El Hierro : énergie (pas vraiment) renouvelable, débunkage minable
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M. Vincent Bénard a produit un long fil Twitter expliquant l'échec d'un projet – séduisant sur le papier – de production d'électricité entièrement décarbonée sur l'île d'El Hierro, dans les Canaries.
Les explications ont été reprises par Atlantico dans « 100% énergies renouvelables : l’échec abyssal des Canaries (qui avaient pourtant tout pour réussir sur le papier) ».
Le site Je veux sauver la planète décrit le système comme suit :
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« Un parc de cinq éoliennes, d’une puissance de 11,5 mégawatts, fournit toute l’électricité nécessaire aux insulaires, dont la consommation est de 8 MW aux heures de pointe.
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Le surplus d'électricité fait tourner 4 usines de dessalement d’eau de mer réparties sur le littoral, cette eau dessalée sert pour l'approvisionnement des habitants et pour irriguer les champs
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Le surplus d'électricité sert aussi à pomper l'eau d'un bassin inférieur situé à flanc de colline pour la transférer dans un bassin supérieur situé 650 m de dénivelé plus haut.
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Lorsque le vent vient à mollir, un lâcher d’eau du bassin supérieur vers le bassin inférieur, via une conduite forcée, alimente six turbines qui prennent le relais de la production d’électricité, afin que la centrale hydro-électrique de 11,3 MW puisse fonctionner.
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Cette combinaison très astucieuse de l’eau et du vent permet de pallier à l’intermittence de l’éolien, et même en l'absence du moindre souffle de vent, de produire de l’électricité en continu, avec une autonomie de quatre jours... »
Et M. Vincent Bénard explique que le problème se trouve notamment dans l'inertie des turbines hydro-électriques :
« Ils ont été prudents, ils ont conservé les générateurs diesel de l'usine pré-existante pour pouvoir pallier cela. Donc quand le vent ne souffle pas il faut combler l’intermittence, évidemment, mais il faut aussi faire attention car le vent est capricieux et peut produire des variations brutales de courant dans la grille. Donc il faut une forme d’amortisseur de choc. Pour cela, il faut que dans les stations de backup, il y ait des turbines avec une inertie suffisamment faible pour pouvoir répondre de façon quasi-instantanée à la production de courant. Dans une grille électrique, il faut qu'à tout moment l'électricité injectée corresponde à la demande. S’il y a un décalage cela entraîne un blackout, ce qui peut endommager les systèmes. »
(Source)
L'essentiel du backup est donc assuré par les générateurs diesel.
Notons qu'on est ici en présence d'une configuration claire : ou bien le système de STEP assure le backup, ou bien ce sont les générateurs diesel.
Et M. Vincent Bénard a eu l'audace de conclure que :
« […] on peut donc dire que l'électricité éolienne est une électricité fossile, légèrement décarbonée par un peu de vent. C'est particulièrement évident en Allemagne, où depuis mi-Novembre, les back-ups charbon et gaz tournent à plein régime pour compenser une longue période sans vent ni soleil. »
Cela n'a évidemment pas été du goût de tout le monde. TF1 Info/LCI Vérif a donc publié un « Énergie : "l'échec abyssal" du 100% renouvelable prouvé par l'exemple ? Gare à cette démonstration trompeuse » sous la signature de M. Thomas Deszpot.
Problème général : ce genre de titre, venant en plus après un sous-titre de page Web « L'info passée au crible » incite à penser que l'article proposé rétablit la vérité ou, au pire, propose une « meilleure vérité » que l'article analysé.
Et on peut déjà tomber de sa chaise quand on lit le deuxième point à retenir :
« L'exemple de l'île d'El Hierro, dans l'archipel des Canaries, incarnerait toutes les limites des "énergies vertes". »
C'est une généralisation manifestement abusive (évidente, M. Vincent Bénard s'étant aussi référé à l'exemple indiscutable de l'Allemagne – il aurait tout aussi bien pu prendre le Danemark), et aussi un bel homme de paille.
À l'évidence, du reste, le système très limité d'El Hierro ne peut pas être comparé directement avec un réseau électrique complexe à l'échelle de plusieurs pays interconnectés.
Le résumé des points soulevés par M. Vincent Bénard est aussi lourdement biaisé, de manière à suscité d'entrée leur rejet par les lecteurs :
« Si "la presse mondiale a célébré cette tentative au démarrage du projet", glisse-t-il, c'est selon lui "un échec abyssal" aujourd'hui. » (C'est nous qui soulignons.)
Les dithyrambes initiaux sont pourtant indéniables – et ils sont même admis dans la suite du texte de M. Thomas Deszpot ! Tout aussi indéniables sont les chiffres produits par M. Vincent Bénard (voir ci-dessus le prix du kWh) :
Et puis c'est :
« Au bout du compte, "les résultats ont été [...] très loin des attentes", résume l'intéressé, agrémenté d'une série de rapports et de liens divers. Un argumentaire en apparence très convaincant, qui a été relayé plusieurs milliers de fois, mais fait bondir des spécialistes du renouvelable, en raison d'une série de conclusions trompeuses. »
Nous y voilà... « des spécialistes du renouvelable »...
M. Thomas Deszpot fait donc appel à une caution indiscutable (ironie) :
« Ingénieur spécialisé en photovoltaïque et réseaux, Damien Salel travaille au sein d'une association nommée Hespul, en pointe sur les questions liées aux énergies renouvelables (EnR) et au photovoltaïque en particulier. » (C'est nous qui mettons le lien.)
Soyons clair : M. Damien Salel est affecté par un gros conflit d'intérêts dans cette affaire. Et cela transparaît clairement dans l'article.
Et il poursuit :
« Il [M. Damien Salel] a lu la démonstration postée au sujet du cas El Hierro et a réagi en mettant en lumière une série d'éléments problématiques dans le raisonnement avancé. Il y voit une forme de "désinformation" subtile, quoique sans expertise professionnelle apparente, d'un usager de Twitter dont plusieurs anciens messages sont marqués d'accents climatosceptiques. Ainsi, des éléments "vrais et étayés se retrouvent décontextualisés" au service d'un message orienté et déformant la réalité. »
C'est une très jolie démonstration d'un éreintement se bornant à de vagues généralités, à un dénigrement de l'auteur (oh ! Il n'est qu'économiste et ingénieur...) et à un ad hominem de très bas étage.
Nous vous laisserons le soin de lire – si le cœur vous en dit – la démonstration du fait que M. Vincent Bénard a tort, mais qu'en fait il n'a pas tort, tout en ayant tort... que le 100 % renouvelable est tout à fait possible comme le montre (en fait pas) l'exemple de l'Australie méridionale, etc.
Relevons quand même un intertitre :
« D'anciens messages aux accents climato-sceptiques »
Minable...
Nous avons là un bel exemple de la nécessité de débunker les débunkeurs...
C'est à lire sur l'excellent European Scientist, de M. Vincent Bénard : « El Hierro, l’île qui voulait être “100% renouvelables”, et n’a pas réussi ».