Comment les scientifiques modifient génétiquement le cotonnier pour le rendre plus durable
Serina Taluja*
Environ 88 % du coton cultivé aux États-Unis a été génétiquement modifié pour résister à des chenilles. Crédit : Otis Dozier
Les produits dérivés du cotonnier entrent dans la composition de nombreux articles d'usage quotidien, notamment les blue-jeans, les draps de lit, le papier, les bougies et le beurre de cacahuète. Aux États-Unis, le cotonnier représente une culture annuelle de 7 milliards de dollars américains dans 17 États, de la Virginie à la Californie du Sud. Aujourd'hui, cependant, il est en danger.
Les plants de cotonnier des champs situés en Inde, en Chine et aux États-Unis – les trois premiers producteurs mondiaux – poussent, fleurissent et produisent des fibres de coton de manière très similaire. C'est parce qu'ils sont génétiquement très similaires.
Cela peut être une bonne chose, car les sélectionneurs choisissent les plantes les plus performantes et les croisent pour produire un meilleur cotonnier à chaque génération. Si une variété produit la fibre de meilleure qualité qui se vend au meilleur prix, les producteurs planteront exclusivement ce type de cotonnier. Mais après de nombreuses années de ce cycle, les cotonniers cultivés commencent à se ressembler : ils donnent un rendement élevé et sont faciles à récolter pour les agriculteurs à l'aide de machines, mais ils sont très mal préparés pour lutter contre les maladies, la sécheresse ou les agents pathogènes transmis par les insectes.
La sélection seule ne suffira peut-être pas à combattre la faible diversité génétique du génome du cotonnier cultivé, car la sélection fonctionne avec ce qui existe, et ce qui existe se ressemble. Et la modification génétique n'est peut-être pas une option réaliste pour créer un cotonnier utile aux agriculteurs, car il est coûteux et très réglementé d'obtenir l'approbation de cultures modifiées. Mes recherches portent sur les solutions possibles qui se situent à l'intersection de ces outils.
Dans un monde parfait, les scientifiques pourraient modifier quelques composants clés du génome du cotonnier pour rendre les plantes plus résistantes aux stress tels que les parasites, les bactéries, les champignons et le manque d'eau. Et les plantes continueraient à produire des fibres de coton de haute qualité.
Cette stratégie n'est pas nouvelle. Quelque 88 % du coton cultivé aux États-Unis a été génétiquement modifié pour résister à des chenilles nuisibles, qui sont coûteuses et difficiles à gérer avec les insecticides traditionnels. Mais à mesure que de nouveaux problèmes apparaissent, de nouvelles solutions s'imposent, qui exigeront des modifications plus complexes du génome.
Les progrès récents en matière de culture et de régénération des tissus végétaux permettent de développer une plante entièrement nouvelle à partir de quelques cellules. Les scientifiques peuvent utiliser les bons gènes d'autres organismes pour remplacer les gènes défectueux du cotonnier, ce qui permet d'obtenir des plantes possédant tous les gènes de résistance et tous les gènes utiles à l'agriculture.
Le problème est que l'obtention de l'autorisation réglementaire pour la commercialisation d'une culture génétiquement modifiée est un long processus, souvent de huit à dix ans. Et il est généralement coûteux.
Mais la modification génétique n'est pas la seule option. Les chercheurs ont aujourd'hui accès à une quantité gigantesque de données sur tous les êtres vivants. Les scientifiques ont séquencé l'intégralité des génomes de nombreux organismes et ont annoté nombre de ces génomes pour montrer où se trouvent les gènes et les séquences régulatrices. Divers outils de comparaison de séquences permettent aux scientifiques d'aligner un gène ou un génome sur un autre et de déterminer rapidement où se trouvent toutes les différences.
Les plantes ont de très grands génomes avec beaucoup de séquences répétitives, ce qui les rend très difficiles à décortiquer. Cependant, une équipe de chercheurs a changé la donne pour la génétique du cotonnier en 2020 en publiant cinq génomes actualisés et annotés – deux provenant d'espèces cultivées et trois d'espèces sauvages.
L'assemblage des génomes sauvages permet de commencer à utiliser leurs précieux gènes pour tenter d'améliorer les variétés cultivées de cotonnier en les croisant et en recherchant ces gènes dans la descendance. Cette approche combine la sélection traditionnelle des plantes avec une connaissance approfondie du génome du cotonnier.
Nous savons maintenant de quels gènes nous avons besoin pour rendre le cotonnier cultivé plus résistant à des maladies et à la sécheresse. Et nous savons également où il faut éviter de modifier des gènes agricoles importants.
Ces génomes permettent également de mettre au point de nouveaux outils de dépistage pour caractériser les hybrides interspécifiques – la progéniture de deux cotonniers d'espèces différentes. Avant que ces informations ne fussent disponibles, il existait deux formes principales de caractérisation des hybrides. Elles étaient toutes deux basées sur les polymorphismes nucléotidiques simples, ou SNP, c'est-à-dire les différences entre les espèces au niveau d'une seule paire de bases, les éléments constitutifs de l'ADN. Même les plantes à petit génome possèdent des millions de paires de bases.
Les bases sont les parties de l'ADN qui stockent l'information et donnent à l'ADN la capacité de coder les caractères visibles d'un organisme. Il existe quatre types de bases dans l'ADN : l'adénine (A), la cytosine (C), la guanine (G) et la thymine (T). Institut National de Recherche sur le Génome Humain, CC BY-ND
Les SNP fonctionnent bien si l'on sait exactement où ils sont situés dans le génome, s'il n'y a pas de mutations qui modifient les SNP et s'ils sont nombreux. Si le cotonnier possède des SNP qui ont été identifiés et vérifiés dans des régions spécifiques du génome, ils sont peu nombreux. Ainsi, caractériser les hybrides de cotonnier en se concentrant exclusivement sur les SNP aboutirait à des informations incomplètes sur la composition génétique de ces hybrides.
Ces nouveaux génomes ouvrent la voie au développement d'un criblage des hybrides basé sur le séquençage, ce que j'ai intégré dans mon travail. Dans cette approche, les scientifiques utilisent toujours les SNP comme point de départ, mais ils peuvent également séquencer l'ADN environnant. Cela permet de combler les lacunes et parfois de découvrir de nouveaux SNP non documentés auparavant.
Le criblage basé sur les séquences aide les scientifiques à établir des cartes plus solides et mieux informées des génomes des hybrides. En déterminant quelles parties du génome proviennent de tel ou tel parent, les sélectionneurs peuvent avoir une meilleure idée des plantes à croiser entre elles pour créer ensuite un cotonnier meilleur et plus productif à chaque génération.
À mesure que la population mondiale augmentera pour atteindre les 9,8 milliards d'habitants projetés en 2050, la demande de produits agricoles augmentera également. Mais rendre les plants de cotonnier plus productifs n'est pas le seul objectif de l'amélioration génétique.
Le changement climatique fait augmenter les températures moyennes mondiales et certaines régions importantes pour la production de coton, comme le sud-ouest des États-Unis, deviennent plus sèches. Le cotonnier est déjà une culture habituée à la chaleur – nos parcelles de recherche peuvent prospérer à des températures atteignant 102 degrés Fahrenheit (39°C) – mais un plant de cotonnier a besoin d'environ 38 litres d'eau au cours d'un cycle de végétation de quatre mois pour atteindre son potentiel de rendement maximal.
Les chercheurs ont commencé à rechercher un cotonnier cultivé capable de tolérer la sécheresse au stade de la plantule, ainsi que dans les lignées hybrides et les lignées génétiquement modifiées. Les scientifiques sont optimistes quant à leur capacité à développer des plantes plus résistantes à la sécheresse. À l'instar de nombreux autres sélectionneurs de cotonnier dans le monde, mon objectif est de créer un cotonnier plus durable et génétiquement diversifié afin que cette culture essentielle puisse prospérer dans un monde en mutation.
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* Serina Taluja est candidate au doctorat en génétique et génomique à l'Université A&M du Texas.
Une version de cet article a été publiée à l'origine sur le site The Conversation. The Conversation peut être trouvé sur Twitter @ConversationUS.