Pesticides, pollinisateurs et sécurité alimentaire
Jonas Kathage*
Photo : Melissa Askew sur Unsplash
J'ai découvert un jeune blog qui a l'air appétissant. Voici son troisième article.
Les pesticides ne menacent pas la sécurité alimentaire, mais la Commission est toujours obsédée par l'effondrement des pollinisateurs.
En début de semaine [le 22 juin 2022], la Commission Européenne a proposé des réductions contraignantes de l'utilisation des pesticides à l'échelle de l'UE. La proposition contient deux objectifs :
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Une réduction de 50 % de l'utilisation et des risques des produits phytopharmaceutiques chimiques d'ici 2030 par rapport à la moyenne de 2015-2017, et
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une réduction de 50 % de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques les plus dangereux.
Selon la Commission, ces réductions « contribueront à assurer la résilience et la sécurité de l'approvisionnement alimentaire tant dans l'Union que dans le monde ». En d'autres termes, la sécurité alimentaire s'améliorera grâce à ces réductions. Examinons cette logique.
À première vue, il semble que la sécurité alimentaire consiste à produire suffisamment de nourriture pour que les consommateurs puissent se la payer. Les prix des aliments doivent donc être suffisamment bas et les revenus des consommateurs suffisamment élevés. Les pesticides permettent de protéger les cultures contre les parasites et les maladies, et donc de réduire les pertes de rendement. Alors pourquoi la réduction des pesticides devrait-elle conduire à une plus grande sécurité alimentaire ?
Le mécanisme de causalité proposé par la Commission passe par la pollinisation : les cultures ont besoin de pollinisation, et les pesticides tuent les pollinisateurs, donc l'utilisation des pesticides entraîne une baisse de la production (entraînant une hausse des prix, entraînant une insécurité alimentaire). La logique de la Commission est évidente dans les questions-réponses qui accompagnent la proposition :
« Dans les zones agricoles, le recours à certains pesticides chimiques contribue au déclin des pollinisateurs, qui sont nécessaires pour nourrir une population mondiale en augmentation. À l'échelle mondiale, 75 % des espèces cultivées pour l'alimentation dépendent de la pollinisation animale et 50 % des terres cultivées de l'UE dépendantes des pollinisateurs sont déjà touchées par un déficit de pollinisation. Près de 15 milliards d'euros de la production agricole annuelle de l'Union sont directement attribués aux insectes pollinisateurs. En Europe, 10 % des espèces d'abeilles et de papillons sont sur le point de disparaître et 33 % d'entre elles sont en déclin.
[…]
La science montre que l'effondrement des pollinisateurs entraînera une perte spectaculaire de production, qui devrait entraîner une hausse considérable des prix des denrées alimentaires. Cette proposition vise à éviter que cela ne se produise, afin que les agriculteurs puissent continuer à fournir aux citoyens des denrées alimentaires à un prix abordable. »
Dans le communiqué de presse :
« […] Ces propositions renforceront la résilience et la sécurité alimentaire de l'Europe à moyen terme, à mesure que les populations de pollinisateurs deviendront plus saines et plus abondantes […]
[…] plus de 75 % des types de cultures alimentaires mondiales dépendent de la pollinisation animale [...]. »
Certains des mêmes faits ont été évoqués par le vice-président de la Commission, M. Timmermans, dans son discours :
« Regardez les pollinisateurs – un sur trois est en déclin alors que 80 % de nos cultures en dépendent. [...]
Pensez aux abeilles, aux papillons et aux autres pollinisateurs dont nos cultures ont besoin pour pousser. [...] »
Et la commissaire Kyriakides d'ajouter :
« La vérité est très simple : sans ces changements, nous risquons l'effondrement des pollinisateurs et des écosystèmes, ce qui aura des répercussions encore plus importantes sur la sécurité alimentaire et les prix des denrées alimentaires. »
Dans une interview récente, M. Timmermans a déclaré1 :
« Nous perdons les pollinisateurs si rapidement. C'est une menace plus importante pour notre sécurité alimentaire à long terme que le conflit en Ukraine, car 75 % des principales cultures vivrières dépendent de la pollinisation animale. En Europe, 5 milliards d'euros par an dépendent directement de la pollinisation animale. »
Peut-être la proposition elle-même contient-elle des preuves à l'appui de l'impact néfaste des pesticides sur la sécurité alimentaire dans son mémorandum explicatif ? En fait, vous trouverez le contraire (p. 13, c'est nous qui graissons) :
« Dans le cadre de cette option privilégiée, les coûts de production par unité augmenteront en raison :
(i) des exigences de déclaration plus strictes et plus détaillées ;
(ii) de la réduction attendue des rendements en raison d'une moindre utilisation des pesticides ; et
(iii) de l'inclusion d'un niveau de coût supplémentaire pour les utilisateurs professionnels qui n'ont actuellement pas recours à des conseillers.
En vertu de cette proposition, les États membres pourront fournir une aide au titre de la PAC pour couvrir les coûts supportés par les agriculteurs pour se conformer à toutes les exigences légales imposées par cette proposition pendant une période de 5 ans. Cela devrait empêcher toute augmentation des prix des denrées alimentaires découlant des nouvelles obligations énoncées dans cette proposition. Bon nombre des dispositions contenues dans cette proposition existaient déjà dans le cadre de la [directive sur l'utilisation durable des pesticides] et ne devraient donc pas avoir d'incidence sur les prix des denrées alimentaires ou les rendements des cultures. Les changements introduits par cette proposition seront progressifs, ce qui minimisera encore davantage tout impact sur la sécurité alimentaire. »
Cela semble bien différent des déclarations de presse de la Commission et des propos de M. Timmermans. Dans le texte de la proposition [le mémoransum explicatif], la Commission reconnaît que les rendements pourraient baisser. Il est également révélateur que « [b]on nombre des dispositions contenues dans cette proposition » existaient déjà dans le cadre de la directive sur l'utilisation durable (2009). Le texte ne fait aucune mention d'un impact positif des réductions proposées sur la sécurité alimentaire. Au mieux, il semble que les réductions n'auront aucun impact sur la sécurité alimentaire. Au pire, elles réduiront la sécurité alimentaire.
Le texte actuel de la proposition contredit donc déjà les discours catastrophistes du commissaire sur l'imminence d'un malheur (malheur à moins que l'UE ne soit plus stricte sur les pesticides).
Examinons maintenant l'analyse d'impact (AI) et le document de travail des services de la Commission (DTS) qui l'accompagnent. Dans le document de travail des services de la Commission, nous sommes enfin en mesure de trouver les sources de certains des chiffres que nous lance la Commission (p. 15 du document de travail) :
« On estime que 75 % des types de cultures alimentaires mondiales dépendent de la pollinisation animale et que 50 % des terres de l'UE cultivées avec des cultures dépendant des pollinisateurs sont confrontées à un déficit de pollinisation. »
Le rapport de 2020 du CCR [Centre Commun de Recherche] sur la cartographie des services écosystémiques (Maes et al., 2020) cité à l'appui de cette phrase contient plusieurs informations intéressantes sur le « service écosystémique » de la pollinisation dans l'UE (chapitre 5.3.4) :
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Il est important de noter que le rapport définit la pollinisation comme le transfert du pollen des cultures par les abeilles sauvages. Il exclut donc l'abeille domestique, qui est de loin le pollinisateur le plus important pour l'agriculture.
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Le rapport part de l'hypothèse que dans les zones où les abeilles sauvages sont présentes (potentiel de pollinisation des cultures) et où on trouve également des cultures dépendant des pollinisateurs, ces abeilles sauvages contribuent effectivement à l'augmentation de la production agricole (la quantité n'est pas précisée). Les zones où ces cultures ne conviennent pas aux abeilles sauvages ont été considérées comme une « demande non satisfaite » – le concept auquel le chiffre de 50 % mentionné dans le communiqué de presse de la Commission fait référence.
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Le rapport estime que la « demande non satisfaite » n'a pas augmenté au cours de la période considérée (2000-2012). En d'autres termes, la pollinisation par les abeilles sauvages n'est pas devenue plus rare au cours de cette décennie.
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L'ensemble de l'évaluation de la pollinisation a souffert d'énormes lacunes en matière de données et de preuves, ce que le rapport souligne à plusieurs reprises.
Aha ! Ce chiffre de 50 % ne nous dit donc pas grand-chose sur l'état de la pollinisation dans l'UE car 1) il ne prend en compte que les abeilles sauvages et 2) il ne tient pas compte de l'importance des rendements des cultures dans ces zones qui dépendent des pollinisateurs (voir aussi ci-dessous). Une fois encore, les travaux de la Commission (du CCR) ne confirment pas les propos catastrophistes de Timmermans sur les pesticides et l'effondrement des pollinisateurs.
L'analyse d'impact indique que la réduction des pesticides est susceptible de réduire la production. Les auteurs ne sont pas optimistes quant aux technologies alternatives (efficacité des cultures, biopesticides et nouvelles technologies de sélection) qui pourraient atténuer les impacts négatifs des réductions de pesticides (p. 178) :
« Dans l'ensemble, on considère qu'il est peu probable que le déploiement et l'adoption de ces technologies agricoles soient menés au rythme nécessaire pour éviter la réduction des rendements résultant d'une utilisation réduite des pesticides, même dans le scénario de référence, à moins qu'un soutien réglementaire fort ne soit introduit, y compris des subventions économiques pour réduire les obstacles aux dépenses d'investissement. »
En ce qui concerne les prix à la consommation, l'analyse d'impact prévoit une augmentation (p. 202), mais avec des incertitudes. Cela, Timmermans ne nous l'a pas dit !
Quoi qu'il en soit, je voulais souligner certains des graves problèmes empiriques que posent les déclarations de presse de la Commission. Disséquons le texte des questions-réponses cité plus haut :
« Dans les zones agricoles, le recours à certains pesticides chimiques contribue au déclin des pollinisateurs, qui sont nécessaires pour nourrir une population mondiale en augmentation. »
Cela semble dramatique. Mais quelle est l'ampleur du déclin des pollinisateurs que les pesticides provoquent ? Qui sont ces pollinisateurs nécessaires à l'alimentation de la population mondiale ? Le pollinisateur le plus important pour l'agriculture, l'abeille domestique, n'est certainement pas en déclin en Europe.
« 75 % des espèces cultivées pour l'alimentation dépendent de la pollinisation animale ».
D'accord, mais 60 % de la production agricole mondiale provient de cultures qui ne dépendent pas de la pollinisation animale. Et sur les 35 % de la production qui proviennent de cultures qui « dépendent » des pollinisateurs, bien moins de 100 % du rendement est dû à la pollinisation animale.2
« ...et 50 % des terres cultivées de l'UE dépendantes des pollinisateurs sont déjà touchées par un déficit de pollinisation. »
Quelle est l'ampleur de ce déficit ? De quel pourcentage de pertes de rendement parlons-nous ? En outre, le rapport sous-jacent du CCR suggère que ce déficit a été plutôt stable, alors que le « déjà » dans le texte de la Commission laisse entendre que la situation de la pollinisation a empiré.
« Près de 15 milliards d'euros de la production agricole annuelle de l'Union sont directement attribués aux insectes pollinisateurs. »
Et où sont les preuves d'une perte totale de la pollinisation animale en raison de l'utilisation (continue) de pesticides ? Je n'ai pas encore vu d'étude crédible dans le monde réel établissant une chaîne de causalité entre l'utilisation ordinaire des pesticides, le déclin massif des pollinisateurs et les pertes importantes de récoltes.
« En Europe, 10 % des espèces d'abeilles et de papillons sont sur le point de disparaître et 33 % d'entre elles sont en déclin. [...] »
Ces espèces d'abeilles et de papillons en déclin ont-elles déjà contribué à une part significative de la pollinisation des cultures ? Une étude de 2015 a estimé que 80 % de la pollinisation des cultures est effectuée par 2 % des espèces d'abeilles. Et les espèces qui contribuent le plus à la pollinisation sont communes au niveau régional, et non menacées.
« La science montre que l'effondrement des pollinisateurs entraînera une perte spectaculaire de production, qui devrait entraîner une hausse considérable des prix des denrées alimentaires. »
Eh bien, la science ne montre pas non plus que nous sommes proches de l'effondrement complet des pollinisateurs, ni que les prix des aliments augmenteraient considérablement en cas d'absence totale (et totalement hypothétique) de pollinisateurs.
Les communications de presse de la Commission donnent l'impression que les réductions de pesticides proposées vont certainement accroître la sécurité alimentaire. Cependant, ce point de vue n'est pas soutenu par la propre étude d'impact de la Commission qui, en plus d'indiquer une incertitude beaucoup plus grande, pointe une réduction de la production agricole (en accord avec d'autres analyses récentes des stratégies de la ferme à la table et Biodiversité) – et les réductions de la production agricole n'augmenteraient certainement pas la sécurité alimentaire, mais la réduiraient plutôt.
Un examen plus approfondi du mécanisme de causalité postulé suggère que les communications de presse et le vice-président de la Commission exagèrent les risques que les pesticides posent aux pollinisateurs et les avantages que les pollinisateurs (sauvages) apportent à la production agricole (et donc à la sécurité alimentaire). Ils y parviennent en citant des chiffres sans les réserves nécessaires, en omettant le contexte et en rejetant toute contribution positive des pesticides à la production alimentaire, ce qui donne lieu à un récit qui devient une version très déformée de ce que les preuves disent réellement.
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1 Sans parler de l'incohérence entre l'interview, le discours et le communiqué de presse en ce qui concerne ces chiffres et ce à quoi ils font référence.
2 Par exemple, pour le soja, le colza et le tournesol, la dépendance à la pollinisation n'est que de 25 %. Pour les légumineuses, les tomates et les agrumes, elle n'est que de 5 %. Elle est la plus élevée pour les pommes, les poires et les pêches (65 %) et certains autres fruits (40 %). Les principales céréales cultivées dans l'UE ne dépendent pas du tout des pollinisateurs. Il est donc déloyal de dire « dépendant » sans autre précision. Ces chiffres proviennent d'un autre rapport du CCR (Vallecillo et al., 2018) qui sous-tend le chapitre sur la pollinisation du rapport de 2020 du CCR (Maes et. al, 2020). Le rapport de 2018 cite Klein et al. (2007) comme source de ces chiffres, mais je n'ai pas pu les y trouver. Tout ce que Klein et al. (2007) semblent fournir (matériel complémentaire 2) sont des fourchettes de réductions de production sans pollinisateurs. Leur catégorie « essentielle » de réduction >90 % sans pollinisateurs ne comprend que la pastèque, le cantaloup/melon, la citrouille/la courge/le zuchini et une poignée de fruits et de noix plutôt exotiques. Pour les melons et les citrouilles/zuchinis, c'est l'abeille domestique qui est le principal pollinisateur (comme pour de nombreuses autres cultures dépendant de la pollinisation).
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* Source : Pesticides, pollinators and food security (substack.com)