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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Le monde a un besoin urgent de blé ! Maintenant !

3 Mai 2022 Publié dans #Willi l'Agriculteur, #Ukraine, #Alimentation, #Agronomie, #Economie

Le monde a un besoin urgent de blé ! Maintenant !

Willi l'agriculteur*

 

 

 

 

M. Gunnar Breustedt travaille en tant qu'agroéconomiste habilité à diriger des recherches à l'Université de Kiel et gère une exploitation agricole près de Goslar.

 

Je [Willi] lui ai demandé de me donner son avis sur les conséquences de la guerre en Ukraine et de me faire part de ses propositions pour que davantage de céréales soient disponibles à court terme pour l'alimentation humaine. Il explique neuf de ces propositions.

 

Et comme toujours : le texte représente l'opinion de l'auteur.

 

 

Willi : En raison de la guerre en Ukraine, le professeur Qaim, économiste mondial de l'alimentation, craint dans le Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung « dans le pire des cas jusqu'à 100 millions de personnes affamées en plus ». Selon le ministre Özdemir, Poutine veut « attiser les conflits mondiaux [...] et son moyen pour y parvenir est de renforcer la faim ». D'où viennent de telles craintes ?

 

Gunnar : Avec la guerre, l'Ukraine ne peut presque plus exporter de céréales et d'oléagineux. En 2019/20, il y avait encore 21 millions de tonnes de blé, 34 millions de tonnes de céréales fourragères et 10 millions de tonnes d'oléagineux et de tourteaux. D'ici la prochaine récolte en juillet, il faudrait encore exporter 20 millions de tonnes qui manquent actuellement sur le marché mondial. En conséquence, les prix du blé et du colza ont atteint des niveaux records d'environ 400 € et 1000 € la tonne, respectivement. Les prix records précédents étaient nettement plus bas : environ 300 €/tonne pour le blé et 600 €/tonne pour le colza en 2008. Nous sommes dans une situation extrême !

 

Les céréales, et en particulier le blé, sont donc rares dans le monde ! Nous avons un déficit dramatique en blé. Et il est à craindre que la situation reste très, très tendue au moins jusqu'à la récolte 2023. Actuellement (26 avril), le blé qui doit être livré avant la récolte 2023 coûte 362 €/t. Toujours 20 % au-dessus de son plus haut niveau historique !

 

De plus, les stocks étant bas, les pertes potentielles de production ou de livraison ne peuvent guère être compensées.

 

 

Et les prix du blé dépassant largement les 300 €/t devraient entraîner jusqu'à 100 millions de personnes affamées supplémentaires ?

 

Reprenons une mise en perspective historique à partir de l'année où les prix du blé ont atteint des records : le blé de la récolte 2007 a été plus cher que 300 €/t à la bourse lors de quelques jours extrêmes. Cette année céréalière 2007/08 est entrée dans l'histoire sous le nom de « crise alimentaires mondiale 2007-2008 » (Wikipedia). La FAO estimait alors à 75 millions le nombre de personnes sous-alimentées supplémentaires en raison de ces prix élevés. C'est pourquoi, à mon avis, l'estimation du professeur Qaim est tout à fait plausible : dans le pire des cas, la guerre en Ukraine pourrait entraîner 100 millions de personnes affamées supplémentaires.

 

 

Mais qu'est-ce que cela signifie concrètement pour les pauvres dans les pays en développement ? Qui va souffrir de la faim ?

 

Je laisse ici de côté les aides alimentaires ciblées dans les régions en crise du monde. L'Allemagne devrait soutenir de son mieux de telles mesures, notamment dans le cadre du Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies, tant sur le plan financier que logistique. L'Allemagne a déjà promis de l'aide dans ce domaine. Mais de telles mesures sont limitées, elles visent les régions les plus touchées par la guerre civile, les flux de réfugiés, etc.

 

En dehors de ces programmes, ce sont les plus pauvres qui seront les plus touchés, en particulier dans les pays pauvres avec peu de protection sociale et un besoin relativement important d'importer des denrées alimentaires de base. Pour ces pays, les prix des denrées alimentaires augmentent fortement, les gouvernements ont peu d'argent pour réduire les coûts d'importation plus élevés par des subventions ou pour aider les plus pauvres avec des fonds ciblés ou des rations alimentaires via des bons, etc. Dans les pays qui exportent des céréales, il est peut-être possible de limiter les exportations. Le prix intérieur reste ainsi plus bas que si les exportations étaient plus importantes. Mais alors, ces quantités manquent en plus sur le marché mondial – donc dans les pays importateurs – et y aggravent les problèmes.

 

 

Les gens vont-ils mourir de faim ou y a-t-il d'autres problèmes ?

 

700 millions de personnes dans le monde vivent dans ce que l'on appelle l'extrême pauvreté. Cela signifie qu'elles doivent vivre avec moins de 2,25 dollars américains (selon le pouvoir d'achat actuel) par jour. Pour ne pas être considéré comme sous-alimenté, un adulte doit consommer plus de 2100 kcal par jour. Cela correspondrait tout simplement à 700 g de blé. Il s'agit là certainement d'une mauvaise alimentation, mais pour nous, c'est une simplification parlante. Un kg de blé coûte actuellement 0,40 €/kg au port de chargement pour l'exportation. Mais le blé n'est pas encore arrivé chez le pauvre dans un pays importateur, le prix à la consommation dans ce pays peut donc, avec les frais de transport et le commerce intermédiaire, représenter sans problème un quart ou plus du revenu disponible d'un pauvre extrême. Si l'on tient également compte de l'augmentation des prix de l'énergie dans de nombreux pays, 700 millions de personnes dans le monde disposent de moins d'un dollar par jour pour se loger, s'habiller et se soigner. Cela signifie donc que même si ces personnes peuvent s'acheter suffisamment de calories, d'autres choses vitales ne pourront plus être achetées en quantité suffisante. La malnutrition et les maladies risquent d'augmenter. Et parmi les plus pauvres, ce sont souvent les plus faibles qui souffriront le plus : les enfants, les personnes âgées, les personnes seules.

 

Toute réduction du prix du blé sur le marché mondial permet donc aux plus pauvres d'économiser des sommes importantes, notamment dans les pays qui ne peuvent apporter qu'une aide limitée à leurs plus démunis.

 

 

Que pouvons-nous faire, selon vous, pour remédier à cette pénurie de blé ?

 

Nous devrions certes nous concentrer sur le déficit en blé et donc sur la production et la consommation de blé. La plupart des gens dans le monde ne peuvent rien faire avec le seigle allemand pour leur pain. Là-bas, le prix du blé sera plus important pour la paix sociale que le prix du maïs. Mais nous devons tout de même nous pencher sur les autres céréales et oléagineux. Des économies dans ce domaine peuvent libérer des terres arables pour le blé.

 

 

N'y a-t-il pas déjà assez de propositions sur la table ?

 

Il y a de nombreuses estimations et documents en Allemagne. Toutefois, bon nombre de ces propositions ne sont pas réalisables à court terme ou ne sont pas efficaces, du moins selon mon estimation d'économiste et d'agriculteur. De plus, on ne tient pas assez compte du fait que certaines mesures ne doivent pas être pensées séparément mais ensemble. En outre, il manque à mon avis une définition des priorités.

 

 

Y a-t-il des propositions sur lesquelles les auteurs sont plus ou moins d'accord ?

 

En ce qui concerne les biocarburants issus de plantes cultivées, les auteurs sont à mon avis unanimes. Dans l'UE, 12 millions de tonnes de maïs et de blé sont – pour simplifier – transformées chaque année en bioéthanol et mélangées à l'essence conformément à la loi. Plus de 5 millions de tonnes d'huile de colza sont utilisées chaque année dans le biodiesel de l'UE. Ici, la politique pourrait prendre des décisions rapides et réduire la consommation de céréales et de colza en quelques semaines. L'acceptation sociale de cette mesure devrait être élevée. Il faudrait certes remplacer le carburant manquant dans l'UE. Mais il devrait être plus facile de se procurer plus de pétrole sur le marché mondial que de rendre plus de céréales et d'oléagineux disponibles au niveau mondial. Les compensations pour les usines d'éthanol devraient être limitées. Par conséquent,

 

Proposition 1 : moins de biocarburants immédiatement !

 

Proposition 2 : moins ou pas de biocarburants à partir des récoltes 2022 !

 

Si la réduction des biocarburants est claire suffisamment tôt avant les semis d'automne, des surfaces de maïs seraient probablement libérées pour semer le blé de 2023. Indépendamment de cela, beaucoup de céréales fourragères supplémentaires pourraient être mises à disposition pour le marché mondial. Il faut toutefois tenir compte du fait que les 12 millions de tonnes de blé et de maïs destinés à l'éthanol deviennent également environ 4,8 millions de tonnes de fourrage de haute qualité qui, pour simplifier, peuvent remplacer un peu moins de 4 millions de tonnes de tourteaux de soja. Nous ne gagnons donc pas 12 millions de tonnes de céréales supplémentaires si nous renonçons au bioéthanol correspondant. Nous ne gagnons que la valeur alimentaire des céréales correspondant à l'éthanol, qui dépasse les 4,8 millions de tonnes de fourrage également produites par la production d'éthanol.

 

 

En tant qu'agriculteur, on passe aussi rapidement du biocarburant au biogaz. La politique pourrait-elle faire quelque chose à ce niveau ?

 

En Allemagne justement, des surfaces considérables sont nécessaires pour le biogaz. C'est pourquoi

 

Proposition 3 : Moins de production d'électricité à partir de biogaz issu de surfaces agricoles en été 2022 et 2023 !

 

Cela permet d'économiser du maïs ensilage. Cela permettrait de récolter davantage de maïs grain à l'automne 2022 ou d'économiser de la surface pour l'ensilage de maïs en 2023, laquelle pourrait alors être cultivée avec du blé et d'autres céréales. Des indemnités pour les installations de biogaz seraient nécessaires et/ou une prolongation de la durée des tarifs de rachat garantis. L'acceptation sociale devrait alors être assurée. La réduction de la production d'électricité devrait à mon avis avoir lieu en été, lorsque les installations photovoltaïques ou éoliennes doivent souvent être arrêtées en raison d'une éventuelle surcharge du réseau. L'arrêt complet des installations de biogaz ne devrait pas être imposé en raison du processus biologique et de la combinaison possible avec du lisier dans les installations de biogaz. Les injections d'électricité réellement orientées vers les besoins résiduels en électricité seraient exclues des réductions. L'injection de biogaz dans le réseau de gaz naturel allemand ne devrait pas, à mon avis, être réduite afin de ne pas peser sur l'approvisionnement en gaz.

 

 

Par ailleurs, il est souvent proposé de manger moins de produits d'origine animale. Que faut-il en penser ?

 

Cette proposition n'est à mon avis pas du tout réalisable politiquement dans les prochains mois. De plus, elle est tellement explosive sur le plan social qu'une majorité politique semble réaliste dans très peu de pays de l'UE. Mais on peut toujours y réfléchir :

 

Proposition 4 : Moins d'élevage !

 

Bien sûr, chaque porc non produit permet d'économiser des céréales qui pourraient remplacer les céréales d'exportation ukrainiennes et ainsi réduire le prix du marché mondial. Mais cela ne fonctionne guère à court terme. Les cycles de production dans l'élevage sont longs. La gestation d'une truie dure un peu moins de quatre mois, l'élevage des porcelets et l'engraissement durent ensemble six mois. Si on ne veut donc pas tuer de truies gestantes, on peut tout au plus abattre les porcs charcutiers à un poids plus petit pour utiliser moins de nourriture à court terme. Pour les bovins, c'est encore plus grave. Une vache est pleine pendant 10 mois et donne du lait pendant environ 10 mois après la naissance du veau. Donc, même si l'on parvenait à convaincre certains agriculteurs d'abandonner l'élevage en leur accordant de généreuses compensations, le processus serait lent. Se contenter de réduire le nombre d'animaux dans les exploitations coûterait très cher, car de nombreux coûts fixes liés à l'élevage continueront à être supportés par les exploitations. De plus, de nombreux agriculteurs dépendent de la production et des revenus de l'élevage. Dans ce domaine, aucune politique efficace à court terme n'est à mon avis réaliste.

 

 

Mangerait-on en fait moins de viande et boirait-on moins de lait en Allemagne si on y élevait moins d'animaux de rente ?

 

C'est une question passionnante, mais spéculative. Le fait est que l'Allemagne ne peut pas empêcher les pays de l'UE d'exporter de la viande ou du lait vers l'Allemagne. A mon avis, il faut s'attendre à ce que davantage de viande, de fromage et de yaourt soient importés d'autres pays si l'Allemagne élève moins de bovins et de porcs. C'est peut-être un peu différent pour les produits frais. Mais dans le doute, on produira alors du lait frais en Allemagne au lieu de fromage et on importera le fromage.

 

 

Et si la TVA sur les produits animaux augmente ou si celle sur les alternatives végétales diminue, la consommation de lait et de viande baissera-t-elle ?

 

Là encore, il s'agit de spéculations, mais après une période d'adaptation, on peut s'attendre à un certain effet. Je voudrais toutefois attirer l'attention sur un problème de société : j'affirme qu'en temps « normal », de nombreux Allemands ne mangeront guère moins de fromage ou de viande si le prix de ces produits augmente de 10 % en raison d'une modification de la taxe sur la valeur ajoutée. Les plus susceptibles de réagir sont les moins fortunés et encore plus les plus pauvres. Les propriétaires de maisons individuelles continueront probablement à faire griller de la bonne viande dans leur jardin, tandis que les ménages à faibles revenus renonceront à leur saucisse grillée dans leur jardin communautaire ou leur parc – parce que celle-ci est devenue trop chère. A mon avis, le fait que les plus pauvres soient de facto davantage privés de viande et de produits laitiers que les plus aisés ne correspond pas jusqu'à présent au consensus social en Allemagne.

 

 

Le consommateur ne peut donc rien faire ?

 

Bien sûr que le consommateur peut faire quelque chose d'utile. C'est pourquoi

 

Proposition 5 : manger moins de produits animaux !

 

Mais à mon avis, cela devrait se faire volontairement. La politique et les groupes sociaux peuvent appeler à une réduction de la consommation, mettre en avant les avantages de l'économie de fourrages et les avantages pour la santé d'une consommation modérée de viande. Mais je serais très prudent en ce qui concerne les mesures financières ou politiques similaires à des interdictions. Une réduction de la taxe à la valeur ajoutée des produits végétaux ne serait d'ailleurs pas très ciblée. Les riches, qui achètent des fruits et légumes chers, en profiteraient bien plus que les pauvres en Allemagne.

 

Par ailleurs, ma proposition de manger moins de produits animaux ne signifie pas que la société devrait être végétalienne. Sans animaux, nous ne pouvons pas utiliser les 1,5 kg de tourteaux de colza qui résultent du pressage d'un litre d'huile de colza. Sans bovins et autres animaux similaires, nous ne pouvons pas utiliser les prairies et les pâturages, car les humains ne peuvent pas manger d'herbe. De nombreuses terres arables ne peuvent pas produire de blé, mais peuvent produire des céréales fourragères pour les animaux.

 

Il y a encore une proposition souvent citée pour les consommateurs et l'industrie alimentaire :

 

Proposition 6 : Moins de gaspillage alimentaire !

 

Avec les prix élevés actuels, on peut toutefois espérer que les pertes et le gaspillage insouciant seront de toute façon réduits. Une plus grande attention de la part du consommateur est certainement souhaitable à cet égard, par exemple en utilisant davantage les aliments dont la date limite de consommation est dépassée. Mais la politique ne pourra pas faire grand-chose à court terme.

 

 

Jusqu'à présent, cela ne semble pas très optimiste.

 

Toutes les mesures qui permettent d'économiser des céréales fourragères sont certainement positives et soulagent les pays importateurs dans le monde et leurs consommateurs. Mais il serait bien mieux de produire davantage de blé panifiable sur les surfaces fourragères ainsi économisées, car le blé est tout simplement l'aliment le plus important au monde (avec le riz). Or, la culture de blé panifiable n'est pas possible sur de nombreuses surfaces en Allemagne. Le sol est trop sablonneux ou trop peu profond, les précipitations attendues sont trop faibles. Mais il existe également des obstacles juridiques à la production de blé panifiable pour les semis d'automne de 2022 et la récolte de 2023. Les baisses de production qui en résultent poussent les prix du blé vers le haut, en plus de la guerre en Ukraine. C'est à mon avis sur ce point qu'il faut agir. À mon avis, trois de ces obstacles pourraient être réduits et/ou suspendus pour l'année civile 2023.

 

 

De quelles contraintes juridiques parlez-vous concrètement ?

 

Je parle ici de deux normes BCAE [bonnes conditions agricoles et environnementales] de la nouvelle politique agricole européenne et des restrictions de fertilisation dans les zones rouges. Rien qu'avec la BCAE.7 [maintien des particularités topographiques], on peut s'attendre à ce que l'Allemagne produise 2 millions de tonnes de blé de moins qu'en 2022, car le blé d'hiver ne peut plus être cultivé après le blé. En revanche, la culture d'orge et de maïs devrait augmenter. La quantité totale de céréales ne change donc que très peu. (Remarque pour les experts : il est peu probable que le blé de printemps autorisé soit cultivé en remplacement du blé d'hiver, l'orge ou le maïs sont beaucoup plus réalistes). La BCAE 8 signifie le gel obligatoire de 4 % des terres arables. Toutefois, par rapport à 2022, seuls 2 à 3 % des terres arables devraient être « perdus ». Malgré tout, il faut s'attendre à plus d'un million de tonnes de céréales en moins qu'en 2022 rien qu'en Allemagne.

 

 

Que proposez-vous ?

 

Proposition 7 : suspendre les BCAE 7 pour le blé en 2023 !

 

La politique agricole de l'UE exige qu'en 2023, aucun blé d'hiver ne pousse sur les surfaces où du blé a été récolté en 2022. Cela oblige les agriculteurs à cultiver de l'orge ou du maïs à la place du blé, ou à réduire d'une autre manière la part de blé dans leur assolement. En 2012, selon une enquête représentative de l'entreprise d'études de marché Kleffmann, 20 % du blé était semé après un blé. Cette proportion est certainement plus faible aujourd'hui. Une valeur approximative pourrait être de 10 % de la quantité de production de blé que nous pourrions produire en plus en 2023 sans cette contrainte. Soit plus de 2 millions de tonnes de blé. Mais au détriment d'autres céréales ou du maïs. Les inconvénients de la culture du blé sur blé du point de vue de la protection de la nature sont à mon avis minimes, surtout si l'on tient compte du fait qu'à la place du blé sur blé, de nombreux agriculteurs cultiveraient du maïs, qui n'est probablement pas plus écologique que le blé sur blé. C'est pourquoi je considère que la suspension de l'interdiction du blé sur blé est tout à fait impérative dans l'équilibre entre l'écologie et l'alimentation mondiale.

 

 

La levée de la mise en jachère a déjà été demandée pour 2022. La discussion a été très controversée. Le ministre Özdemir, par exemple, a accordé plus d'importance aux arguments écologiques qu'à la production supplémentaire.

 

À partir de 2023, la mise en jachère sera soumise à la BCAE 8. Il est certainement plus difficile de se faire une opinion sur une réduction de la jachère que sur la levée de l'obligation de rotation des cultures BCAE 7. Les jachères bien gérées ont sans aucun doute une valeur écologique importante. Mais à mon avis, deux arguments ont été négligés jusqu'à présent. D'une part, la mise en jachère obligatoire actuelle est inférieure à 4 %, une réduction modérée de la BCAE 8 ne constitue donc pas une détérioration par rapport à la situation actuelle. Si la réduction n'est que temporaire, elle signifie simplement une amélioration plus lente pour les espèces animales du paysage agricole, il ne s'agirait pas d'une détérioration qui ne pourrait être que difficilement rattrapée. D'autre part, indépendamment des BCAE, de nombreuses terres arables sont engagées dans des programmes quinquennaux de bandes fleuries et autres. Ces engagements n'expirent l'année prochaine que chez très peu d'agriculteurs, ces surfaces extensives restent donc en 2023. D'où ma proposition de

 

Proposition 8 : réduire de moitié les BCAE 8 pour 2023 !

 

La politique agricole de l'UE, telle qu'elle est mise en œuvre en Allemagne, exige que 4 % des terres arables soient mises en jachère au cours de l'année civile. Ces surfaces en jachère ont certainement un potentiel efficace de protection de la nature. Néanmoins, une réduction temporaire de moitié, à 2 %, en 2023 est à mon avis défendable, ce qui donne environ 236.000 ha de surface cultivable en plus. À mon avis, on peut s'attendre à une augmentation de 1,3 million de tonnes de céréales en Allemagne. Un tiers de cette quantité pourrait être du blé, soit un peu plus de 400.000 tonnes. Mais pour cela, la BCAE 7 doit déjà être suspendue. On pourrait s'attendre à un effet bien plus important au niveau de l'UE. En fin de compte, dans le cas d'une réduction limitée dans le temps et compte tenu de la pénurie actuelle de blé dans le monde, il faut mettre en balance les couples nicheurs d'alouettes des champs et de perdrix supplémentaires et les souffrances réduites dues à la baisse des prix des denrées alimentaires.

 

 

Vous avez également évoqué les zones rouges.

 

Dans les zones dites rouges, les règles de fertilisation sont beaucoup plus strictes que sur les surfaces habituelles, la culture de blé panifiable n'y est donc généralement pas possible. Selon les dernières propositions du gouvernement fédéral à la Commission Européenne, 2,7 millions d'hectares de surface agricole utile en Allemagne devraient être concernés par les zones rouges. D'où ma

 

Proposition 9 : suspendre la réduction de la fertilisation dans les zones rouges pour le blé en 2023 !

 

 

Quelle quantité de blé panifiable cela pourrait-il apporter ?

 

Je ne sais pas combien de surfaces dans les zones rouges sont des terres arables ou sont aptes à recevoir du blé. En Allemagne, 71 % des surfaces agricoles sont des terres arables. Si cela s'appliquait également aux zones rouges, 1,9 million d'hectares de zones rouges seraient des terres arables. Les cartes montrent toutefois qu'un nombre disproportionné de surfaces dans les zones rouges sont sablonneuses et donc peu propices au blé. On peut estimer que sur les 27 % de blé que représentent les terres arables en Allemagne, seuls 10 à 20 % seraient cultivés en blé dans les zones rouges (s'il n'y avait pas de contraintes particulièrement strictes en matière de fertilisation). On pourrait donc compter sur 200 à 400.000 ha supplémentaires de blé panifiable dans les zones rouges. Avec un rendement moyen de 7,5 tonnes par hectare, on obtient en gros 1,5 à 3 millions de tonnes de blé panifiable qui ne seraient pas produites dans les zones rouges si les exigences en matière de fertilisation n'étaient pas suspendues pour le blé. Cependant, ces surfaces ne seraient alors plus disponibles pour la production de fourrage. L'effet positif de cette mesure serait donc renforcé si, par le biais de la réduction temporaire de moitié des BCAE 8, davantage de surfaces étaient également disponibles pour le fourrage !

 

 

D'autres propositions ont été faites, notamment par des professeurs d'agriculture ou d'économie agricole. Par exemple, un renforcement de la stratégie dite « farm-to-fork » de la Commission Européenne, avec une augmentation de l'agriculture biologique et de la production de protéagineux indigènes. Que faut-il en penser ?

 

Je ne pense pas que ces deux propositions soient utiles pour réduire les prix du blé et des céréales fourragères sur le marché mondial. Les deux propositions signifient moins de production de céréales au niveau mondial. Donc, si la demande ne diminue pas au moins dans les mêmes proportions, ces propositions devraient même faire augmenter les prix.

 

 

Pouvez-vous expliquer cela plus en détail, s'il vous plaît ?

 

Tout d'abord, l'agriculture biologique. Très schématiquement, l'agriculture biologique réduit de moitié la production de blé. Le rendement est plus faible parce qu'on utilise moins d'engrais et pratiquement pas de produits phytosanitaires efficaces. De plus, l'agriculteur biologique cultive moins souvent le blé sur le même champ, ce qui fait que la part de surface consacrée au blé dans l'agriculture biologique est plus faible que dans l'agriculture conventionnelle. Davantage d'agriculture biologique ne peut donc pas aider à combler le déficit en blé.

 

 

Mais l'agriculture biologique est moins dépendante des engrais azotés, qui doivent actuellement être fabriqués à l'aide de gaz. L'agriculture biologique ne nous rend-elle pas moins dépendants de la Russie ?

 

Cet argument n'est pas seulement avancé pour l'agriculture biologique, mais aussi pour l'augmentation de la culture de protéagineux comme les pois, les haricots et le trèfle. Il est vrai que ces cultures transfèrent l'azote de l'air vers le sol à l'aide de bactéries symbiotiques. Mais cela prend d'abord une année. Pour la récolte 2023, la surface de ces cultures est donc perdue pour le blé ! À court terme, la demande de plus de protéagineux aggrave donc le déficit en blé.

 

 

Qu'en est-il à moyen terme ?

 

En gros, les protéagineux peuvent apporter au sol 60 à 90 kg d'azote par hectare et par an. Or, un hectare de blé nécessite, en plus d'un bon sol, 150 à 200 kg/ha de fertilisation azotée. Nous avons donc besoin de deux à trois hectares de légumineuses pour fertiliser un hectare de blé panifiable avec un rendement d'environ 9 tonnes. Pour 9 tonnes de blé, il faudrait donc trois à quatre hectares de champs. En revanche, dans les cultures conventionnelles avec une fertilisation habituelle, le blé pourrait être cultivé sur environ 50 % de la surface dans la rotation des cultures, on récolterait donc 13 à 18 tonnes de blé sur les 3 à 4 hectares – avec une fertilisation habituelle. Dans cet exemple, la production sur les surfaces autres que le blé serait à peine inférieure à celle de la variante à base de protéagineux avec une fertilisation conventionnelle. Donc, pour une même production de fourrage, la production serait nettement plus élevée dans la variante de fertilisation conventionnelle et cette production supplémentaire serait également du blé.

 

En poussant le raisonnement à l'extrême, les pauvres des pays importateurs doivent payer le gaz économisé grâce à la réduction des engrais par une augmentation du prix du blé.

 

 

Que recommandez-vous finalement ?

 

Tout d'abord, nous devrions à mon avis envisager encore quelques scénarios. Des scénarios plus inquiétants sont envisageables pour l'Ukraine et l'approvisionnement mondial en blé. Tout d'abord, un peu plus de contexte :

 

Avant la guerre, plus de 5 millions de tonnes de céréales étaient acheminées chaque mois sur le marché mondial via les ports maritimes ukrainiens. Actuellement, environ 0,6 million de tonnes partent chaque mois à l'étranger par le rail, la capacité maximale étant estimée à environ 1 million de tonnes par mois. Sur une année, il pourrait donc manquer 30 à 40 millions de tonnes de céréales sur les plus de 50 millions de tonnes exportées sur le marché mondial. Il faut tenir compte du fait que le tournesol et le colza ont plus de valeur par tonne que le blé, et ce dernier plus que les autres céréales. On peut supposer que, dans une certaine mesure, l'espace de transport limité sera plutôt mis à la disposition des marchandises de valeur. Par conséquent, il est probable que l'on exporte plus de blé que de maïs par rapport aux anciennes quantités exportées.

 

Commençons par une possibilité positive. Actuellement, les exportations ukrainiennes par voie ferroviaire sont également limitées par des contrôles longs et fastidieux des wagons de céréales par les pays de l'UE. Si cela était simplifié, l'Ukraine pourrait peut-être exporter 200.000 tonnes de céréales supplémentaires par mois. Mais sur l'année, cela ne représente que 3 à 4 millions de tonnes supplémentaires. Il manque donc encore 30 millions de tonnes.

 

 

Et les pires scénarios ?

 

Dans mes propositions, j'ai implicitement supposé qu'à partir de la récolte 2023, l'Ukraine livrerait à nouveau comme avant la guerre. Il est très probable que les ports relativement petits de la mer d'Azov ne soient pas à la disposition de l'Ukraine en 2023. On ne sait pas non plus jusqu'où Poutine pourra s'installer à l'ouest de la Crimée. S'il occupe Kherson à l'embouchure du Dniepr (ce qui semble être le cas aujourd'hui 26 avril), une voie importante vers le marché mondial sera occupée. De plus, on peut craindre qu'il n'y ait pas d'accord de cessez-le-feu viable d'ici 2024 et que Poutine maintienne donc la pression économique sur l'Ukraine. En comparaison, il pourrait être facile de bloquer les grands ports autour d'Odessa de manière à ce qu'aucun bateau civil de céréales n'ose se rendre à Odessa. Ces derniers jours, Poutine a déjà commencé à bombarder les voies ferrées vers l'étranger.

 

Les stocks de céréales disponibles dans le monde étant très bas, la situation est de toute façon fragile. Les mauvaises nouvelles peuvent actuellement entraîner des hausses de prix relativement importantes. Si la récolte mondiale de 2022 s'avère moins bonne que ne le prévoient actuellement les marchés, on assisterait à une nouvelle flambée des prix. Il en va de même pour les prix des récoltes 2023 et 2024, car les stocks précédents fondraient encore plus que ce que l'on craignait jusqu'à présent.

 

Le monde devrait se préparer à ces scénarios les plus pessimistes. L'UE ne devrait pas les aggraver avec les BCAE 7 et BCAE 8 en 2023. L'utilisation de la bioénergie devrait être réduite de manière ciblée à court terme. Les obligations de fertilisation dans les zones dites rouges devraient être suspendues pour la production de blé.

 

 

Vous n'avez encore rien dit sur la production d'engrais.

 

Je pense qu'il manque une stratégie européenne ou du moins allemande pour garantir l'approvisionnement en engrais pour 2023. En février 2023, de grandes quantités d'engrais devront être disponibles dans les exploitations afin d'assurer l'approvisionnement en nutriments et la croissance des plantes. En raison des prix élevés de l'énergie, les fabricants d'engrais ont réduit – soi-disant temporairement – leur production. Mais on observe également des tendances selon lesquelles certains fabricants et distributeurs tentent de faire encore monter les prix. Certains distributeurs ne publient plus de prix pour les engrais 2023, mais négocient chaque tonne individuellement. La politique est ici sollicitée pour éviter une pénurie. Elle devrait pouvoir offrir aux producteurs une sorte de sécurité d'approvisionnement en gaz et des prix couvrant les coûts, en échange d'une production maximale et d'une politique de prix modérée.

 

L'approvisionnement global en engrais devrait être activement garanti par la politique pour les deux prochaines années.

 

 

Les critiques nous reprocheront à nous deux, producteurs de grandes cultures, de profiter financièrement de la suspension de certaines obligations ? Est-ce juste ?

 

La suspension des obligations me rapporte – en gros – 30 €/ha de terres arables sur l'exploitation. Dans le détail, c'est un gain de 500 €/ha sur les surfaces que je ne devrais plus geler, qui représentent 2 % de ma surface, soit 10 €/ha sur l'exploitation. Pour le blé sur blé à nouveau autorisé, on peut compter 20 €/ha sur l'exploitation, qui résultent de 5 % de la surface arable en plus de blé au lieu d'orge. Avec le blé, je fais peut-être 400 € de plus par hectare. Au total, cela représente donc, en gros, 30 €/ha de plus pour moi. Mais cela est contrebalancé par les prix plus bas que je souhaite atteindre avec mes propositions. Avec un prix de 350 € par tonne de blé, j'ai un chiffre d'affaires d'environ 2.800 € par hectare, et pour les autres céréales, grosso modo 2.500 €/ha. Avec une baisse de prix de 1,5 %, mes propositions me coûtent donc au total une partie de mon bénéfice.

 

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* Source : Die Welt braucht dringend Weizen! Jetzt! - Bauer Willi

 

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