Un « blogueur négationniste de la science » vous salue bien, M. Bonmatin !
La photo, en tant que telle, n'est pas vraiment illustrative de la manière dont on utilise les produits phytosanitaires en France. La légende est quant à elle un grossier mensonge (voir ci-dessous – source).
M. Jean-Marc Bonmatin entretient un sérieux contentieux avec des « blogueurs ». Les propos seraient sans nul doute diffamatoires si les cibles étaient identifiées. Il est vrai que les « blogueurs » ont dévoilé quelques « dérives » – évitons les mots trop forts susceptibles de mener au prétoire – de l'activité scientifique.
Le 21 juin 2022, France Culture a diffusé un épisode du Temps du Débat consacré à : « Pesticides : un consensus scientifique est-il possible ? »
En résumé » :
« Demain [22 juin 2022], la Commission européenne présente sa proposition de révision des lois sur les pesticides et la biodiversité. Le consensus scientifique à propos de la dangerosité de ces produits chimiques est-il suffisamment établi ?
Avec :
Giovanni Prete (Maître de conférences en sociologie à l'Université Sorbonne Paris Nord, membre de l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS), expert auprès de l’Anses), Jean-Marc Bonmatin (chargé de recherche au Centre de biophysique moléculaire du CNRS à Orléans, spécialiste de l’action des neurotoxiques chez les insectes et plus particulièrement chez les abeilles), Laurence Huc (Toxicologue en santé humaine, directrice de recherche l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE)). »
Radio France propose aussi un résumé des déclarations que l'on peut trouver orienté.
Bref, « Le consensus scientifique existe la plupart du temps » selon M. Jean-Marc Bonmatin, et ce, sur des sujets comme les néonicotinoïdes, les (pesticides) perturbateurs endocriniens, les fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) qui ont été évoqués dans cette émission.
Ou bien : « Par rapport aux données, on est au début de la construction des connaissances pour les pesticides récents. Mais il y a un consensus depuis les années 1990 sur les effets cliniques et pathologiques de certains pesticides », selon Mme Laurence Huc.
Pour le fil rouge, citons ce qui a été retenu de M. Giovanni Prete :
« Quand on observe des arènes d’expertise qui sont soi-disant des endroits très scientifiques, la question des enjeux politiques revient toujours. (...) Il n’y a pas de neutralité scientifique absolue. (...) Les réponses politiques qui sont apportées aux enjeux sanitaires et environnementaux ne sont pas suffisantes. (...) Sur un certain nombre de problèmes sanitaires liés aux pesticides, il y a un consensus scientifique fort et une décision politique à prendre. On se cache derrière les agences sanitaires pour ne pas les prendre. »
Pour être clair : les décisions ne sont pas bonnes, ou trop tardives, au détriment de la santé publique et de l'environnement.
Pourtant, il avait tenté dès sa première intervention de faire la distinction entre danger et risque, ce qui était susceptible de mettre le consensus allégué dans une perspective qui aurait sapé les critiques du processus décisionnel...
La vraie évolution de l'utilisation des produits phytosanitaires. L'anomalie de 2018-2019 est due à l'entrée en vigueur au 1er janvier 2019 d'une augmentation de la redevance pour pollution diffuse et à des achats anticipés. (Source)
À partir de la minute 05:20, M. Jean-Marc Bonmatin déclare :
« […] Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut entendre. Et donc on n'a cessé sur les néonicotinoïdes de réclamer des études supplémentaires pour prouver ceci, pour prouver cela. Aujourd’hui, il y a vraiment un consensus scientifique, puisqu'il y a plus de 2.000 études sur les impacts sur l'environnement, la biodiversité et même maintenant sur la santé humaine qui vont toutes dans le même sens. Alors, à part quelques blogueurs qui sont plutôt des négationnistes de la science qu'autre chose, plus personne maintenant ne remet en question les effets et les risques que présentent les néonicotinoïdes pour [?] l'environnement, la biodiversité et la santé [...] ».
Oh, la belle insulte ! D'aucuns, du cœur de cible, le prendront pour un compliment !
Comme nous l'avons relaté dans « " 'Sciences et Médias' : Comment lutter contre la désinformation scientifique ?" Par la désinformation ! » – avec en sous-titre : « Une conférence de haut niveau instrumentalisée pour [censuré] des auteurs et blogueurs "mal-pensants" » –, nous avons déjà eu le déshonorant honneur d'être expressément mis en cause.
En février 2018, nous avions répondu par une image :
Aujourd'hui, nous pouvons répondre simplement sur le fond : non, nous « ne remet[tons pas] en question les effets et les risques que présentent les néonicotinoïdes », mais la « junk science », comme par exemple dans « Néonicotinoïdes : mise à jour d'un article "scientifique" militant... par un autre article "scientifique" militant »,
L'article précité fait suite, notamment, à un autre qui – sur la base d'une recherche de M. David Zaruk, alias Risk-monger – révélait une véritable machination pour faire interdire les néonicotinoïdes.
C'était en décembre 2014 sur le blog Imposteurs de M. Anton Suwalki, « "La condamnation d'abord ! La motivation ensuite !"... Malice au Pays des Abeilles, par Wackes Seppi ».
La preuve, c'est un résumé d'un atelier de travail international sur les néonicotinoïdes qui s'est tenu à l'Université de Paris-Sud, Orsay, du 28 au 30 juin 2010, lequel résumé et comporte un additif résumant des entretiens qui se sont déroulés le 14 juillet 2010 [le date est fausse dans le rapport] avec deux présidents de commission de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
Ce résumé n'est plus accessible que par Archive.org. : le blog tenu par M. David Zaruk sur Euractiv a été supprimé sur « amicale » pression d'un journaliste français.
Voici, en original et traduction, le texte de l'additif :
« Le 14 juin [en fait juillet] 2010, le Pr Goeldlin et le Dr Bijleveld ont rencontré en Suisse le Dr Simon Stuart, Président de la Commission de l'UICN de la sauvegarde des espèces et M. Piet Wit, président de la Commission de l'UICN de la gestion des écosystèmes.
Il a été convenu que, sur la base des résultats de la réunion de Paris, les quatre études (research papers) clés seront publiées dans des revues à comité de lecture. Sur la base de ces documents, une étude sera soumise à Science (premier choix) ou Nature (deuxième choix) ; elle présentera de nouvelles analyses et conclusions dans toutes les disciplines scientifiques pour démontrer de façon aussi convaincante que possible l'impact des néonicotionoides sur les insectes, les oiseaux, les autres espèces, les fonctions des écosystèmes, et les moyens de subsistance de l'Homme. Ce papier à fort impact aura un premier auteur soigneusement choisi, un noyau d'auteurs composé de sept personnes ou moins (y compris les auteurs des quatre premiers documents), et un ensemble d'auteurs plus large pour obtenir une couverture globale et interdisciplinaire. Une quantité importante de preuves à l'appui figureront en ligne dans la partie "Supporting Online Material". Un papier parallèle, "frère" (ce serait un document plus court de forum des politiques) pourrait être soumis simultanément à Science pour attirer l'attention sur les implications politiques de l'autre papier et appeler à un moratoire sur l'utilisation et la vente de pesticides néonicotinoïdes. Nous essaieront de rassembler quelques grands noms du monde scientifique comme auteurs de ce document. Si nous réussissons à faire publier ces deux documents, il y aura un impact énorme, et une campagne menée par le WWF, etc. pourra être lancée immédiatement. Il sera beaucoup plus difficile pour les politiciens d'ignorer un document de recherche et un document de forum des politiques publiés dans Science. La chose la plus urgente est d'obtenir le changement de politique nécessaire et de faire interdire ces pesticides, pas de lancer une campagne. Une base scientifique plus solide devrait se traduire par une campagne plus courte. En tout cas, cela va prendre du temps, car l'industrie chimique va jeter des millions dans un exercice de lobbying.
Afin de préparer le document qui sera soumis à Science, il faut le planifier simultanément avec les quatre premiers documents plus détaillés (pour être sûr que les quatre premiers documents ne sapent pas involontairement le document à fort impact proposé). Une petite réunion est donc nécessaire pour faire la planification nécessaire, y compris avec les auteurs des quatre premiers documents, David Gibbons/Mark Avery, Maarten Bijleveld, Pierre Goeldlin, les présidents des commissions SSC et CEM de l'UICN (ou leurs représentants) et une ou deux personnes expérimentées dans les publications à fort impact (comme Ana Rodriguez). »
Appelez ça complot si vous voulez...
Personne ne peut répondre en bloc à une telle question. Telle quelle, la question n'a du reste guère d'intérêt.
Cette grosse demi-heure d'échanges dans l'entre-soi du Temps du Débat sur France Culture concluait implicitement que les décisions politiques d'autorisation – ou plutôt d'interdiction – des produits phytopharmaceutiques devaient être régies par un « consensus scientifique ».
M. Giovanni Prete avait dit à fort juste titre : « Il n’y a pas de neutralité scientifique absolue. »
Le cas des néonicotinoïdes et du Groupe de Travail sur les Pesticides Systémiques (TFSP) – dont il a été dit et rappelé que M. Jean-Marc Bonmatin est le vice-président – illustre une dérive militante de grande ampleur (quelle que soit la qualité de la production scientifique).
La dérive militante se retrouve bien sûr dans le monde « séculier », notamment médiatique : les néonicotinoïdes sont invariablement qualifiés de « tueurs d'abeilles » – ce qui est exact sous l'angle du danger. Mais les risques peuvent être maîtrisés. C'est ainsi que, en novembre 2014, les apiculteurs de l'Alberta, au Canada, se sont opposés à l'interdiction des néonicotinoïdes utilisés notamment en enrobage des semences de canola (colza), une plante mellifère sur laquelle ils font d'abondantes récoltes.
Dans le cas des fongicides SDHI, la dérive d'une équipe de recherche est fortement relayée dans les médias et autres milieux français où se déploient l'influence ainsi qu'un militantisme sur des risques que l'ANSES a qualifiés, à juste titre, de « potentiels ».
En définitive, il s'agit de savoir si les autorisations – ou plutôt les interdictions – doivent être prononcées sur la base d'un bouh-mètre actionné par des influenceurs – scientifiques ou médiatiques – ou selon un processus structuré qui fait appel à des travaux scientifiques de qualité, sans exclure a priori d'autres travaux dans la mesure où ils sont pertinents.
La réponse est claire...
Un « blogueur négationniste de la science » vous salue bien, M. Bonmatin !