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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Cinq façons de faire face aux tactiques de chantage alimentaire de Poutine

21 Juillet 2022 Publié dans #Politique, #Ukraine

Cinq façons de faire face aux tactiques de chantage alimentaire de Poutine

 

Mark Lynas*

 

 

Image : Des céréales sont chargées sur un navire à quai dans la ville portuaire d'Odessa, en Ukraine, en août 2021. Photo : Shutterstock/Elena Larina

 

 

Alors que la guerre en Ukraine fait rage, le président russe Vladimir Poutine s'est tourné vers une nouvelle tactique : tenter de faire chanter le monde avec l'alimentation.

 

En bloquant les ports ukrainiens de la mer Noire et en empêchant ainsi l'exportation de la prodigieuse récolte de céréales du pays vers les marchés mondiaux, Poutine utilise la menace de famine dans les pays en développement dépendants des importations comme tactique pour demander l'assouplissement des sanctions.

 

La seule façon de faire face à ce chantage sans affamer le Sud -- en l'absence de mesures efficaces pour lever le blocus – est d'épargner des ressources alimentaires provenant d'ailleurs. Dans un nouveau rapport pour le groupe environnemental pro-science RePlanet, j'énumère les cinq principales façons de libérer de la nourriture et de faire face à Poutine.

 

 

1. Lever le blocus

 

La première chose à faire, et la plus importante, est d'exiger de Poutine qu'il lève le blocus, afin que les céréales ukrainiennes puissent être exportées. Comme l'a déclaré le directeur du Programme Alimentaire Mondial, David Beasley : « En ce moment, les silos à grains de l'Ukraine sont pleins. Dans le même temps, 44 millions de personnes dans le monde se dirigent vers la famine. Nous devons ouvrir ces ports pour que la nourriture puisse entrer et sortir d'Ukraine. » Utiliser la famine comme tactique militaire est un crime de guerre, et le monde entier doit le condamner et se mobiliser pour insister pour que Poutine permette l'ouverture des ports.

 

 

2. Arrêter de brûler du pain dans les voitures

 

Selon des chiffres récents, l'Europe brûle chaque jour l'équivalent de 15 millions de miches de pain pour alimenter ses voitures, grâce à l'utilisation du blé comme matière première pour produire des biocarburants liquides. À l'origine, ces carburants étaient censés être « renouvelables » et à faible bilan carbone, mais il est désormais prouvé que leur impact sur le climat pourrait même être pire que celui des carburants fossiles. Chez RePlanet, nous avons calculé qu'environ un cinquième (20 %) des exportations totales de blé de l'Ukraine pourrait être remplacé par l'arrêt du détournement du blé européen vers l'éthanol pour les voitures et les camions. Cette nourriture, qui pourrait nourrir les pays du Sud, est pourtant brûlée par les riches Européens dans leurs SUV. Cela peut et doit cesser immédiatement, comme l'exigent désormais les dirigeants du Royaume-Uni et de l'Allemagne.

 

 

3. Manger moins de viande

 

Moins d'un tiers des céréales produites en Europe sont directement consommées par les humains. La majeure partie du reste est destinée à l'alimentation animale. Grâce aux protéines alternatives et à la fermentation de précision, le monde s'éloigne de cette utilisation inefficace des ressources. Le passage à un régime alimentaire à base de plantes peut améliorer la santé et épargner d'énormes quantités de terres et de nourriture. Si l'Européen moyen réduisait sa consommation de viande de moitié, nous calculons que 80 millions de tonnes de céréales seraient épargnées, soit bien plus que les 55 millions de tonnes de céréales exportées par l'Ukraine avant la guerre.

 

 

4. Lever les interdictions relatives à la génétique dans l'amélioration des plantes

 

Les interdictions non scientifiques imposées par l'Europe aux technologies transgéniques et d'édition de gènes dans les cultures ont entraîné un lourd tribut en termes de perte de productivité. Cela signifie que davantage de denrées alimentaires et d'aliments pour animaux utilisés en Europe doivent être importés d'ailleurs, ce qui fait augmenter les prix des produits de base et met la nourriture hors de portée des personnes les plus pauvres du monde. Une méta-analyse mondiale a montré que les gains de rendement moyens de la seule première génération de cultures génétiquement modifiées étaient de 22 %, les bénéfices étant les plus importants dans les pays en développement. Si un gain de rendement de seulement 20 % était appliqué à la production céréalière de l'Europe, cela permettrait d'augmenter les récoltes de 55 millions de tonnes, soit exactement l'équivalent des exportations de l'Ukraine avant la guerre.

 

 

5. Annuler le passage au bio

 

La nouvelle stratégie « de la ferme à la table » de l'UE prévoit que 25 % des terres agricoles européennes devraient être consacrées à l'agriculture biologique d'ici à 2030 (la proportion actuelle est de 7,5 %). Cette évolution peut en effet s'avérer bénéfique pour la faune et la flore de la ferme en raison de la réduction des engrais et des pesticides de synthèse. Mais sans engrais et sans mesures fiables pour réduire les infestations de parasites, les exploitations biologiques subissent d'importantes pertes de productivité, en moyenne d'environ 40 % par rapport aux exploitations conventionnelles. Comme les aliments doivent venir de quelque part, cela signifie que l'augmentation des surfaces en production biologique entraînera une hausse des importations, ce qui exercera une pression à la hausse sur les prix et entraînera le défrichement des terres et la perte de biodiversité ailleurs. Pour toutes les céréales combinées, nous avons calculé qu'un passage à 25 % de production biologique réduirait la production céréalière en Europe de 20 millions de tonnes.

 

 

Conclusion

 

La mise en œuvre de toutes ces mesures pourrait facilement représenter une quantité de céréales supérieure aux exportations de l'Ukraine et de la Russie réunies. Si les États-Unis et le Brésil adoptaient également ces approches, le monde disposerait d'un excédent alimentaire massif et pourrait épargner de grandes surfaces de terres pour le réensauvagement et la séquestration du carbone.

 

Cependant, si l'Europe continue à s'éloigner des preuves scientifiques dans ses choix politiques en matière d'alimentation et d'agriculture, le résultat sera pire pour le climat, pour la biodiversité et pour les pauvres du monde. Cela entravera également tout effort visant à faire face à l'agression russe en Ukraine sans risquer une famine à grande échelle dans les pays les plus pauvres du monde. L'Europe peut et doit faire mieux.

 

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* Source : 5 ways to face down Putin's food blackmail tactics - Alliance for Science (cornell.edu)

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