L'agriculture régénératrice stimule la biodiversité, la conservation, la durabilité et la dignité des agriculteurs
Chandrashekhar Bhadsavle*
Les meilleurs accidents sont les accidents heureux. Ils arrivent comme des surprises, mais au lieu de livrer un malheur, ils apportent une opportunité.
C'est ce qui s'est passé il y a des années dans ma ferme, lorsque nous avons découvert ce que l'on appelle aujourd'hui la technique régénératrice Saguna – une méthode d'agriculture qui était au départ une nouvelle façon de cultiver le riz, mais dont les grandes leçons commencent à améliorer la production agricole dans toute l'Inde.
Dans les années 1990, je me suis intéressé à la résolution d'un problème lié à la culture du riz. Nous devons produire d'énormes quantités de riz, que près de la moitié de la population mondiale mange quotidiennement. Pourtant, la production de cette culture de base implique tellement de difficultés et d'humiliations que beaucoup de gens refusent de s'y engager. Dans la pratique actuelle de la culture du paddy, ils n'ont pas la possibilité de se débarrasser du labour, du puddlage, du repiquage et de la confection de diguettes.
L'un des objectifs de ma ferme est de redonner de la dignité à l'agriculture – et je n'aurai de cesse de trouver un moyen d'aider les riziculteurs à produre des aliments avec fierté.
Puis vint mon heureux accident.
En 2011, dans ma ferme qui se trouve au sud de Mumbai, dans le district de Raigad, dans le Maharashtra, j'avais réservé une grande parcelle de terrain pour les arachides, appelées ailleurs « cacahuètes ». Nous les avons plantées dans une zone dotée de planches surélevées et d'un système d'irrigation au goutte-à-goutte, mais aux trois quarts environ, mes semences étaient épuisées. J'hésitais à laisser les planches restantes vides et improductives, mais ma seule option facile était de planter du riz pour que ça ait l'air beau et vert.
Les passants se sont moqués de moi parce que j'avais planté deux cultures côte à côte. Le riz avait besoin de beaucoup d'eau, ce qui était préjudiciable aux arachides. Pour eux, c'était insensé.
Mais une chose étonnante s'est produite : les deux cultures ont donné de bons résultats, y compris un rendement plus élevé pour le riz.
Les scientifiques savent que la validité de leurs expériences dépend de la capacité des autres à les reproduire. J'ai donc essayé de confirmer cette nouvelle technique sur plusieurs parcelles de ma ferme en 2012. Les résultats étaient prometteurs, et j'ai encouragé les agriculteurs des environs à l'essayer. J'ai garanti à ces agriculteurs que je les dédommagerais s'ils subissaient des pertes de rendement.
Heureusement, tous ont obtenu des rendements bien plus élevés que ce qu'ils avaient prévu. La technique du riz Saguna (SRT), comme nous l'avons appelée, était un concept éprouvé.
L'un des principaux avantages de la SRT est qu'il s'agit d'une méthode sans labour (no till). Comme nous avons supprimé l'atrocité du labour, notre sol reste en place au lieu de s'éroder. Le sol est également plus sain, car il encourage la production naturelle de vers de terre et augmente le carbone organique dans le sol. Cela permet aux racines de se développer et aux cultures de prospérer.
Et, très important, elle élimine la corvée qui entoure la culture traditionnelle du riz paddy : plus de labour, plus de puddlage, et plus de repiquages manuels qui ont fait de la riziculture un moyen peu attrayant de gagner sa vie.
Grâce à l'innovation, nous avions rendu leur dignité aux agriculteurs.
Nous ne nous sommes pas arrêtés là. Dès le début, nous avons appliqué les méthodes de semis direct de la SRT à d'autres cultures de notre exploitation : légumineuses, légumes, maïs, etc. Cela a fonctionné pour elles aussi.
Le cotonner et le soja ont toutefois posé un défi, car ils ont souvent du mal dans les sols avec beaucoup d'argile et un mauvais drainage. Puis, en 2019, un agent en charge du « Projet sur l'agriculture résiliente face au climat » (PoCRA) de la Banque Mondiale a fait venir dans notre ferme des agriculteurs d'un district exposé à la sécheresse. Il voulait leur présenter la SRT, mais la plupart de nos agriculteurs invités étaient sceptiques.
Un agriculteur courageux a décidé de tenter sa chance. Il a utilisé la SRT sur sa culture de cotonnier et a obtenu d'excellents résultats. En 2020, une trentaine de ses voisins ont adopté la méthode à leur tour. L'année suivante, 300 l'ont essayée et cette année, le nombre est passé à plus de 1.000. Tous ces nouveaux changements ont eu lieu sans grandes incitations monétaires de soutien. Voir le succès de la SRT était la seule motivation dont ils avaient besoin, et maintenant les agriculteurs prospères aident leurs voisins dans le besoin.
Les plus grands attraits pour les agriculteurs sont la baisse drastique des coûts de culture, la réduction de leur dépendance à la main d'œuvre, et la présence accrue de vers de terre naturels dans leurs terres pour la première fois, ce qui confirme l'amélioration de la santé de la terre nourricière et de la biodiversité. Ils remarquent également une baisse marquée des attaques de ravageurs et de maladies sur leurs cultures, ce qui a un impact visible sur la productivité qui augmente d'au moins 30 % et parfois du double par rapport à leurs homologues traditionnels.
En observant la SRT se répandre au-delà de la riziculture, nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions pas continuer à l'appeler la « technique du riz Saguna ». C'est pourquoi elle a récemment été rebaptisée « Saguna Regenerative Technique », afin de souligner son adaptabilité à de multiples cultures ainsi que la manière dont elle stimule la biodiversité, la conservation et la durabilité.
La SRT est maintenant sur le point de devenir un mouvement majeur dans l'agriculture et a précisément répondu aux besoins des petits exploitants agricoles – et tout a commencé par un heureux accident en Inde.
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* Chandrashekhar Bhadsavle, agriculteur, Inde
Est dans l'agriculture depuis 1976 – a élevé la ferme à un statut où de nombreux membres de la société la connaissent et veulent la visiter. Grandes cultures, produits laitiers, agroforesterie, aquaculture et horticulture + destination touristique. Défend la technique du riz Saguna (SRT), qui est une agriculture de conservation utilisant le zéro labour.