans la pré-publication, mais c'est un détail...
Oui mais... c'est à condition de bien positionner son traitement. Et c'est un seul traitement autorisé, qui ne sera pas suffisant pour limiter la prolifération des pucerons dans la durée. Et limiter les attaques de pucerons ne signifie pas nécessairement limiter les atteintes de virus.
Le flonicamide, c'est C6 S ; le spirotétramate, c'est C5 S (S pour dose standard) ; la pymétrozine (C1 – non approuvée, dangereuse pour les abeilles et classée cancérogène suspectée) et le flupyradifurone (C2 – en cours de développement) sont aussi efficaces, mais on n'a sans doute pas assez de recul. Les performances des biopesticides ne sont pas extraordinaires (euphémisme). (Source)
« Le flonicamid est considéré comme moins nocif que les néonicotinoïdes parce qu'il est assez spécifique des pucerons et va avoir moins d'impact sur d'autres organismes. Il se dégrade relativement rapidement aussi. »
Le début de la première phrase est l'expression d'une opinion, une généralité, autrement dit une banalité. De plus, il ignore les différences entre les traitements aériens et l'enrobage des semences.
La suite est peut-être fondée sur l'examen du flonicamide par l'EFSA en 2010. Nous verrons prochainement si la substance garde ce profil favorable compte tenu des exigences actuelles en matière de sécurité pour l'environnement et la faune. En tout cas, elle est réputée dangereuse pour les abeilles.
Enfin, nous verrons... Il faudra peut-être faire preuve de patience... L'autorisation du flonicamide expire (en principe) le 31 août 2023 et, à notre connaissance, il n'y a pas de travaux de l'EFSA à son sujet.
(Source)
Le spirotétramate (nom commercial : Movento) a fait l'objet de dérogations ces dernières années pour un usage sur betteraves limité à deux applications. Y aura-t-il une nouvelle dérogation ? Si oui, sera-t-elle contestée, notamment sur la base du principe retenu par la CJUE qu'il ne saurait y avoir des dérogations répétitives ?
Paillage (on voit les betteraviers pailler des dizaines d'hectares...), couvert végétal (ce qui impliquerait une absence de travail d'ameublissement du sol), plantes compagnes...
« Ces techniques ont un impact, mais elles sont un peu moins efficaces que les produits chimiques alternatifs. »
Vraiment ? Les plantes compagnes entrent en compétition avec les plantules de betteraves... qui sont très sensibles à la concurrence... Cela se traduit par des pertes de rendement que, logiquement, il faut déduire de l'effet (éventuel) sur la réduction des populations de pucerons et des atteintes de virose. Il faut aussi pouvoir détruire ces plantes compagnes par la suite... L'agronomie – celle qui est pratiquée par les producteurs, pas forcément celle des chercheurs, c'est compliqué !
L'article de FranceTVInfo devient franchement louvoyant pour les méthodes de biocontrôle. Ça fonctionne en moyenne, nous dit-on, nettement moins bien « quand même » que la lutte chimique, mais on manque de données sur l'efficacité et les modalités de mise en œuvre (pour des données sur l'efficacité, voir le graphique ci-dessus...). Cependant, « on peut espérer des progrès substantiels au cours des prochaines années »...
Allumez un cierge dans une chapelle – pendant que les producteurs essaieront de faire du mieux possible avec les moyens à leur disposition ! En fait non...
Non, on n'a pas interrogé un producteur de betteraves ! On reste dans le « on-dit » issu de la tour d'ivoire de la recherche :
« Cela dépend ce qu'on appelle une alternative. En termes d'efficacité, des résultats expérimentaux montrent que d'autres méthodes, appliquées seules ou en combinaison, apportent un bon niveau de contrôle des infestations de pucerons. Je pense que ce que veulent souligner les producteurs de betteraves, c'est que ces traitements sont plus difficiles à mettre en œuvre, plus techniques. Entre un traitement qu'on applique automatiquement à travers une semence et des traitements où il faut suivre le réseau de surveillance des pucerons, appliquer le traitement au bon moment et éventuellement combiner avec d'autres approches. C'est sûr qu'il y a un écart en termes de complexité, de mise en œuvre et donc de temps de travail et de coût. Pour moi, c'est essentiellement à ce niveau-là que se situe la difficulté. »
On louvoie encore, dans un texte qui n'est pas un modèle de rigueur rédactionnelle.
Cela débouche pourtant sur une note optimiste – « ces alternatives sont bien connues » – et, dans le même temps, interrogative – « Cela va être une année intéressante pour voir à quel point les agriculteurs arrivent à s'approprier ces méthodes alternatives ou pas ».
On ne saurait reprocher ce propos à M. David Makowski. C'est un constat ! Ça va passer – soit que les pucerons ne seront pas invasifs, soit que les méthodes « alternatives » seront (par miracle) suffisamment efficaces – ou ça casse – et, en principe, l'État, c'est-à-dire le contribuable, compensera.
L'ANSES a produit un avis mis à jour annoncé le 2 juin 2021 comme il se doit par un communiqué, « Des solutions alternatives aux néonicotinoïdes pour lutter contre la jaunisse dans les cultures de betteraves » (les travaux de l'ANSES ont aussi donné lieu à un article dans une revue scientifique).
C'est une expertise collective produite par des chercheurs sortis de leur tour d'ivoire, avec des contributions de représentants auditionnés d'instituts techniques et d'entreprises (mais pas de ceux qui font le sucre...). Si l'objectivité est grosso modo au rendez-vous – semble-t-il, difficile pour un béotien de juger – le « politiquement correct » l'est aussi.
Rappelons que c'était avant le coup de tonnerre de l'arrêt de la CJUE, dans la béate attente des solutions miracles que l'on avait annoncées, sinon promises, pour l'après-2023, dernière année d'enrobage des semences selon la loi française.
Le communiqué de presse est très précautionneux. Selon le chapô :
« […] Ces solutions alternatives qui présentent des efficacités correctes mais insuffisantes en utilisation seule, nécessiteront une approche de lutte intégrée pour atteindre une efficacité suffisante, voire une évolution des pratiques culturales. »
En clair : c'est loin d'être opérationnel (et cela n'aborde pas la question des coûts). Mais nous verrons peut-être.
(Source)
Et cet article de Franceinfo aurait pu être plus respectueux des agriculteurs.
On prend les producteurs de betteraves de haut... Ce n'est sans doute pas voulu, mais c'est un article qui s'adresse à un public dont une grande partie ne tient pas les agriculteurs en haute estime (maintenant que les supermarchés sont de nouveau approvisionnés...).
Ne laisserait-on pas entendre, au moins à une partie du lectorat, qu'ils sont récalcitrants, routiniers, adeptes par paresse d'une solution « chimique » maintenant écartée par le gouvernement qui s'est plié à l'arrêt de la CJUE, etc. en écrivant :
« […] ces alternatives sont bien connues. Elles sont publiées sur les sites des instituts techniques liés aux producteurs de betteraves. » ?
On verra « à quel point les agriculteurs arrivent à s'approprier ces méthodes alternatives ou pas » ?
Ces « alternatives » sont bien connues pour, soit ne pas être disponibles, soit ne pas être efficaces, opérationnelles et/ou pratiques. Et, selon l'EFSA, les autorisations d'urgence d'utiliser de l'imidaclopride et du thiaméthoxame en enrobage des semences étaient tout à fait justifiées – lire : supérieures aux « solutions alternatives ».
Dans quelques semaines, les producteurs de betteraves devront sortir leurs semoirs. Ils n'ont, à ce jour, aucune visibilité sur l'itinéraire technique qu'ils devront employer.
Les auteurs de cet article auraient peut-être pu s'imaginer que pour pailler... il faut de la paille, sans doute hachée menu et une machine pour l'épandre ; pour semer des plantes compagnes... il faut des semences, un semoir adapté et une solution de désherbage ; pour pratiquer une fertilisation organique... il faut des fertilisants organiques, etc.
Et ils auraient pu s'imaginer que c'était important de le signaler aux agronomes de canapé.