M. Marc Fesneau dans Valeurs Actuelles : beaucoup d'analyse, pas de stratégie
Glané sur la toile 971
Quelque deux semaines après l'entretien... (Source)
M. Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire a accordé un long entretien à Valeurs Actuelles au titre alléchant, « [Entretien] Marc Fesneau : “Retrouver la souveraineté agricole” » (publié le 12 janvier 2023).
C'est derrière un péage.
Mais rassurez-vous si vous n'y avez pas accès : vous ne perdez pas grand-chose.
En chapô :
« Ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire depuis mai 2022, Marc Fesneau tire les leçons de la crise du Covid et de la guerre en Ukraine. Il fustige ceux qui veulent nous imposer de la viande de synthèse. Rencontre. »
Vous aurez compris que les journalistes, M. Frédéric Paya et Mme Marie de Greef-Madelin, n'ont pas trouvé grand-chose à se mettre sous la dent, hormis la « viande » de synthèse, un micro-enjeu pour l'agriculture et la souveraineté alimentaire à l'heure actuelle.
En légende d'une photo où on le voit les mains dans les poches avec quelques agriculteurs :
« Le profil du ministre de l'Agriculture Marc Fesneau rassure les agriculteurs et inquiète les écolos bobos. Il a qualifié de "fous dangereux" les opposants à la chasse et à l'élevage. »
Pour les agriculteurs, après la débâcle des semences de betteraves enrobées de néonicotinoïdes...
Première question et première réponse :
« Valeurs Actuelles. Vous êtes ministre de l’Agriculture depuis huit mois. Quelles leçons tirez-vous du Covid et de la guerre en Ukraine ?
Marc Fesneau. Le premier point que je souhaite rappeler, c’est que, malgré ces crises, notre système alimentaire a tenu. Tout cela n’est pas le fait du hasard, mais celui de la très grande mobilisation des pouvoirs publics, bien sûr, mais surtout de ces femmes et de ces hommes qui font l’agriculture et l’agroalimentaire français au quotidien. Et qui n’ont jamais, jamais manqué à l’appel, ni pendant le Covid ni depuis la guerre en Ukraine ! Il faut les en remercier et les Français se sont rendu compte qu’il n’était pas toujours facile de produire et d’assurer la continuité d’une chaîne alimentaire.
Citer la « très grande mobilisation des pouvoirs publics », accompagné d'un « bien sûr » en premier ? Ite missa est !
Mais admettons que le reste de l'hommage à la profession agricole est de bonne tenue.
À part cela ? Beaucoup de banalités, comme cette réponse à la deuxième question :
« Vers quel modèle agricole la France doit-elle aller ?
Il faut arriver, à tout prix, à renforcer notre souveraineté, c’est-à-dire à identifier nos dépendances et à faire les transitions nécessaires en agriculture. Sans transformation de nos modèles agricoles, notre souveraineté alimentaire sera menacée. C’est notre responsabilité pour préserver notre force agricole.
On admettra volontiers que c'était une question très générale. Mais c'est bien lassant de se voir opposer à tout bout de champ le mot « transition », ici deux fois, sans que l'on nous dise d'où on part et vers où, précisément, on veut aller.
Une excellente analyse !
On entre ensuite dans le dur :
« Un récent rapport du Sénat estime que, si la ferme France décroche, c’est à cause des choix qui ont été faits pour privilégier le bio et le haut de gamme…
Sur le bio et le haut de gamme, je ne serai pas le ministre qui oppose les modèles. Là n’est pas la question. Il faut arriver à combiner les demandes des consommateurs : développer le bio dans un contexte inflationniste, c’est travailler sur la demande et le coût de production. [...] »
Il ne veut pas opposer « les modèles »... mais rêve de « développer le bio » ? C'est forcément au détriment de l'agriculture qui nous nourrit...
Et comment peut-on parler de « développer le bio » dans un contexte de crise du bio, non pas conjoncturelle comme ses thuriféraires ont longtemps voulu nous le faire croire, mais systémique ?
Que signifie « travailler sur la demande » par les temps qui courent ? Créer encore plus de marchés captifs, financés par le contribuable ?
Que signifie « travailler […] sur les coûts de production » ? Les faire baisser, soit par de l'argent magique public, soit par ce qu'on pourrait appeler une « industrialisation » et un renoncement aux valeurs du bio, c'est-à-dire une baisse de l'attractivité du secteur pour une partie de sa clientèle ?
Et là, on peut se dire qu'on a un problème, un très gros problème. Les producteurs bio aussi, et surtout.
J'écris à l'heure où nous sommes – enfin, certains sont – encore sous le choc de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne qui prive les betteraviers de la solution de l'enrobage des semences avec de l'imidaclopride ou du thiaméthoxame. Voici ce que disait M. Marc Fesneau quelque deux semaines auparavant :
« Quelles filières agricoles sont les plus fragiles ?
Le cas de la moutarde doit nous inciter à la vigilance. Les risques climatiques, épidémiques qui s’accumulent actuellement à travers le monde peuvent faire chuter à tout moment des productions. Prenez la betterave. Si la France n’avait pas autorisé, pour une période de trois ans, de nouvelles dérogations pour les néonicotinoïdes, la filière aurait disparu. Mais nous ne sommes pas restés les bras croisés : avec le monde de la recherche, avec un soutien financier public dédié, avec les travaux menés par les professionnels, cette période a donné lieu à un travail intense qui doit permettre de se passer définitivement de ces substances tout en garantissant la capacité de produire des betteraves en France dans des conditions économiques viables. »
On connaît maintenant la réponse pour la troisième année... avant les hypothétiques, improbables et impossibles solutions miracles : le néant, hormis un éventuel déploiement d'argent magique pour indemniser les producteurs en cas de jaunisse dévastatrice et maintenir les outils industriels (lesquels?) hors d'eau.
M. Julien Denormandie, le prédécesseur à l'agriculture – mais pas à la « souveraineté alimentaire » – avait dans sa vision de l'avenir le numérique, la robotique et la génétique. Bref, une agriculture du XXIe siècle qui nest pas incompatible avec les structures de l'agriculture française actuelle.
On ne trouvera rien de tout ça dans l'entretien accordé par M. Marc Fesneau. Quant au siècle dans lequel il faut inscrire sa vision, j'hésite. En fait, je me demande même s'il a une vision.