En avant pour le Nutri-Score « tridimensionnel » !
(Source)
Une équipe qui fait joujou sur la cohorte NutriNet-Santé – Mathilde Touvier, Bernard Srour, Serge Hercberg, Pilar Galan, Emmanuelle Kesse-Guyot et Chantal Julia – a produit une lettre, « Health impact of foods: Time to switch to a 3D-vision » (impact des aliments sur la santé : il est temps de passer à une vision en 3D) dans Frontiers in Nutrition.
Le script est plutôt simple.
Premièrement, le Nutri-Score – essentiellement leur invention – est génial et rend de distingués services :
« […] Nutri-Score, un étiquetage nutritionnel progressif de 5 lettres/5 couleurs sur le devant des emballages, déjà adopté dans 7 pays européens (France, Belgique, Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Luxembourg et Suisse), vise à guider les consommateurs vers des choix alimentaires plus sains sur le plan nutritionnel et à inciter les fabricants de produits alimentaires à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs recettes. Plusieurs études menées dans de grandes cohortes prospectives en France, en Espagne et dans la cohorte européenne EPIC (réalisée dans 10 pays européens) ont trouvé des associations entre le système de profilage nutritionnel de la Food Standards Agency, qui sert d'algorithme au Nutri-Score, et le risque de maladies chroniques (cancers, maladies cardiovasculaires, prise de poids, syndrome métabolique, etc.) et de mortalité. En outre, le Nutri-Score a montré de bonnes performances dans les études portant sur sa perception et sa compréhension, ainsi que sur son impact réel sur les choix alimentaires, y compris dans les populations à faibles revenus. Le Nutri-Score a également un rôle crucial à jouer pour encourager les entreprises alimentaires à améliorer la composition nutritionnelle de leurs produits. »
Deuxièmement,
« [...]>50 études prospectives récentes ont montré des liens entre la consommation d'aliments dits "ultra-transformés" selon la classification NOVA (c'est-à-dire ayant subi une transformation importante et/ou contenant des additifs alimentaires ou d'autres substances industrielles telles que des huiles hydrogénées, de la maltodextrine, du sirop de glucose, etc.) et un risque accru de nombreuses maladies non transmissibles [...] »
Troisièmement,
« […] plusieurs études (notamment dans la cohorte française NutriNet-Santé) ont observé un moindre risque de maladies chroniques chez les plus gros consommateurs d'aliments biologiques ou moins exposés aux résidus de pesticides [...]
On se trouve donc en présence de trois aspects de la qualité nutritionnelle qui n'évoluent pas de manière colinéaire et qui peuvent se prêter à des manipulations par les industriels.
Donc :
« Pour les consommateurs, ces concepts entremêlés peuvent sembler déroutants car ils doivent faire un compromis sur la ou les dimensions à privilégier. Bien que certaines questions restent sans réponse, compte tenu de l'état actuel des connaissances, il est important de veiller à ce que les consommateurs aient accès à une information adéquate pour évaluer la qualité d'un produit alimentaire, dans chacune de ces 3 dimensions, afin de faire des choix globalement plus sains. Les directives diététiques pourraient donc recommander : a) de choisir (à produits comparables) des aliments de meilleure qualité nutritionnelle – c'est-à-dire ayant un meilleur Nutri-Score, b) de préférer les aliments non ou peu transformés aux aliments ultra-transformés, et c) de privilégier autant que possible les aliments biologiques (en particulier pour les aliments/ingrédients végétaux) lorsqu'une alternative biologique est accessible.
Et donc... complétons le logo Nutri-score avec deux autres mentions, si elles sont applicables.
Mais, direz-vous, il y a des aspects de la diététique qui sont encore mal connus... Les auteurs y ont pourvu :
« Enfin, il est important de garder à l'esprit que la science est un processus dynamique. Au cours de la prochaine décennie, les travaux de recherche en cours permettront de mieux caractériser l'impact sur la santé des composés nutritionnels, des pesticides, des additifs et des contaminants issus des processus industriels, y compris les connaissances sur les effets des mélanges et des cocktails. Cela permettra d'optimiser les réglementations, l'étiquetage et les recommandations sur la base de ce tableau plus complet, dans une perspective constante de préservation de la santé des patients et des citoyens. Bien entendu, au-delà de ces 3 dimensions sanitaires, d'autres aspects doivent être considérés tels que les impacts planétaires ou socio-économiques liés aux modes de production. »
Bien que les connaissances scientifiques actuelles ne permettent pas de hiérarchiser les risques ou les bénéfices sanitaires associés à chaque dimension, nous savons aujourd'hui qu'elles sont toutes importantes à prendre en compte. Tout en développant des programmes de recherche pour obtenir des réponses scientifiques supplémentaires, nous pouvons (et devons) déjà agir pour fournir aux consommateurs les informations et les outils adéquats sur ces 3 dimensions. Comme l'a judicieusement dit Sir Austin Bradford Hill : "Tout travail scientifique est incomplet, qu'il s'agisse d'observation ou d'expérimentation. Tout travail scientifique est susceptible d'être bouleversé ou modifié par l'avancée des connaissances. Cela ne nous confère pas la liberté d'ignorer les connaissances que nous avons déjà, ou de reporter l'action qu'elles semblent exiger à un moment donné." »
C'est une manière astucieuse de déminer les critiques que suscite cette lettre : même si nous n'en savons pas suffisamment... faisons-le.
C'est aussi une manière astucieuse d'imposer deux nouvelles allégations nutritionnelles sur la face avant de l'emballage. Ou « nutritionnelles », tant la catégorie « ultratransformé » est contestable et contestée et tant les études sont, tout compte fait, peu concluantes.
La lettre ne pouvait évidemment pas être assortie d'une bibliographie détaillée ; mais que citent, par exemple, les auteurs à l'appui d'un bénéfice nutritionnel allégué du « bio » ? L'étude, largement démontée, de la même équipe sur le cancer du sein post-ménopause (article ; notre critique)... D'ailleurs, quatre références sur six sont de l'équipe Nutri-Net. S'agissant des aliments ultra-transformés, la référence est un commentaire sollicité – qui nous semble relever de l'opinion.
Enfin, et cela ressort déjà du point précédent, le logo « bio » deviendrait une allégation nutritionnelle positive.
Après avoir été incluse subrepticement dans le Plan National Nutrition Santé (PNNS) – apparemment pour un motif étranger à la nutrition et la santé –, l'allégation figurerait sur les produits sur les rayons des supermarchés et dans les chariots des consommateurs...
(Source)
Bravo, champions !
Nous avons cependant quelques gros doutes sur la légalité d'une telle promotion du logo « bio » au regard du Règlement (CE) N° 1924/2006 du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires.
Bien évidemment, les auteurs n'ont pas, écrivent-ils, de conflits d'intérêts :
« Les auteurs déclarent que la recherche a été menée en l'absence de toute relation commerciale ou financière qui pourrait être interprétée comme un conflit d'intérêts potentiel. »
Certes ! Mais il y a des conflits d'intérêts moraux « c’est-à-dire les intérêts intellectuels, philosophiques, politiques, syndicaux, idéologiques ou religieux ».
Ceci n'est qu'un exemple.
(Source)