Betteraves et néonicotinoïdes : le coup de semonce nous ouvrira-t-il les yeux ?
André Heitz, Haute-Savoie (https://seppi.over-blog.com/)*
L'arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne du 19 janvier 2023 met fin aux dérogations de 120 jours pour l'enrobage des semences de betteraves sucrières avec un néonicotinoïde. Mais sa portée est bien plus vaste : il réduit considérablement les possibilités de répondre à « un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables » en application de l'article 53 du Règlement (CE) n° 1107/2009.
On peut légitimement s'interroger sur cet arrêt qui consacre la primauté du droit pur, rigoriste, sur une solution qui aurait tenu compte des enjeux agronomiques, économiques et sociaux, comme le préconisait l'avocate générale Juliane Kokott dans ses conclusions du 8 septembre 2022. C'est la deuxième fois que la CJUE a pris ce chemin après l'arrêt « mutagenèse ».
Mais il y a un problème sous-jacent bien plus important : l'ambition (théorique) d'« une Europe qui protège » conduit les législateurs – la Commission, le Conseil (les États membres) et le Parlement européen – à appliquer un « principe de précaution » mutant, un « principe d'interdiction », et à empiler les restrictions et les obstacles à l'activité économique. « Farm to fork », censé protéger l'environnement et la santé publique, nous promet une ruine de la souveraineté alimentaire.
L'enrobage des semences de betteraves nous en offre un triste exemple : ce serait une catastrophe dans l'Union européenne, mais il vient d'être autorisé au Royaume-Uni libéré du joug européen par le Brexit, sur des bases parfaitement rationnelles. Il est même défendu par les apiculteurs de l'Alberta, au Canada, pour les semences de canola/colza, plante très attractive pour les abeilles !
Se pose dès lors la question de savoir comment on a pu en arriver là en Europe. Et que faire.
Les organisations militantes – certaines généreusement financées par des fonds publics ou indirectement par des réductions d'impôts, voire soutenues par tel ou tel secteur des pouvoirs publics – entretiennent et font cyniquement prospérer leur fond de commerce en agitant la peur et les menaces imaginaires. Beaucoup de médias font de même... il n'y a qu'à voir le nombre de titres où « tueurs d'abeilles » est invariablement collé à « néonicotinoïdes ».
La recherche, tributaire des financements publics, se fait souvent complaisante ; en témoignent par exemple les annonces de « solutions » qui n'en sont manifestement pas pour la « sortie » du glyphosate ou des néonicotinoïdes, etc. Et cela, c'est quand elle n'est pas militante, voire complotiste : un plan visant à produire une « science » à l'appui d'une interdiction des néonicotinoïdes et ourdi en 2010 est parfaitement documenté.**
On peut aussi questionner les procédures et routines des agences d'évaluation (EFSA, ANSES...) : ainsi, elles doivent bien savoir que la formule consacrée, « un risque pour […] ne peut être exclu » pour décrire une absence de certitude sur l'existence et l'ampleur éventuelle d'un risque, devient un motif d'interdiction – surtout s'il y a le mot « abeilles » à la place des points de suspension.
Ce désastre en devenir pour la filière betteravière – et d'autres en gestation – est une opportunité à saisir pour faire évoluer les politiques. Foin des petits arrangements, des concessions précaires, au mieux sans lendemain. Les bêtises, ça suffit ! L'enjeu est dans le titre d'un ministre fort diseux et peu faiseux : notre souveraineté alimentaire, fondée sur la pérennité d'une agriculture productive – et quoi qu'en disent ses détracteurs, largement respectueuse de l'environnement. À Paris, à Bruxelles, auprès des ministères et dans les assemblées, sur la place publique, dans les médias et sur les réseaux sociaux, dans des blogs... Partout. Avec constance, insistance et détermination.
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* Une version de ce billet a été publiée dans le courrier des lecteurs de la France Agricole du 3 février 2023.
** On ne le répétera jamais assez : La pièce à conviction est un compte rendu d'une réunion tenue à Orsay du 28 au 30 juin 2010 et censée avoir été un atelier international sur les néonicotinoïdes.
On apprend par un addendum que deux membres du groupe se sont ensuite rendus, le 14 juillet 2010, à l'UICN à Gland (Suisse) et qu'il a été convenu d'établir une série d'articles à publier dans des revues scientifiques prestigieuses.
Voici un extrait du compte rendu :
« …Nous essaieront de rassembler quelques grands noms du monde scientifique comme auteurs de cet article. Si nous réussissons à faire publier ces deux articles, il y aura un impact énorme, et une campagne menée par le WWF, etc. pourra être lancée immédiatement. Il sera beaucoup plus difficile pour les politiciens d'ignorer un article de recherche et un article de forum des politiques publiés dans Science. La chose la plus urgente est d'obtenir le changement de politique nécessaire et de faire interdire ces pesticides, pas de lancer une campagne... »