Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

La mystification des « hommes-abeilles » du Sichuan

24 Décembre 2022 Publié dans #Abeilles, #Pesticides, #Chine

La mystification des « hommes-abeilles » du Sichuan

 

André Heitz*

 

 

(Source)

 

La disparition (alléguée) des abeilles et autres pollinisateurs force-t-elle les producteurs de pommes et de poires du certains districts du Sichuan, à polliniser les fleurs de leurs arbres à la main ?

 

 

Arte diffuse en ce mois de décembre un documentaire suédois, « Chine – la terre muette ». Resurgit donc l'allégation selon laquelle la disparition (alléguée) des abeilles et autres pollinisateurs du fait d'un usage inconsidéré de pesticides forcerait des producteurs de pommes et de poires de certains districts du Sichuan, notamment celui de Hanyuan, à polliniser les fleurs de leurs arbres à la main.

 

Cherchez « pollinisation + Chine » dans la rubrique « vidéos », et votre moteur de recherche vous affichera environ 15.600 résultats !

 

Une séquence du National Geographic explique bien le contexte général et le mode opératoire. Avec une mise en contexte anxiogène. La récolte est belle et, à la minute 00:33...

 

« ...mais ce ne sont pas les abeilles que doivent remercier les fermiers pour leur abondante production. Car ici, elles ont disparu depuis bien longtemps. [Musique doucereuse pour ménager le suspense.] Au début des années 1980, l'utilisation non contrôlée de pesticides a annéanti toutes les abeilles de la région et tué toutes les plantes à pollen qui subvenaient à leurs besoins... »

 

 

Cette autre séquence, de France Info, avec une musique quelque peu anxiogène, accuse aussi l'agriculture intensive et « l'utilisation excessive de pesticides dans les vergers ». Mais elle évoque également un fait, sans en tirer les conséquences :

 

« Face à cette crise, la location d'abeilles par des apiculteurs est devenue un commerce important dans la province. Mais une méthode moins chère est aussi employée : la pollinisation à la main. »

 

 

Mes pérégrinations m'ont aussi amené à « Decline of bees forces China’s apple farmers to pollinate by hand » (le déclin des abeilles oblige les pomiculteurs chinois à polliniser à la main). En chapô :

 

« Selon Dave Goulson, expert en pollinisation, le déclin des abeilles sauvages en Chine ne menace pas seulement les récoltes de pommes et de poires. »

 

Est-ce crédible que toutes les abeilles, domestiques et sauvages, et les plantes mellifères aient disparu, en fait depuis des décennies ? Est-ce crédible que, alertées par des producteurs, les autorités chinoises aient répondu, selon le National Geographic » : « Pollinisez à la main ! » ?

 

Est-ce crédible, venant pourtant d'un scientifique réputé – certes aussi réputé pour être un chercheur militant et même plus que militant –, que le déclin des abeilles sauvages pose problème pour les pommiers et poiriers ?

 

Bien sûr que non ! Tout au moins pas dans cette ampleur. Que l'extension des surfaces cultivées et la disparition ou réduction concomitante des habitats, et l'évolution des techniques – un usage excessif et inconsidéré des pesticides – aient eu un effet négatif est difficilement contestable. La disparition totale des abeilles et autres pollinisateurs relève toutefois du mythe.

 

Mais trouver des informations pertinentes dans le déluge d'articles prêchant l'apocalypse relève de la recherche de la légendaire aiguille dans une meule de foin.

 

Voici cependant « La pollinisation manuelle en Chine: Une mystification apido-médiatique française ». C'est de M. André Fougeroux, membre de l'Académie d'Agriculture de France mais aussi ancien de Syngenta... suspect... En fait non : c'est publié par Apiservices et cela a été relu par M. Bernard Vaissière, chargé de recherches à l'INRAE, unité Abeilles et Environnement. Il y a aussi « La pollinisation humaine en Chine – une fable écologique un peu trop parfaite ? » du blog Les recherches de Nicolas », avec essentiellement le même constat.

 

Les pommiers et les poiriers sont essentiellement auto-incompatibles : les fleurs d'une variété donnée ne peuvent être fécondées que par du pollen d'une autre variété, compatible, étant entendu que ces deux variétés doivent fleurir en même temps et leurs arbres ne pas être trop éloignés les uns des autres. Aussi, les vergers se composent généralement d'une variété principale et de pollinisateurs. M. André Fougeroux écrit :

 

« En général, la proportion d’arbres pollinisateurs dans un verger est autour de 1 à 3 pour 10 arbres de la variété de production. Il s’agit donc d’une décision économique : plus il y a d’arbres pollinisateurs, et moins il y a d’arbres de production de la variété souhaitée. Et la proportion d’arbres pollinisateurs plantée dans cette vallée du Sichuan est bien trop faible, d’où la nécessité d’une pollinisation manuelle complémentaire. »

 

Et Nicolas :

 

« Le point numéro 1 permet d’expliquer un paradoxe apparent qui est que les arboriculteurs polliniseraient à la main du fait d’un manque d’abeilles alors que des ruches sont disponibles à la location localement pour un coût huit fois inférieur à celui de la pollinisation humaine (Partap et al. 2001) et que même parfois les arboriculteurs possèdent eux-mêmes des ruches (Swan 2014) ! C’est bien le manque de pollen permettant la pollinisation qui est le facteur limitant et pas tant, à priori, les pollinisateurs. En effet, à quoi bon louer des ruches si, de toute façon, les abeilles ne pourront pas trouver facilement le pollen qu’il faut pour polliniser ? »

 

La situation a changé depuis 2001 du fait du développement économique de la Chine. Mais le constat principal reste inchangé.

 

Partageons aussi sa conclusion :

 

« Cette histoire questionne une nouvelle fois le rapport des médias au catastrophisme écologique. Il est évident que la mise en garde d’Einstein peut nous inquiéter quand il a dit que "Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre", le problème est qu’Einstein n’a jamais prononcé cette phrase… »

 

Il n'y a pas que les médias. Il y a aussi des lobbies qui instrumentalisent la mystification du Sichuan pour leurs discours antipesticides... et Einstein... et aussi la crédultié ambiante

 

_____________

 

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

 

Une version de cet article a été publiée sur Contrepoints.

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
H
Ce qui est amusant dans cette mystification, c'est que le Sichuan est une des grosses régions de production agricole de la Chine. C'est notamment une très grosse région productrice de céréales, on y fait aussi des pommes de terre (récolte historique cette année), de la patate douce, des agrumes, de la canne à sucre et bien sûr du poivre !<br /> Les écolos nous expliquent régulièrement que 80% de l'alimentation mondiale disparaitrait si les abeilles disparaissaient (fable complète bien sûr, il n'y a guère que 10 à 15% de l'alimentation mondiale qui est liée aux pollinisateurs), donc par un tour de magie, au Sichuan, il y aurait des abeilles pour toutes les productions sauf pour les pommes et poires. <br /> Le paradoxe ne semble par émouvoir Arte, ni les téléspectateurs décidément bien abrutis par le Télécran...<br /> <br /> A noter que la multiplication par 10 du coût de la main d'oeuvre au Sichuan depuis 20 ans, a fait disparaitre cette pratique de pollinisation à la main, caractéristique de toutes petites exploitations où les exploitants minimisaient excessivement les arbres compatibles mais non rentables. <br /> Désormais, les exploitations sont plus grandes et mieux gérées professionnellement, on plante suffisamment d'arbres compatibles et on loue des ruches qui se portent bien.
Répondre