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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat Français et d'hommage aux « Justes » de France

17 Juillet 2022 Publié dans #Divers

Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat Français et d'hommage aux « Justes » de France

 

Le témoignage de Guy Eckstein, né à la maternité d'Elne en 1941

 

 

À droite, M. Nicolas Garcia, maire d'Elne (Source)

 

 

Je copie – plagie – sans appréhension aucune une préface d'un ouvrage qui mérite d'être diffusé plus largement pour faire connaître un pan de notre histoire, « Les enfants d'Elisabeth » d'Hélène Legrais (Presses de la Cité). C'est un roman fondé sur des faits réels.

 

Guy Eckstein en a écrit une préface que je vous livre ci-dessous. J'ai appris un jour que ce Belge, amateur de blagues belges et juives (les subtiles) et formidable dispensateur de bonne humeur, était né à Elne et cela m'a longtemps intrigué... jusqu'au jour où quelqu'un m'a mis sur la piste d'un chapitre de biographie que l'on sent à peine romancée.

 

Guy Eckstein a longtemps été un collègue à l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Si nous ne le sommes plus, c'est parce que la date de péremption professionnelle a été dépassée pour l'un et l'autre...

 

 

Le livre que j'ai ici l'honneur de préfacer parle d'une femme qui a sa place parmi les plus grands modèles d'humanité. Elle s'appelle Elisabeth Eidenbenz et elle est restée pendant la plus grande partie de sa vie presque inconnue. Et pour cause, s'il est un mot qui qualifie son attitude, c'est bien la discrétion. Et pourtant...

 

Âme généreuse et citoyenne du monde, cette fille de pasteur suisse, institutrice de son état, n'a que vingt-quatre ans lorsqu'elle part pour l'Espagne s'occuper des enfants pris dans la tourmente de la guerre civile. Et elle a vingt-six ans lorsque, au printemps 1939, Franco étant vainqueur, un demi-million de républicains passent les Pyrénées. C'est alors qu'elle met sur pied, avec l'aide de fonds privés émanant d'organisations humanitaires suisses, à Elne, dans les Pyrénées-Orientales, une maternité de fortune sous l'égide du Secours suisse aux enfants victimes de la guerre. Cela afin d'accueillir les réfugiées espagnoles sur le point d'être mères, regroupées par les autorités françaises, dans les pires conditions d'inconfort et de promiscuité, dans les camps du littoral du Roussillon. Bien qu'elle n'ait au départ aucune connaissance spécifique en obstétrique et en pédiatrie, elle va, sans désemparer, bénévolement, et pour le plus grand bonheur de ses pensionnaires, remplir son rôle de directrice de la fin de 1939 jusqu'en avril 1944.

 

Au milieu des privations et de la barbarie, la maternité suisse d'Elne devient alors, grâce au dévouement et au courage lucide d'Elisabeth, un îlot de paix certes relative, mais à tout le moins un lieu de don et de générosité. Quelque six cents enfants y sont nés, d'abord des réfugiés espagnols, ensuite des Juifs et des Tziganes : tous des « indésirables », comme on les appelait alors, qu'Elisabeth Eidenbenz a ainsi, avec opiniâtreté, tenus à l'écart des camps de la mort. Quelques jours avant Pâques de l'année 1944, la Wehrmacht réquisitionnera le château-maternité, laissant trois jours à Elisabeth et à ses protégés (bébés, enfants et adultes) pour quitter les lieux.

 

Au lendemain de la guerre, Elisabeth Eidenbenz poursuivra son périple humanitaire en Autriche, où, à l'initiative des Eglises protestantes de Suisse, elle s'occupera des enfants réfugiés des pays d'Europe de l'Est.

 

 

Je suis un des bénéficiaires de l'action qu'elle a menée au service des autres, et surtout des plus faibles. Mon destin a miraculeusement croisé le sien quand mes parents, apatrides et réfugiés polonais en Belgique, ont fui l'avancée des troupes nazies en espérant gagner l'Espagne via Perpignan. Ma mère était enceinte et il lui fut fortement déconseillé d'aller accoucher à l'hôpital de Perpignan, par crainte qu'elle n'y soit pas acceptée ou qu'elle soit dénoncée en tant que Juive et déportée avec son bébé dans un camp d'extermination.

 

C'est alors qu'elle entendit parler de la maternité suisse d'Elne, où je suis né le 10 octobre 1941 et où j'ai été allaité par la cuisinière espagnole, Maria-Teresa. Cela explique sans doute pourquoi j'aime l'Espagne, sa langue, sa littérature, sa musique ! Ma mère et moi sommes restés six mois à la maternité d'Elne, tandis que mon père était réfugié à Thuir, à une quinzaine de kilomètres de distance. Afin de lui permettre d'échapper à la déportation, des paysans de l'endroit, Juju et Tétin Capdet, acceptèrent au péril de leur propre vie de lui donner refuge clandestinement dans leur maison. Sa cachette se trouvait au-dessus d'une étable, dans un grenier à foin.

 

Ma mère, installée dans une maison du même village avec moi, fut dénoncée. Sans autre recours, elle reprit contact avec Elisabeth Eidenbenz, laquelle, évidemment, nous accueillit et nous cacha une nouvelle fois pour quelques mois. Ma mère et moi sommes donc doublement redevables à Elisabeth Eidenbenz de nous avoir sauvé la vie.

 

 

Après la guerre, mes parents revinrent en Belgique. Ils entreprirent de retrouver la trace de leur bienfaitrice suisse, en vain. A partir de 1946, chaque année, ils sont revenus avec nous, leurs enfants, devenus au fil du temps quatre, en Roussillon, pour rendre visite à la famille Capdet à Thuir et se recueillir devant le château à nouveau à l'abandon. En 1991, j'ai eu cinquante ans et, à mon tour, je me suis rendu à Elne avec ma famille. J'y ai obtenu de la mairie copie de mon acte de naissance, lequel était cosigné par « Elisabeth Eidenbenz, domiciliée à Elne, âgée de vingt-huit ans, directrice de la maternité suisse d'Elne ». J'ignorais alors si elle était encore de ce monde, mais je commençai une quête obstinée. Après d'intenses recherches, quel ne fut pas mon bonheur, en septembre 1991, d'enfin la retrouver vivante, en Autriche. Il ne m'est pas possible de relater dans le détail cet événement, car les sentiments qu'il m'a inspirés sont indicibles. Au-delà de la chaleur qui s'est échangée, je retiens néanmoins le souvenir prégnant d'une femme habitée par une immense compassion et le respect d'autrui. Après quoi elle a écrit à ma mère :

 

« Vous ne pouvez guère vous faire une idée de l'étonnement qui fut le mien lorsque, il y a une quinzaine de jours, un monsieur m'a appelée de Genève [...]. Je suis contente que vous gardiez un bon souvenir de moi. Cela montre que, en ces temps difficiles et peu sûrs, vous avez pu vous sentir quelque peu à l'abri à la maternité [...]. Je souhaite vivement que vous puissiez oublier ces années difficiles et vous réjouir maintenant de vos enfants et petits-enfants qui sont votre récompense pour tous les soucis et les tourments que vous avez eus. »

 

Aucune distinction, aucun remerciement public ne lui avait alors été attribué, mais elle ne s'en souciait guère, tant sa nature est toute empreinte de discrétion et de modestie. L'hommage public tant mérité survint finalement les 22 et 23 mars 2002, à Elne, sur le lieu même de son action et en présence d'une quarantaine d'enfants qu'elle avait fait naître, dont moi-même. A cette occasion, Elisabeth fut honorée de la médaille des Justes parmi les Nations décernée par l'Etat d'Israël et, dans un message lu par le représentant suisse, l'ancienne présidente de la Confédération helvétique, madame Ruth Dreifuss, célébrait « à travers l'exemple lumineux de madame Elisabeth Eidenbenz et de ses nourrissons [...] le souvenir de femmes et d'hommes dont l'engagement ne marquait pas d'autre motivation que celle de la lutte pour la justice et les droits de l'homme ». Le 12 février 2006, la reine Sofia d'Espagne lui a remis la médaille d'or de l'Orden Civil de la Solidaridad pour son travail humanitaire en faveur, particulièrement, des enfants de la guerre civile d'Espagne.

 

Dans cette maternité, il a régné un sentiment magnifique de solidarité entre les femmes d'origines et de religions différentes. Elisabeth Eidenbenz et ses amis ont agi par idéalisme et non par dessein de carrière, de gloire ou d'héroïsme. Ils ont su désobéir aux ordres engendrés par la barbarie en suivant un appel intérieur qui leur commandait de dire non, de refuser. Il faut parfois désobéir pour rester un être humain. Sauver l'humanité en combattant l'horreur administrative par la générosité du coeur : voilà ce qu'incarne Elisabeth Eidenbenz. Elle a accompli son travail au péril de sa vie et fait preuve de « résistance humanitaire ». Mais, si bien des familles doivent la vie et la naissance de leur enfant à Elisabeth Eidenbenz, les débiteurs, les responsables sont aussi les gouvernements et les pays qui n'ont pas su répondre à cette générosité de l'âme. À la lâcheté collective, au silence, et surtout à l'indifférence, elle et ses amis ont opposé un courage individuel remarquable. En dépit de toutes les absurdités et des drames qui rythment notre existence quotidienne, c'est une très grande et sobre leçon de fraternité et d'humanisme, permettant de continuer à espérer dans le genre humain, qu'ils nous ont léguée.

 

Elisabeth Eidenbenz, qui vit à Rekawinkel près de Vienne, a aujourd'hui quatre-vingt-treize ans et ses pensées sont toujours tournées vers les enfants dans le malheur. Ainsi, lorsqu'elle m'a appelé au téléphone en octobre dernier pour me souhaiter mon anniversaire, elle m'a dit que cette année, contrairement aux autres, elle ne m'enverrait pas de fleurs, mais qu'elle avait fait à la place un don à une institution humanitaire catholique pour « les enfants des rues » de Moldavie !

 

 

Merci à Hélène Legrais d'avoir écrit ce témoignage bouleversant, plus édifiant et authentique que la réalité historique même. Elle trouve toujours les mots justes et a mis au service de cette oeuvre des qualités d'écriture et de conteuse remarquables. Merci à elle d'avoir composé cet hymne d'amour aux enfants, à la générosité du coeur, à la beauté des paysages du Roussillon et, en même temps, d'avoir donné en héritage aux personnes plongées dans la déréliction une source lumineuse d'espoir. A titre personnel, je lui suis reconnaissant de m'aider par son livre à transmettre à ma famille, à ma femme, Tania, à mes enfants, Sylvie, Muriel et Emmanuelle, à leurs compagnons et à mon petit-fils, Damien, le sentiment de reconnaissance que je dois à madame Elisabeth Eidenbenz.

 

 

Chère Elisabeth Eidenbenz, ma mère et moi nous vous devons tout, vous m'avez donné la vie. Au nom de la mémoire de mes parents, Hénia et Maurice, et de toutes les femmes qui ont accouché dans cette maternité, au nom de tous les enfants qui y sont nés, merci. Merci du fond du coeur.

 

Guy Eckstein

Genève, janvier 2007

 

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U
Merci Seppi de ce témoignage qui permet de ne pas désespérer de l'humanité.<br /> Que cet exemple nous inspire.
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