Désinformation mainstream : la longue histoire de plaidoyer anti-scientifique du Lancet
Cameron English*
Image : geralt via Pixabay
Les plate-formes de réseaux sociaux, les sites web marginaux et les groupes d'activistes sont des sources bien connues d'absurdités non scientifiques. On parle moins du fait que l'activisme idéologique déguisé en recherche trouve souvent sa place dans des revues universitaires prestigieuses. Une revue en particulier a une longue histoire de publication de contenus douteux : The Lancet.
La désinformation est omniprésente sur les réseaux sociaux. La communauté scientifique a passé la majeure partie des deux dernières années à essayer de ralentir la prolifération d'affirmations fallacieuses sur les vaccins contre la Covid-19 et d'autres sujets liés à la pandémie, dans le cadre d'un effort plus large visant à corriger le malentendu généralisé sur la sécurité des pesticides, du génie génétique et des vaccins en général. Mais ces efforts ont échoué sur un point essentiel. Ils n'ont pas inclus les universitaires et les publications ostensiblement réputées qui promeuvent l'absurdité de toutes ces innovations importantes en matière de santé publique.
De qui s'agit-il exactement ? D'un groupe de scientifiques réputés, de plusieurs groupes de pression fortunés et, plus surprenant encore, de The Lancet, une importante revue médicale qui a amplifié l'activisme de ses alliés idéologiques au fil des ans.
Cette collaboration a déjà causé de sérieux dommages à l'acceptation par le public de la science établie. Si elle n'est pas combattue, elle poussera la recherche et la communication scientifiques plus loin en territoire militant et étouffera les progrès technologiques en matière d'alimentation et de médecine qui pourraient éviter bien des souffrances dans le monde. Avant d'examiner l'évolution de ce projet, il convient de revenir brièvement sur les événements qui l'ont amené jusqu'ici.
En 1998, le médecin britannique Andrew Wakefield et plusieurs coauteurs ont publié dans The Lancet une étude, aujourd'hui rétractée, suggérant que le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) pouvait être lié à l'autisme, ce qui a donné au mouvement anti-vaccins un important coup de pouce en termes de relations publiques en promouvant un mythe dangereux que la communauté scientifique a mis des années à réfuter. La campagne contre le vaccin ROR a été menée en grande partie par Robert F. Kennedy Jr, peut-être le militant anti-vaccins le plus connu au monde.
Après que le journaliste d'investigation Brian Deer a révélé le comportement contraire à l'éthique de Wakefield en février 2004, 10 des 12 auteurs de l'article de 1998 ont publié une « rétractation » dans The Lancet deux semaines plus tard, en précisant toutefois que « cette déclaration ne reflète pas nécessairement les opinions des autres co-auteurs ». Le rédacteur en chef du Lancet, Richard Horton, a également publié le même jour une déclaration rejetant plusieurs des allégations d'inconduite scientifique formulées à l'encontre de Wakefield. Ce n'est qu'en 2010 que la revue a effectivement rétracté l'étude. Ce délai de 12 ans a été plus que suffisant pour que le travail de Wakefield fasse de sérieux dégâts. Comme l'a écrit Deer dans le British Medical Journal en 2011 :
« Le [Lancet], quant à lui, a mis 12 ans à rétracter l'article, alors que ses méfaits avaient été exportés. Alors que la confiance des parents revenait lentement en Grande-Bretagne, la peur s'est propagée dans le monde entier, déclenchant la peur, la culpabilité et les maladies infectieuses – et alimentant la suspicion à l'égard des vaccins en général. En plus des épidémies de rougeole, d'autres infections resurgissent, avec [...] l'été dernier, la Californie qui a vu 10 bébés mourir de la coqueluche, dans la pire épidémie depuis 1958. »
Aucune revue ne peut être blâmée pour avoir publié une étude défectueuse. « Le processus d'édition et d'examen par les pairs n'est pas parfait », a écrit le Dr Steven Novella, neuroscientifique, à la suite de la rétractation complète, « et compte tenu du nombre d'articles publiés, il n'y a aucun moyen d'empêcher les recherches douteuses, voire frauduleuses, de passer entre les mailles du filet ». Mais, ajoute Novella, l'examen par les pairs doit se poursuivre après la publication d'une étude, et le Lancet aurait pu retirer l'étude de Wakefield bien plus tôt.
En effet, le General Medical Council de Grande-Bretagne a publié une enquête en 2007 qui réfutait des aspects clés de la déclaration de Horton de 2004. Deer a également noté dans un rapport du BMJ de 2011 que le Lancet s'est démené « pour discréditer mes affirmations pendant les 48 heures qui ont suivi la divulgation de l'information ». Deer avait informé les rédacteurs de la revue la même semaine où il avait publié son enquête initiale sur le travail bâclé de Wakefield. Mais les dirigeants du Lancet n'ont pas été très réceptifs :
« J'avais supposé qu'à la fin, Horton dirait qu'une enquête était nécessaire pour démêler ces questions complexes. Il y avait au moins trois volets : une possible fraude dans la recherche, un traitement non éthique d'enfants vulnérables, et le conflit d'intérêts de Wakefield par le biais de son avocat. Mais dans les 48 heures, et en collaboration avec les trois auteurs principaux de l'article, le journal allait publier une avalanche de démentis de 5.000 mots, dans des déclarations non rétractées à ce jour. »
Ces événements suggèrent que The Lancet était bien trop investi dans la défense d'une mauvaise étude qu'il n'aurait jamais dû publier. Mais le problème est bien plus vaste que l'atroce article de Wakefield.
En 1999, un an seulement après avoir publié l'étude de Wakefield, The Lancet a publié un éditorial intitulé « Health Risks of Genetically Modified Food » (les risques pour la santé des aliments génétiquement modifiés). Entre autres griefs, l'article affirmait que les pommes de terre génétiquement modifiées provoquaient des modifications intestinales chez les rats, une affirmation fondée sur les résultats d'un autre article du Lancet rédigé par le Dr Arpad Pusztai, et que Monsanto produisait une céréale « stérile » qui obligeait les producteurs à acheter de nouvelles semences chaque année.
Monsanto n'a jamais commercialisé de semences transgéniques « stériles » ; elles n'existent que dans l'esprit des militants anti-OGM mal informés. L'allégation selon laquelle les pommes de terre transgéniques sont potentiellement dangereuses pour les rongeurs a été critiquée par les experts. Ils ont fait remarquer que l'étude de Pusztai ne comportait pas de groupe de contrôle approprié, ce qui rendait impossible de déterminer si l'ADN « étranger » de la pomme de terre transgénique était nocif. En outre, le Dr Nina Fedoroff, biologiste des plantes, a expliqué que les expériences étaient entachées par
« des échantillons de petite taille, l'utilisation de procédures statistiques inappropriées, et le fait qu'un régime de pommes de terre crues – ou même cuites – est un mauvais régime pour les rats (et aussi pour l'homme) [...] »
Cependant, ces critiques ne semblaient pas avoir d'importance. M. Horton s'en est tenu à la décision de The Lancet de publier l'article, en faisant valoir que la suppression du débat sur les cultures génétiquement modifiées exacerberait les préoccupations du public en matière de sécurité alimentaire. C'est peut-être un argument raisonnable, mais il ne faut pas oublier que la publication de l'étude a renforcé la campagne militante contre les biotechnologies végétales. En effet, l'article de Pusztai est devenu l'une des preuves les plus citées que les cultures génétiquement modifiées sont potentiellement dangereuses pour la santé humaine.
En 2017 encore, Jefferey Smith, gourou de longue date de la lutte contre les OGM, a défendu l'étude, accusant les critiques de la Royal Society de faire un « travail de hache » sur Pusztai. Mais il s'agissait d'une évaluation incomplète de la situation. Dans un courriel adressé à l'ACSH, le Dr Liza Dunn, responsable des affaires médicales pour Bayer Crop Science, a souligné un autre problème crucial lié à la manière dont Pusztai a présenté ses conclusions au public :
« Pusztai a fait des déclarations à la télévision nationale qui n'étaient pas étayées par ses recherches – il a dit que les rats nourris avec des pommes de terre GM non cuites étaient immunodéprimés et avaient un retard de croissance. Son article de recherche affirmait que les rats nourris avec des pommes de terre GM non cuites avaient des effets prolifératifs sur les cellules épithéliales de l'estomac et du jéjunum et ne parlait pas d'immunosuppression ou de retard de croissance. Il est un peu naïf de faire des affirmations fausses lors d'une conférence de presse et de se demander ensuite pourquoi la [Royal Society] est contrariée. »
Les contributions du Lancet au plaidoyer anti-OGM ne se sont pas arrêtées aux affirmations fallacieuses sur les pommes de terre. En mars 2015, The Lancet Oncology a publié un résumé de la monographie 112 du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC). Il s'agit du rapport controversé qui a classé l'herbicide glyphosate comme « probablement cancérogène pour l'homme ». Ses lacunes ont été minutieusement documentées, mais il y avait également une erreur grave et souvent négligée dans le résumé du Lancet. « En mars 2015, commence le document, 17 experts de 11 pays se sont réunis au Centre International de Recherche sur le Cancer [...] pour évaluer la cancérogénicité des pesticides organophosphorés tétrachlorvinphos, parathion, malathion, diazinon et glyphosate. »
Le problème ? Le glyphosate n'est ni un insecticide ni un organophosphate. « [I]l faut noter que le glyphosate n'a pas le mode d'action neurotoxique des neurotoxines organophosphorées, qui passe par l'inhibition de l'acétylcholinestérase et la surstimulation des récepteurs cholinergiques », écrivait en 2015 Miguel Faria, professeur clinicien de neurochirurgie à la retraite. En d'autres termes, le glyphosate ne ressemble en rien, ni chimiquement ni fonctionnellement, aux pesticides organophosphorés.
Les erreurs et les oublis compréhensibles sont courants dans la littérature évaluée par les pairs, comme indiqué ci-dessus, mais si les revues ne corrigent pas ces erreurs, elles peuvent gravement induire le public en erreur. Cela inclut les médecins qui peuvent involontairement mal traiter les intoxications au glyphosate ou amplifier des informations inexactes sur les réseaux sociaux.
Comme dans les deux cas précédents que nous avons examinés, The Lancet n'a pas corrigé son résumé de la monographie du CIRC, six ans après sa première publication. Mais tout ceci n'est que la toile de fond du plaidoyer plus récent de la revue. Comme nous le verrons dans la deuxième partie, The Lancet a soutenu « que la médecine a beaucoup à apprendre de [Karl] Marx », a approuvé l'utilisation d'un langage manifestement non scientifique – en appelant les femmes « des corps avec des vagins » – pour apaiser les préoccupations des militants de la justice sociale et, plus important encore, a appelé à une « Grande Transformation Alimentaire ».
La revue s'est faite le champion de son programme EATLancet comme moyen de réaliser cette transformation, qui recoupe largement la campagne Farm-to-Fork de l'UE en demandant de sévères restrictions sur l'agriculture animale et l'utilisation de pesticides, et en demandant le soutien obligatoire à l'agroécologie, le dernier mot à la mode utilisé pour décrire l'agriculture biologique.
Ce plaidoyer semble faire partie d'un effort encore plus vaste visant à construire un nouveau cadre sociopolitique pour « éviter les conséquences catastrophiques de l'exploitation des ressources de la Terre dues au capitalisme ». Nous examinerons en détail les conséquences de ces efforts de lobbying la prochaine fois. Mais ce qui est d'ores et déjà clair, c'est que The Lancet a quitté depuis longtemps le domaine de la science.
_____________
* Cameron English, directeur de Bioscience
Cameron English est auteur, éditeur et co-animateur du podcast Science Facts and Fallacies. Avant de rejoindre l'ACSH, il était rédacteur en chef du Genetic Literacy Project.
Ma note : Le cas de l'article sur le glyphosate est un peu particulier. Il est de tradition que le Lancet publie un résumé des monographies du CIRC, signé par les des auteurs de ces monographies.