Néonicotinoïdes en enrobage des semences de betteraves : retour sur France Désinfo
Je n'en ai pas fini avec le scandale de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne qui a mis fin aux dérogations permettant l'enrobage des semences de betteraves avec un néonicotinoïde afin de se prémunir des ravages potentiels des viroses de la jaunisse transmises par des pucerons. Comme nous l'avons écrit, la Cour a privilégié une application rigoriste du droit au détriment d'une approche qui aurait tenu compte des réalités agronomiques, économiques et sociales.
On peut blâmer d'autres acteurs dans cette affaire, à commencer par les autorités investies du pouvoir législatif qui ont produit les bases juridiques sur lesquelles la Cour s'est appuyée.
Et aussi, un peu, un peu beaucoup, les médias qui se sont acharnés à dire tout le mal possible d'une solution « élégante » à un problème majeur et, en dernière analyse, très favorable pour l'environnement.
Des médias dans lesquels les producteurs – ceux qui font le sucre et in fine des produits comme l'E85 – ont été singulièrement absents.
Revenons donc à un article du 4 janvier 2023 de FranceTVInfo relayant Radio France (France Info).
Il a été publié le lendemain de la mise en consultation par le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire d'un projet d'arrêté, maintenant abandonné en rase campagne (notons incidemment que nos gouvernants n'ont pas hésité à braver les autorités bruxelloises et à encourir des pénalités journalières pour certains modes de chasse).
L'article s'intitule : « Dérogation sur les néonicotinoïdes : "On a tout ce qu'il faut pour faire différemment", assure Jean-Marc Bonmatin, chercheur au CNRS ».
En chapô :
« Un projet de décret a été soumis mardi à consultation par le ministère de l'Agriculture pour autoriser l’usage de néonicotinoïdes pour les cultures de betteraves sucrières et ce pour la troisième année consécutive. Ces insecticides sont jugés responsables de la mort des abeilles. »
Le 5 octobre 2020, c'était « Néonicotinoïdes : "Il y a plein de méthodes alternatives pour cultiver la betterave", assure un chercheur », avec en chapô : « Le chercheur au CNRS, Jean-Marc Bonmatin, s'oppose sur franceinfo au projet de loi visant à réautoriser les néonicotinoïdes, notamment pour la culture de la betterave. » Et c'était fondamentalement le même discours.
Ici, on n'est pas dans le cadre de l'équilibre journalistique illustré par un aphorisme qui veut qu'on accorde cinq minutes à Hitler et cinq minutes aux juifs.
La parole est exclusivement donnée à un membre du Groupe de Travail sur les Pesticides Systémiques créé sur la base de ce qu'il faut bien appeler une conjuration qui s'est fixé pour objectif de faire interdire les néonicotinoïdes. M. Jean-Marc Bonmatin en est le vice-président.
Le titre est éloquent, tout comme le chapô.
« Ces insecticides sont jugés responsables de la mort des abeilles », selon le chapô ? Comment se fait-il qu'ils aient été autorisés pendant des années, y compris et surtout en traitements aériens, et qu'ils continuent à l'être en dehors de l'Union Européenne ?
Visiblement, le journaliste ne se pose pas de questions et rabâche un argument maintes fois balancé par les militants anti-néonicotinoïdes.
Mais c'est aux « arguments » de M. Jean-Marc Bonmatin qu'il faut s'intéresser.
« Jean-Marc Bonmatin explique que, selon l'Anses, il existe "22 alternatives aux néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière, dont quatre solutions sont applicables immédiatement". »
Ce n'est pas vraiment l'ANSES, et cela pose un gros problème de crédibilité de cette institution et, partant, de l'ensemble du système de sécurité alimentaire.
L'ANSES a piloté un avis d'experts – des experts essentiellement sortis de leur tour d'ivoire de la recherche ou de l'enseignement, dont une bonne douzaine d'INRAE un institut qui a largement contribué à la quasi-promesse que l'on aurait des solutions de substitution pour 2034.
M. Jean-Marc Bonmatin ne pouvait pas ignorer que le communiqué de presse de l'ANSES, « Des solutions alternatives aux néonicotinoïdes pour lutter contre la jaunisse dans les cultures de betteraves », précise en chapô :
« Ces solutions alternatives qui présentent des efficacités correctes mais insuffisantes en utilisation seule, nécessiteront une approche de lutte intégrée pour atteindre une efficacité suffisante, voire une évolution des pratiques culturales. »
Et dans le texte :
« La plupart des solutions alternatives considérées substituables aux néonicotinoïdes montrent des efficacités correctes mais insuffisantes, en utilisation seule, pour réduire les niveaux de dégâts à un seuil économique acceptable. L’Anses recommande donc de soutenir l’effort de recherche et développement pour adapter les solutions identifiées sur d’autres cultures au cas de la betterave sucrière et tester des combinaisons de solutions dans une approche de lutte intégrée, ainsi qu’en matière d’épidémiosurveillance. »
Il ne faut pas être « docteur » pour comprendre que c'est en grande partie de la pensée magique, de quoi ne pas mécontenter le donneur d'ordre et de quoi ne pas renier des quasi-promesses antérieures.
Mais tout est bon quand on est un militant anti-néonicotinoïdes. Il y a donc « 22 alternatives », foi d'ANSES, et qui, parmi les lecteurs va vérifier de plus près...
M. Jean-Marc Bonmatin est tout de même titillé sur la question de l'efficacité. Voici l'échange complet :
« Franceinfo : L'industrie de la betterave sucrière affirme qu'il n'y a pas d'alternative efficace aux néonicotinoïdes. Est-ce que c'est vraiment le cas ?
Jean-Marc Bonmatin : Parmi les effets extrêmement délétères des insecticides néonicotinoïdes sur l'environnement, la biodiversité et même sur notre santé, on cite les maladies du spectre autistique. Et là, j'ai l'impression qu'on est en plein dedans. Parce qu'en 2021, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) a sorti un rapport extrêmement détaillé qui nous donne 22 alternatives aux néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière, dont quatre solutions sont applicables immédiatement. Donc, je comprends mal qu'on nous dise encore aujourd'hui, il faut faire des traitements préventifs contre la jaunisse de la betterave - il s'agit bien de traitements préventifs car on ne sait même pas si le puceron va arriver ou pas - alors que ces produits sont extrêmement nocifs pour l'environnement, la biodiversité, et même notre santé. Sur le principe même, je ne comprends pas qu'on continue à faire des dérogations, alors qu'on a tout ce qu'il faut pour faire différemment. »
C'est répétitif !
Mais ce qui choque tout particulièrement, c'est, d'une part, la référence à la santé humaine et aux troubles autistiques et, d'autre part, le coq-à-l'âne qui consiste à embrayer sur les questions d'environnement. En pont, « [e]t là, j'ai l'impression qu'on est en plein dedans », qui suggère que cet aspect est étayé par l'ANSES.
Cette référence à la santé humaine est – disons – surprenante.
Une recherche sur Internet ne donne quasiment rien ! Par exemple, Effects of Neonicotinoid Pesticide Exposure on Human Health: A Systematic Review (effets de l'exposition aux pesticides néonicotinoïdes sur la santé humaine : une revue systématique) d'A. Cimino et al. a trouvé une – répétons : une – étude rapportant un odds ratio ajusté de 1,3, avec un intervalle de confiance à 95 % de 0,78 – 2.2,. Autrement dit : rien.
Comment se fait-il aussi que des néonicotinoïdes soient autorisés, malgré cet effet allégué, pour un usage à domicile ou en pipettes et colliers anti-puces pour chiens et chats ?
Mais tout est bon...
Le journaliste insiste :
« Peut-être que ces solutions alternatives sont moins faciles à utiliser, qu'elles demandent plus de temps et que le rendement serait moins important. Est-ce que cela peut être une piste d'explication ? »
Non, il n'aura pas pris la peine de se renseigner auprès des professionnels de la betterave et de ses dérivés... Cela aurait sans doute gâché la communication institutionnelle de notre service public audiovisuel...
M. Jean-Marc Bonmatin critique le principe même d'une action préventive face à un risque de jaunisse somme toute incertain. Et avec un argument étonnant (qui semble mal retranscrit pour le début, à mettre à la forme positive) :
« Ce n'est plus du traitement bête et méchant préventif dès le semis, c'est-à-dire que le traitement est fait au moment où l'on sème sans même savoir s'il va y avoir une attaque de pucerons ou pas. C'est comme si on prenait des antibiotiques dès le mois de septembre jusqu'au mois d'avril en se disant, 'je vais bien attraper une rhinopharyngite'. »
C'est effectivement un traitement préventif, mais pas « bête et méchant »... Il a même reçu l'aval, en quelque sorte, de l'EFSA, pas seulement dans le cas de la France, mais de onze États membres de l'Union Européenne au total. Une EFSA, du reste, absente de la médiasphère française... comme c'est bizarre...
La comparaison avec les antibiotiques est aussi audacieuse et malveillante.
L'enrobage, c'est de la prévention comme les vaccins (ou la prise de vitamine C), une mesure prophylactique ; pas un traitement anticipé et au long cours d'une affection, une mesure qui serait thérapeutique au moment de la survenue d'une affection d'origine bactérienne.
Mais tout est bon...
La faiblesse de l'argumentation est révélée par la fin du propos :
« Mais il faut mesurer aussi les avantages et les inconvénients. Il peut y avoir des avantages économiques pour la profession des betteraviers. Mais il peut y avoir aussi des désavantages catastrophiques pour l'environnement, la biodiversité et notre santé. »
Un scientifique attaché aux faits ne se livrerait pas, à notre sens, à de telles spéculations.
Spéculations ? Il y a encore :
« Quand vous traitez un champ de betteraves, vous le polluez pour au moins cinq ans, jusqu'à peut-être même 30 ans sur certaines molécules qui sont extrêmement persistantes. »
Cela se poursuit par la description d'une véritable écocalypse.
Mais on ne traite pas un champ de betteraves. On enrobe – aurait enrobé – les semences de quelques dizaines de grammes d'imidaclopride ou de thiaméthoxame.
Et l''exagération sur la rémanence des produits est tout simplement grotesque.
Mais tout est bon...
(Source)