La responsabilité d'inviter la désinformation dans le monde universitaire

La responsabilité d'inviter la désinformation dans le monde universitaire

Kevin Folta, AGDAILY*

Image : greensefa, Flickr

Ma note : L'article d'origine a été publié le 6 octobre 2021. Il reste d'actualité et pertinent pour la France (rappelons que Sciences Po Paris l'avait invitée en octobre 2019).

Alors que nous applaudissons le nettoyage des fausses informations de Twitter et YouTube, pourquoi les accueillons-nous dans nos institutions académiques de confiance ?

Le Dr Vandana Shiva est reconnue comme une idéologue qui sème la discorde et qui est fréquemment invitée à prendre la parole sur les campus universitaires – un loup opposé à l'agriculture moderne enveloppé dans un faux halo de durabilité. Les institutions académiques défendent l'invitation comme étant importante pour « enseigner la controverse », un concept scientifiquement en faillite que l'enseignement supérieur a correctement rejeté il y a des décennies. Nous devrions toujours être ouverts au débat sur les preuves. Mais nous n'invitons pas les spécialistes de la terre plate, les anti-vax ou les négationnistes de l'Holocauste à contaminer les étudiants avec leur point de vue, car celui-ci n'a aucune valeur scientifique et n'a pas sa place dans une institution universitaire.

Lorsque nous offrons une scène vénérée à la désinformation, nous lui donnons un sentiment de légitimité qu'elle ne mérite pas.

Mme Shiva prendra la parole à l'Université du Missouri à Kansas City (UMKC) le soir du 7 octobre 2021. Elle est souvent citée comme experte en sciences (le site Web de l'UMKC la décrit comme « une physicienne de formation ») ; elle est titulaire d'un diplôme de premier cycle en physique et d'un doctorat en philosophie de l'Université Western Ontario. Un diplôme de premier cycle en psychologie ne fait pas de vous un psychologue. La façade d'une scientifique n'est que la première tromperie, car son message tente de renverser un consensus scientifique bien établi et gênant par un appel à la nature et un sentiment anti-entreprises qui entre en résonance avec son public plus que les réalités scientifiques établies.

Rejoignez-nous pour la série de livres et de conférences sur la justice sociale de l'UMKC à 18 heures le 7 octobre. Vandana Shiva, Ph.D., auteur et activiste environnementale, est notre conférencière.

Shiva est l'auteur du livre « Earth Democracy ». Elle est l'un des leaders du Forum International sur la Mondialisation (IFG) aux côtés de Ralph Nader et Jeremy Rifkin. Shiva se bat activement pour changer les pratiques dans l'agriculture et la façon dont les humains perçoivent la nourriture.

Cet événement virtuel est gratuit. Inscrivez-vous pour obtenir le lien Zoom :...

Voir plus

En signe de protestation, une lettre a été signée par un groupe d'universitaires et de journalistes internationaux, dont au moins un lauréat du prix Nobel, et envoyée au chancelier de l'UMKC, C. Mauli Arawal. La lettre s'oppose à ce que l'on offre une tribune à une personne qui a sciemment déformé des preuves scientifiques et dénigré l'alimentation et l'agriculture dans sa guerre personnelle contre les multinationales.

Voici quelques exemples frappants de sa dangereuse rhétorique incendiaire :

1. En juillet 2014, le site Web de Shiva, Seed Freedom, a réaffiché un soutien orné d'une croix gammée à un appel à l'exécution de scientifiques et de journalistes qui soutenaient la biotechnologie agricole (décrits comme des « collaborateurs de Monsanto » et des « auteurs de crimes nazis »). Cette incitation a également été publiée sur la page Facebook de Seed Freedom. Le site web « Monsanto Collaborators » de Shiva a été retiré quelques jours après sa publication, après que des signatures de codage cryptées eurent identifié l'origine du message comme provenant d'un site web populaire et agressif à plusieurs reprises contre la biotechnologie.

2. Elle promeut depuis longtemps le récit mensonger d'un « génocide » orchestré par les entreprises occidentales contre les agriculteurs indiens. Il a été démontré que les affirmations de Shiva sont manifestement fausses et que les nouvelles technologies des semences ont un effet positif sur le revenu agricole.

3. Sa rhétorique a interdit en Inde une technologie de semences nécessaire qui pourrait réduire considérablement l'utilisation d'insecticides. Le « brinjal Bt » est une aubergine génétiquement modifiée qui exprime une protéine sûre et toxique pour le foreur des fruits et des pousses. Cette pyrale est à l'origine de pertes massives de récoltes en Inde et d'une escalade dans l'utilisation d'insecticides, et les agriculteurs indiens voient les grands avantages qu'elle a apportés aux agriculteurs du Bangladesh voisin. En signe de protestation, un collectif d'agriculteurs indiens a semé les graines en défiant les ordres. Shiva a qualifié les agriculteurs « agissant sur ordre de Monsanto » de criminels et a appelé à leur arrestation.

4. Elle cite régulièrement les travaux largement discrédités de Gilles-Éric Séralini, notamment l'article rétracté de 2012 qui affirmait que les cultures génétiquement modifiées et l'herbicide à base de glyphosate provoquaient des tumeurs chez les rats. Les travaux étaient très imparfaits, avec de effectifs testés réduits et des contrôles manquants dans les chiffres ; trois études indépendantes ultérieures menées par l'Union Européenne n'ont pas réussi à reproduire les résultats. Elle s'en tient néanmoins aux affirmations rétractées de Séralini, suggérant qu'elles ont été censurées par « la mafia de la biotechnologie ».

5. Elle déclare au public que le glyphosate est un poison et qu'il est lié à l'autisme, une affirmation qui n'est étayée par aucune preuve empirique. Elle n'a que peu ou pas de compréhension des technologies, ou de l'importance de l'exposition dans l'évaluation des risques. Pour Shiva, tout le monde baigne dans un poison, malgré les nombreuses preuves du contraire.

Ce n'est là que la partie émergée de l'iceberg de la désinformation. Son palmarès de faussetés dangereuses et incendiaires est vaste.

En réponse à la lettre de protestation internationale, le chancelier Arawal défend la décision d'inviter Shiva. Il qualifie Shiva de « controversée » et affirme que son université valorise « la libre expression des idées et des informations ».

Mais voici des nouvelles pour le chancelier. Oui, en tant qu'universités, nous avons absolument l'obligation de débattre de la science, d'inviter des points de vue multiples et d'enseigner aux étudiants comment analyser les preuves. Nous devons enseigner comment passer au crible les données et comprendre ce qui constitue de bonnes expériences. Mais cela ne peut pas être fait avec le Dr Shiva. En une heure qui coûte très cher, elle va stratégiquement désinformer le public au point qu'il faudra un semestre pour démêler les contrevérités – et je n'imagine pas que ces discussions aient été programmées, et encore moins imposées aux participants de l'événement.

Au lieu de cela, les étudiants et le public assisteront à l'événement, Shiva renforcera leurs préjugés et leurs idées préconçues erronées, et ils se retireront dans leurs cercles de réseaux sociaux pour diffuser de fausses informations sur l'alimentation et l'agriculture – le tout validé parce que leur université de confiance a vu de la valeur dans la position de l'oratrice.

Oui, Monsieur le Chancelier, invitez la controverse, mais la controverse doit être encadrée par la littérature scientifique, et non par les divagations régressives d'une activiste de la jet-set qui vend des livres. Nous ne faisons pas venir un « expert » de YouTube qui croit que la Terre a 6.000 ans pour débattre publiquement avec un géologue universitaire. Nous n'invitons pas un négationniste de l'Holocauste pour que les étudiants puissent profiter de « l'expression des idées et de l'information ». Nous n'utilisons pas l'argent des contribuables pour enseigner aux étudiants que la Terre est plate, que les vaccins provoquent l'autisme ou que la Covid-19 est un canular.

Alors pourquoi inviter quelqu'un qui, depuis des décennies, ne cesse de désinformer sur la biotechnologie ?

Ne vous méprenez pas, je suis bien d'accord avec le Dr Shiva sur les questions de climat, d'environnement et de femmes. J'applaudis ses positions sur l'importance des sols, le fléau du gaspillage alimentaire, les inconvénients potentiels de la consolidation industrielle, les Droits de l'Homme et les inégalités dont sont victimes les pauvres dans le monde en développement. Mais je ne partage pas son désir de priver le monde en développement d'une bonne technologie, et je rejette ses mensonges sur la technologie dans l'alimentation et l'agriculture.

En 2015, elle a été invitée à l'Université d'État de l'Iowa. En guise de protestation, une organisation scientifique du campus m'a offert une invitation pour apporter un contre-pied fondé sur des preuves à sa désinformation. Un étudiant journaliste a couvert les deux conférences et a noté le contraste – « ...mes camarades étudiants ont quitté la conférence de Shiva avec un sentiment de peur, de méfiance et de conflit. [...] ceux qui ont écouté Folta sont repartis en sachant plus de choses [...] et en se sentant plus rassurés sur l'avenir de l'alimentation. »

Et son message empoisonné de conspiration, de division et de mauvaise science sera bien accueilli à l'UMKC. Son discours hyperbolique décriant les dangers d'une technologie pourtant bonne finit par nuire aux agriculteurs, aux pauvres et à l'environnement. Ses paroles vont à l'encontre des scientifiques et des éducateurs qui investissent leurs efforts dans la compréhension de la science par le public. Cela m'amène à me demander pourquoi je me bats continuellement pour enseigner à partir de preuves, alors que d'autres universités sont si disposées à payer pour démanteler les progrès que nous faisons.

____________

* Le Dr Kevin Folta est professeur de biologie moléculaire et de génomique dans une université publique, conférencier et animateur de podcasts. Les opinions exprimées ici ne représentent pas nécessairement celles de ses employeurs ou de ses clients.

Source : Liability of inviting Vandana Shiva's disinformation to academia | AGDAILY

(Source)

(Source)

Si vous voulez voir sa présentation, c'est ici.