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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Pétition « anti-pesticides » et déontologie journalistique

28 Septembre 2022 Publié dans #Activisme, #Pesticides, #"agneau-méduse", #critique de l'information

Pétition « anti-pesticides » et déontologie journalistique

 

André Heitz*

 

 

(Source et source)

 

 

Il y a dix ans, le 20 septembre 2012, paraissait en kiosque un numéro de l'Obs ravageur : « Oui, les OGM sont des poisons ! » était-il annoncé en couverture. L'hebdomadaire se fondait sur la publication, la veille, d'un article « scientifique » de Gilles-Éric Séralini et al. ; celui-ci avait été agrémenté d'une photo de trois rats qu'on avait laissé vivre suffisamment longtemps pour qu'ils arborent d'énormes tumeurs photogéniques (il manquait le témoin pour la comparaison...).

 

L'article et la photo ont fait leur effet en France, dans un gouvernement à la fois paniqué et ravi, car fondamentalement anti-OGM, puis dans l'Union Européenne, et dans le monde.

 

L'Obs avait contribué à une formidable opération de communication incluant aussi, notamment, deux films et deux livres (de M. Gilles-Éric Séralini et Mme Corinne Lepage) et une conférence de presse au Parlement Européen. L'article principal et les extraits des deux ouvrages publiés par l'Obs – « Inconscience ? Lâcheté ? Collusion criminelle ? » et « Les multinationales ont asservi les États » – étaient anxiogènes et complotistes à souhait.

 

Il suffisait pourtant de lire le résumé de l'article « scientifique » pour comprendre que, selon le commentaire lapidaire du toxicologue Gérard Pascal publié ce même 20 septembre 2012 par le Figaro, « [c]ela ne vaut pas un clou ».

 

On connaît la suite : l'étude sur les rats a été complètement discréditée, rétractée puis republiée dans une revue complaisante... mais le mal était fait. Et si l'horrible photo n'est plus reproduite à tout bout de champ, elle continue de hanter le paysage politique et médiatique.

 

 

La leçon n'a pas été apprise

 

Il y a des médias qui continuent de publier des articles et des tribunes et de reproduire des pétitions bafouant allègrement la réalité des faits, sans faire preuve de prudence et d'esprit critique.

 

France Info vient ainsi d'en relayer une, le 20 septembre 2022, sous le titre : « "Nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas: 80 organisations exigent la fin des pesticides de synthèse ».

 

En chapô :

 

« Ces associations, collectifs et syndicats pointent les risques pour la santé et pour la biodiversité des pesticides, qui contaminent l'air, les sols et l'eau. Ils en appellent à l'application immédiate du principe de précaution. »

 

Qu'on se rassure pour le délai : ces entités exigent « une sortie totale des pesticides de synthèse d'ici cinq ans ». Mais cela ne nous rassure pas sur la compétence du rédacteur (anonyme) de France Info.

 

L'interrogation principale reste cependant la suivante : fallait-il relayer la tribune/pétition ? En d'autres termes, le fait que 80 organisations... est-il suffisant ou aurait-il fallu au préalable examiner de plus près la qualité de la tribune/pétition ?

 

 

Qui sont les 80 organisations ?

 

Le texte est parti d'Avenir Santé Environnement, constituée dans la Communauté d’Agglomération de La Rochelle, dans le contexte d'un nombre élevé de patients de la commune de St Rogatien soignés à Poitiers pour des hémopathies et cancers.

 

La liste des entités qui soutiennent l'association précitée tient du catalogue à la Prévert.

 

Parmi les grandes connues on citera par exemple ATTAC France ou encore Greenpeace France. Mais toutes ne sont pas au rendez-vous...

 

Le militantisme anti-pesticides est évidemment à la parade avec évidemment Générations Futures. Le biobusiness est aussi bien représenté : Bio Cohérence, Bio Consom'Acteurs, Léa Nature, Nature et Progrès, etc. – avec les alliés traditionnels comme La Confédération Paysanne ou encore l'Union Nationale de l'Apiculture Française et UFC Que Choisir.

 

Et on trouve des curiosités comme Périgny Anti Linky-5G et POEM 26 (Prévention des Ondes Électromagnétiques), ou encore Warrior Enguerrand au curieux site web, ni fait, ni à faire, et Sea Shepherd France.

 

 

Bon sang, mais c'est bien sûr ! C'est les pesticides !

 

Oups ! « De synthèse » ! Il n'est évidemment pas question pour cet attelage hétéroclite de nuire aux affaires d'une de ses composantes. D'ailleurs, cette tribune/pétition est un appel implicite en faveur de l'agriculture biologique, camouflée comme souvent en « agro-écologie ».

 

Pourtant, à supposer que l'on puisse faire un lien de cause à effet entre produits de protection des plantes, et cancers et leucémies – dans des cas particuliers ou en général –, la distinction entre « naturelle » et « de synthèse » n'intervient pas comme facteur de danger ou de risque. On sait ainsi que des produits ayant reçu l'onction de l'agriculture biologique sont préoccupants pour la santé ou l'environnement, à commencer par le fameux sulfate de cuivre.

 

L'Association Avenir Santé Environnement invoque, certes, des « résultats d’études [qui] mettent en évidence la présence massive de pesticides autour de La Rochelle et plus particulièrement dans la plaine d’Aunis », et ce, sans citer de sources.

 

Mais l'étude du CHU/Université de Poitiers, qu'elle cite – « Incidence des tumeurs solides et des hémopathies malignes chez les résidents des communes de Saint-Rogatien et de Périgny (Charente Maritime) de 2008 à 2018 » –, évoque la présence de la « Société Rochelaise d’Enrobés, entreprise de fabrication de bitumes et enrobés routiers installée à Périgny et limitrophe de Saint-Rogatien ».

 

Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé le bitume comme probablement ou possiblement cancérogène pour certaines catégories de travailleurs. Il ne s’est pas prononcé sur le danger pour les riverains des usines de production de bitume. Mais s'il faut chercher un lien de cause à effet – un coupable – le bitume serait un bien meilleur « client » que les pesticides.

 

Oui, mais cela ne réunirait pas 80 organisations, ne répondrait pas à un objectif socio-politique et ne ferait pas le buzz...

 

 

Un excès de risques ?

 

Selon l'Association Avenir Santé Environnement,

 

« [d]ès 2018, une étude épidémiologique a révélé un excès de risques pour la tranche d’âge des 0-24 ans sur la commune de Saint-Rogatien ».

 

En fait, le rapport du CHU de Poitiers est bien plus nuancé. De sa conclusion :

 

« Cette étude fournit une vision exhaustive des cas de cancers documentés par le Registre Général des Cancers de Poitou-Charentes sur une période de 11 ans en application des standards internationaux d’enregistrement. Au vu de ces résultats, il ne semble pas qu’en termes d’incidence de cancer, les communes de Saint-Rogatien et de Périgny soient dans une situation défavorable comparativement au département de Charente-Maritime. L’analyse de la période disponible 2008-2018 ne montre pas de différence significative en termes d’incidence, mais un excès de risque, sous réserve de la faiblesse des effectifs, ne peut à nouveau être écarté chez les sujets les plus jeunes (0-24 ans) pour la commune de Saint-Rogatien. »

 

On ne peut pas dire que « un excès de risque […] ne peut […] être écarté » soit fidèlement transcrit par « une étude épidémiologique a révélé un excès de risque ».

 

 

Au secours ! Séralini revient !

 

Selon la tribune/pétition, « [r]écemment, il a même été démontré que les pesticides contiennent des résidus de pétrole et des métaux lourds non déclarés ce qui peut aggraver leurs toxicités ».

 

Cela vient avec une – seule et unique – référence à « Toxic compounds in herbicides without glyphosate »... de Gilles-Éric Séralini et Gérald Jungers... publié à nouveau dans Food & Chemical Toxicology.

 

On trouve là un merveilleux exemple du bonneteau des articles définis et indéfinis : non, ce n'est pas « les pesticides », mais « des pesticides »...

 

Si tant est que les deux auteurs aient trouvé quelque chose, ou quelque chose de réaliste et significatif. Nous avons analysé l'article « scientifique » dans « Aïe, aïe, aïe, il y a de l'arsenic dans des pesticides, nous prévient M. Gilles-Éric Séralini ! Nous allons tous mourir... » En bref, et pour reprendre la formule de M. Gérard Pascal évoquée ci-dessus, cela ne vaut pas un clou.

 

 

Des revendications complexes et bricolées

 

Comme le suggère le titre de France Info, il a été fait usage du sophisme de l'appel à l'émotion, et ce, abondamment. Les envolées lyriques sont aussi de mise. Imitant M. François Hollande, les auteurs ont recouru à une anaphore, « [n]ous savons que... », à commencer par :

 

« Nous savons que la France est à l’heure actuelle l’un des principaux consommateurs de pesticides en Europe. »

 

C'est juste en valeur absolue, compte tenu de la surface agricole et des productions de la France, mais faux quand on utilise un indicateur plus pertinent : la France est dans une honnête moyenne en termes de kilogrammes par hectare.

 

Les auteurs de la tribune/pétition savent donc beaucoup de choses, y compris carrément fausses ou au mieux à relativiser, et demandent « aux décideurs d’appliquer le principe de précaution », étant posé que « [c]ontre ce désastre sanitaire systémique, la France doit réagir de toute urgence ».

 

Mais plus loin, l'urgence devient moins urgente pour la majorité des pesticides (« de synthèse », évidemment). Il est demandé en effet « d’une seule et même voix » :

 

« L’application immédiate et systématique du principe de précaution concernant toutes les formulations mettant en œuvre les molécules classées CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique), les néonicotinoïdes et les perturbateurs endocriniens. »

 

Et finalement, on veut :

 

« Une sortie totale des pesticides de synthèses [sic] d’ici cinq ans ».

 

Les pétitionnaires sollicitent aussi :

 

« ...une entrevue avec la Première ministre Mme Borne afin de lui présenter nos constats, notre démarche et nos perspectives. »

 

Et, pour faire bonne mesure :

 

« Nous sollicitons le soutien de l’ensemble de la représentation nationale et demandons aux député·e·s, sénateurs et sénatrices, d’étudier nos demandes et d’organiser un débat objectif sur ce sujet majeur d'intérêt général. »

 

« ...étudier nos demandes » devrait au minimum impliquer la possibilité de ne pas les retenir après examen...

 

 

Ah ! Les pesticides « de synthèse »...

 

Les pesticides « de synthèse » sont donc le mal absolu, un peu relatif tout de même puisque les pétitionnaires sont généreusement disposés à accorder cinq ans de sursis aux agriculteurs qui nous nourrissent.

 

Pourtant, MM. Gilles-Éric Séralini et Gérald Jungers avaient trouvé des cochonneries – dans des herbicides « sans glyphosate ». Il s'agit en fait des nouveaux produits de marque Roundup ou autre, à base d'acide acétique (du vulgaire vinaigre), pélargonique, caprylique ou caprique – bref, les dignes successeurs de l'acide sulfurique qui fut utilisé avant-guerre par milliers de tonnes sur les céréales.

 

Ils ne sont pas utilisables dans une agriculture biologique qui interdit tous les herbicides. Mais, ils sont qualifiés de produits biologiques (exemple), au moins dans le commerce, et sont disponibles en jardineries et supermarchés,

 

 

Le grand écart sur les pesticides utilisables en agriculture biologique

 

Y aurait-il eu un accès de réalisme ? Les pétitionnaires demandent :

 

« La révision immédiate des textes réglementaires censés encadrer l’usage des pesticides notamment le décret dit de “Protection des personnes”. Nous souhaitons que les zones concernées par ce décret ainsi que des périmètres de protection autour de tous les lieux de vie, écoles, crèches, terrains de sport et habitations compris soient traités exclusivement avec des produits utilisés en agriculture biologique, sans aucun lien avec des pathologies lourdes et irréversibles. »

 

Il y aurait donc des pesticides biologiques dangereux ! Les nouveaux Roundup et compagnie seraient-ils interdits ? Leur profil toxicologique et écotoxicologique est moins bon que celui du glyphosate.

 

 

Un registre des cancers, de meilleures études

 

Les signataires de la tribune/pétition réclament aussi la « mise en place immédiate d’un registre territorialisé des cancers sur l’ensemble du territoire français », des études sur les produits formulés et les « effets cocktail ».

 

On ne peut que souscrire à la première demande.

 

Quant aux suivantes, elles sont en partie fondées sur de la désinformation. Non, les co-formulants sont aussi analysés en tant que de besoin, et les normes ne se limitent pas à la toxicité aiguë.

 

 

Et la déontologie journalistique ?

 

À vous de voir...

 

Ce qui est rassurant, c'est que cette tribune/pétition n'aura, a priori, pas le même impact que les fameux rats. Sauf erreur, elle n'aura intéressé que le Parisien/Charente Maritime (repris par MSN), Sud-Ouest et France Bleu.

 

Mais qui sait ? Peut-être se trouvera-t-il des gens dans les instances de décision prêts à refaire l'expérience du Sri Lanka...

 

______________

 

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

 

Une version de cet article a été publiée dans Contrepoint.

 

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J
Vous avez oublié "Alofa Tuvalu" comme ONG "exotique", très exotique même vu que Tuvalu est une ile du pacifique indépendante... mais que viennent ils faire ici???<br /> Il me semble qu'il y a aussi des associations anti vaxx dans le lot...
Répondre
J
En voici une:<br /> <br /> http://www.reseau-environnement-sante.fr/toxic-story-pr-gherardi-publie-livre-danger-de-laluminium-vaccinal/
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> Effectivement, Alofa Tuvalu aurait mérité d'être signalée.<br /> <br /> Quant aux associations antivax, je n'ai pas vérifié. Mais je vais peut-être le faire.
P
Merci pour votre article et vos arguments que je partage. Question connexe, j'essaye de partager votre article sur Facebook et je tombe sur le message "Votre message ne peut être envoyé car d’autres personnes ont signalé son contenu comme abusif." ce qui es d'ailleurs systématique avec ce blog seppi. Avez-vous une explication ? Cordialement.
Répondre
H
Il n'y a pas que Facebook qui est aux mains des Gardes Verts, il y a quelques années j'ai essayé de modifier des articles erronés sur Wikipédia traitant de la pollinisation des plantes. <br /> On nous bassine avec les insectes pollinisateurs mais l'essentiel de ce que nous consommons (85%) ne dépend pas des insectes. <br /> Par exemple, le blé, le riz et un nombre assez important de graminées consommées par les ruminants sont non seulement autogames mais également cléistogames, c'est à dire que la fleur s'auto féconde avant même de s'ouvrir. <br /> Pour des plantes qui ont besoin d'une fécondation croisée (par exemple à sexe séparé), on a des solutions technologiques aujourd'hui bien au point, pulvérisateurs à pollen pour les dattiers ou les kiwis par exemple. <br /> On a également développé par sélection des variétés qui n'ont plus besoin de fécondation, là où elle était autrefois indispensable : par exemple le concombre. <br /> Bref, j'ai tenté sur ce sujet et sur d'autres également de rectifier Wikipédia, durée de mes rectifications : quelques heures, la page précédente revient systématiquement, des gardes verts doivent veiller avec sans doute des systèmes d'alerte.<br /> Quand à la presse généraliste, pas besoin de perdre son temps à tenter un commentaire rectificatif, la censure sélective règne en maître.
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre message.<br /> <br /> Des gens "bien intentionnés" ont effectivement "signalé" le blog à une "modération" à laquelle je n'ai pas accès pour faire débloquer le blog.