Peut-on vivre avec la NDMA, une nitrosamine ?
Susan Goldhaber*
Image : Steve Buissinne de Pixabay
Une série de recours collectifs prétend que le Zantac peut causer le cancer. Ce n'est pas le Zantac en tant que tel, mais un produit de dégradation, la N-nitrosodiméthylamine (NDMA), qui peut causer le cancer à des doses élevées. Que savons-nous de la NDMA ?
Ma collègue, le Dr Billauer, se concentre sur l'aspect juridique de l'affaire du Zantac ; en tant que toxicologue, je souhaite me concentrer sur la NDMA, substance cancérigène présumée. La juge dans l'affaire fédérale du Zantac était confrontée à la question de savoir si la NDMA présente dans le Zantac (ranitidine) était responsable du cancer observé chez les plaignants. Pour répondre à cette question, il était vital pour elle de savoir quel niveau de NDMA provoque des cancers humains. Et pour répondre à cette question, nous devons explorer les aspects suivants de la NDMA :
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Les effets sur la santé ;
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La relation dose-réponse (quelle quantité est nécessaire pour provoquer un effet indésirable) ;
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Comment les organismes de réglementation choisissent leurs niveaux « sûrs » pour les produits chimiques.
La NDMA est l'une des nombreuses substances chimiques du groupe des nitrosamines qui ne sont fabriquées que pour des applications de recherche. Cependant, on les trouve partout car elles sont produites par la réaction d'un composé azoté (comme l'acide nitreux, le nitrate et le nitrite) avec d'autres composés chimiques (amines) présents naturellement dans les aliments, la transformation et la conservation des aliments, ainsi que dans les processus de fabrication de produits de consommation et de produits pharmaceutiques, dans l'eau potable et même dans notre corps.
On trouve ces composés partout car les scientifiques peuvent désormais mesurer les niveaux chimiques à l'échelle du nanogramme ; un nanogramme est un milliardième de gramme, soit environ le poids d'une cellule humaine ! (Pour les malins, un gramme contient 1.000.000.000 de nanogrammes).
La NDMA et d'autres composés nitrosaminés sont considérés par l'EPA, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) et le National Toxicology Program (NTP) comme des substances probablement cancérogènes pour l'homme. Pourquoi probable et non « connu » ? Parce qu'il n'y a pas de preuve directe qu'elle provoque le cancer chez l'homme, mais il existe des études animales montrant un cancer après une exposition à la NDMA.
Des études sur des animaux ont mis en évidence des cancers du foie, de l'œsophage et du poumon chez les rats, les souris et les hamsters après une exposition à des niveaux élevés de NDMA dans l'alimentation. Cependant, en raison des différences entre la physiologie, le comportement, la génétique et la pharmacocinétique (la transformation des produits chimiques ou des médicaments dans le corps) des animaux et des humains, une substance chimique provoquant un cancer chez les animaux ne signifie pas qu'elle provoquera nécessairement un cancer chez les humains.
Certaines études humaines ont rapporté une association entre la consommation d'aliments contenant des niveaux élevés de NDMA et un risque accru de cancer de l'estomac, du côlon et du poumon. La plupart de ces études étaient de type cas-témoins : les personnes étaient séparées en deux groupes – l'un atteint d'un cancer et l'autre non – et devaient répondre à des questionnaires sur leurs habitudes alimentaires passées. Le problème que posent les conclusions de ces études devrait être évident : combien de personnes se souviennent de ce qu'elles ont mangé il y a un an ? La plupart d'entre nous ne se souviennent même pas de ce qu'ils ont mangé hier !
La dose-réponse examine le niveau d'un produit chimique qui provoque un effet néfaste sur la santé des humains. Cette discussion concerne la dose-réponse pour le cancer, la préoccupation de nocivité pour la NDMA. Lorsque l'on considère les effets à court terme ou non cancéreux, tels que les dommages au foie, les organismes de réglementation utilisent une approche différente pour évaluer le risque, en utilisant d'autres modèles ou aucun.
Le cancer se développe au fil du temps ; c'est un effet sur la santé à long terme ; même un agent cancérigène puissant, comme le tabac, a besoin de plusieurs années pour que le cancer se forme. Pour répondre à la question du niveau d'une substance chimique qui provoque le cancer, les scientifiques utilisent des modèles où les données sur les fortes doses provenant d'études sur les animaux sont extrapolées à de faibles niveaux de substances chimiques dans l'environnement pour déterminer le risque de cancer chez l'homme.
Trois modèles principaux sont utilisés, et la différence entre eux est que deux d'entre eux, le modèle à seuil et le modèle d'hormèse de radiation, ont une dose appelée seuil, en dessous de laquelle aucun effet négatif sur la santé n'est noté. Le modèle linéaire sans seuil ne présente pas de seuil, ce qui signifie que toute quantité, aussi petite soit-elle, peut provoquer un effet néfaste.
L'EPA et la plupart des autres agences utilisent généralement le modèle linéaire sans seuil parce qu'il est le plus conservateur, c'est-à-dire qu'il montre des effets à des doses plus faibles que les deux autres modèles. L'EPA reconnaît qu'il s'agit d'estimations supérieures du risque basées sur des hypothèses non quantifiables concernant les effets à faibles doses.
Ces modèles ne déterminent pas la quantité d'un produit chimique nécessaire pour provoquer un cancer ; ils déterminent plutôt le risque de cancer. Le risque de cancer mesure le nombre de cas de cancer supplémentaires, au-delà de ceux qui pourraient survenir naturellement, qui se développent dans une population après une exposition à un produit chimique au cours de sa vie entière (estimée à 70 ans).
Pour la NDMA, l'EPA a modélisé une étude montrant un cancer du foie chez les rats dû à la présence de NDMA dans leur eau potable. L'EPA a estimé qu'il y aurait un décès excédentaire par cancer pour 100.000 personnes en présence de 6,0 nanogrammes de NDMA par litre d'eau. Santé Canada a utilisé le même modèle mais une étude animale différente et a calculé le risque de cancer à 40 ng de NDMA par litre d'eau.[1]
Ces risques de cancer ne sont pas fixés comme des limites réglementaires ; cependant, ils sont souvent utilisés par les organismes de réglementation pour établir les niveaux acceptables de substances chimiques dans l'eau, l'air ou, dans le cas de la FDA, les produits pharmaceutiques et les produits de consommation. Les agences de réglementation considèrent souvent un risque de cancer excessif de un sur dix mille à un sur un million comme un niveau de risque « acceptable » (même si cela n'a aucune base scientifique) et utilisent la concentration d'une substance chimique dans cette gamme de risque pour fixer un nombre réglementaire.
Pour déterminer la dose journalière admissible de NDMA, la FDA
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a utilisé le niveau de risque de Santé Canada de 40 ng/L, corrrespondant à un cas de cancer sur cent mille ;
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l'a multiplié par deux parce que l'adulte moyen consomme environ 2 litres d'eau par jour. :
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a ajouté 16 nanogrammes supplémentaires.
Résultat : 96 nanogrammes par jour de NDMA sur toute une vie d'exposition ; il s'agit d'une exposition cumulative, et non d'une exposition à court terme comme celle que l'on peut subir en prenant du Zantac.
La réponse précise à la question de la juge concernant le niveau de NDMA qui cause le cancer chez l'homme n'est pas facilement disponible. La raison en est la variabilité significative basée sur les études et les modèles utilisés. Comme la science ne peut pas répondre facilement à cette question, la personne moyenne est sujette à une peur inutile parce que les scientifiques et les médias ne parviennent pas à faire la différence entre une exposition à court terme qui peut avoir des effets mortels et une situation impliquant un risque cumulatif.
La NDMA provient d'une grande variété de sources, y compris les aliments, et essayer de déterminer le risque de cancer à partir d'une seule source, comme le Zantac, est au mieux problématique. Ce qui me donne de l'espoir, c'est que la juge dans l'affaire du Zantac l'a compris et n'a pas laissé des données scientifiques non fiables, incohérentes et non pertinentes prendre le dessus.
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[1] Un rat typique boit entre 20 et 50 ml d'eau par jour.
[2] La documentation de la FDA était insuffisante et ne précisait pas la source des 16 nanogrammes. Mon meilleur jugement, que je n'ai pas pu vérifier, est qu'il s'agissait probablement d'une estimation de la NDMA provenant d'autres sources, comme la nourriture et l'eau.
Sources : EPA Six-Year Review 3 Technical Support Document for Nitrosamines (en anglais seulement)
Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada
* Susan Goldhaber, M.P.H., est une écotoxicologue qui a plus de 40 ans d'expérience dans des agences fédérales et d'État ainsi que dans le secteur privé. Elle s'intéresse particulièrement aux produits chimiques présents dans l'eau potable, l'air et les déchets dangereux. Elle se concentre actuellement sur la traduction des données scientifiques en informations utilisables par le public.
Source : Can We Live with NDMA? | American Council on Science and Health (acsh.org)