Vu d'Allemagne (ou presque) : Macron, Le Pen et les agriculteurs

Vu d'Allemagne (ou presque) : Macron, Le Pen et les agriculteurs

Willi l'agriculteur*

Ma note : L'article d'origine a été mis en ligne le 23 avril 2022. Pour respecter la trève de près de 48 heures, cette traduction est publiée alors que le verdict populaire est tombé.

Le résultat des élections en France a une grande importance, et pas seulement pour l'Europe. C'est pourquoi j'ai [Willi l'agriculteur a] demandé à Marian E. Finger ("Fingerphilosoph"), qui réside en France, si elle pouvait nous expliquer de son point de vue comment pensent les Français et pourquoi Marine Le Pen a connu une telle affluence. Et comme toujours : le texte représente l'opinion de l'auteur(e).

Macron ou Le Pen ?

Il faut reconnaître une chose à Marine Le Pen : elle s'est donné beaucoup plus de peine avec sa campagne électorale que le tenant du titre Emmanuel Macron. On peut en dire autant de Jean-Luc Mélenchon, Valérie Pécresse, Anne Hidalgo et des autres du 1^er tour. Emmanuel Macron avait finalement autre chose à faire. Il a d'abord dû lutter contre la pandémie et « emmerder les non-vaccinés »**. Et ensuite, il n'a pas eu le temps de faire campagne, car il devait constamment téléphoner à Poutine. A tel point que nous avions parié ici sur le fait de savoir s'il déposerait sa candidature à la présidence à temps ou s'il raterait le rendez-vous. Pendant que le président se tenait à carreau, les partisans d'Eric Zémmour s'affairaient déjà à coller sur les lampadaires et les portes de garage le portrait souriant du candidat encore plus à droite que la droite.

Une planète solitaire

Les Républicains et les Socialistes, c'est-à-dire les partis modérés, ont connu une étonnante descente aux enfers ces dernières années en France. Ils ne jouent plus guère de rôle sur la table de roulette du pouvoir. C'est comme si la CDU et le SPD avaient échangé leurs positions avec l'AfD et die Linke. Olaf Scholz entre Alice Weidel et Sahra Wagenknecht. Emmanuel Macron est une planète solitaire dans un cosmos vide de partis politiques et limité par les forces extrêmes.

L'enjeu du premier tour était de savoir si Emmanuel Macron affronterait Marine Le Pen, de l'extrême droite, ou Jean-Luc Mélenchon, de l'extrême gauche. La course pour la participation à la finale a été assez serrée. Marine Le Pen a obtenu 23,1 %, Jean-Luc Mélenchon 22 %. Je ne peux pas imaginer que les électeurs de Mélenchon voteront pour Marine Le Pen au second tour, bien qu'il y ait des recoupements dans les programmes électoraux des deux. Il est plus probable que Macron fasse le plein. En revanche, Marine Le Pen récoltera les voix du populiste Eric Zemmour. Mais ce n'était que 7,1 %.

La planète solitaire a un nom : Jupiter. C'est ainsi qu'on appelle le président dans notre pays [en France]. Si on demande, de manière typiquement allemande, s'il s'agit du principal dieu romain ou de la plus grande planète gazeuse de notre système solaire, on obtient un sourire indigné. La politesse française nous interdit ici d'entrer dans les détails. Mais qu'il s'agisse du dieu principal ou de l'astre gonflé dans le ciel nocturne, Emmanuel Macron ne devrait en principe avoir aucun problème à être réélu. Malheureusement, ce n'est pas si simple.

Ceux qui réussissent et ceux qui sont à la traîne

En France, l'écart entre les riches et les pauvres est plus grand que ce que l'on peut imaginer en Allemagne. Au second tour, ceux qui ont réussi votent pour Emmanuel Macron. Les laissés-pour-compte et les mécontents votent pour Marine Le Pen. Ils sont nombreux à être mécontents, et souvent à juste titre. Et ils sont de plus en plus nombreux. Les Gilets Jaunes ne font plus autant de bruit, mais ils n'ont pas disparu pour autant.

Parmi les laissés-pour-compte, on trouve les habitants des zones rurales, surtout là où le tourisme ne joue aucun rôle. Les magasins vides aux vitres aveugles au cœur des villages sont un spectacle désolant. De nombreux agriculteurs font également partie des laissés-pour-compte. En France, l'agriculture joue un rôle plus important qu'en Allemagne. Près de 30 millions d'hectares de terres sont cultivés par environ 400.000 agriculteurs. Ils rencontrent les mêmes problèmes que les agriculteurs allemands. Selon une étude de la Mutualité Sociale Agricole, une sorte d'assurance sociale, le revenu annuel moyen d'un agriculteur est de 15.000 euros. Ce n'est pas énorme.

Marine Le Pen ne fait pas l'Özdemir, mais cherche le contact avec les agriculteurs. S'il y a un salon agricole quelque part, on a de bonnes chances de l'y rencontrer. J'ai rassemblé quelques points de son programme électoral concernant l'agriculture :

Pour la patronne du Rassemblement national, l'agriculture française est menacée par trois facteurs :

1. une politique environnementale déconnectée de la réalité ;

2. une trop grande concurrence ;

3. une bureaucratie débordante.

Lors des élections de 2017, Marine Le Pen rêvait encore d'un Frexit, mais il n'en est plus question depuis. Le « Green Deal » et le « Farm to Fork » sont toutefois à ses yeux une « folle stratégie » qu'elle veut contourner par un ensemble de mesures nationales. L'agriculture doit être exclue des accords de libre-échange (comme le CETA) et protégée par des mesures étatiques. Les importations agricoles en provenance de pays non membres de l'UE doivent être soumises aux mêmes normes et standards de qualité que les produits de l'UE. L'indication de l'origine doit être obligatoire. Les cantines doivent être obligées de s'approvisionner à 80 % en produits nationaux. Les terres agricoles ne doivent pas être utilisées pour des projets urbains.

Et encore : l'utilisation de pesticides ne doit pas être interdite s'il n'existe pas de substituts équivalents, tant en termes d'efficacité que de rentabilité. Lorsque les pesticides sont interdits, par exemple à proximité d'habitations ou de cours d'eau, les agriculteurs doivent être indemnisés. Le commerce doit être obligé de payer un prix minimum pour les produits agricoles. Elle veut des soutiens étatiques en particulier pour l'élevage, la production de protéines végétales (haricots, pois) ainsi que les cultures maraîchères et fruitières.

Jusqu'à la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron était entièrement sur la ligne des sauveurs du climat européens. La transformation de l'agriculture en une agriculture durable et écologique pour sauver le climat lui tenait à cœur. La production agricole devait diminuer de 13 % au total. Maintenant, il veut que la production augmente.

Et maintenant la question cruciale : pour qui voteriez-vous en tant qu'agriculteur en France ? Emmanuel Macron ou Marine Le Pen ?

Je ne pense toutefois pas que Marine Le Pen remportera le second tour. Des habitants m'ont expliqué à l'époque qu'il y avait deux tours de scrutin en France : le premier tour est destiné à ce que les électeurs laissent éclater leur colère et désavouent les hommes politiques qu'ils n'aiment pas. Le Français vote alors sous le coup de l'émotion. Le deuxième tour sert à définir la politique pour les cinq prochaines années. Le Français vote de manière rationnelle. Si le programme de Le Pen en matière d'agriculture peut sembler raisonnable à certains ici, son élection n'en serait pas moins déraisonnable d'un point de vue politique global. Dans la situation actuelle, nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d'affaiblir la position européenne. C'est pourquoi l'après-élection devrait être comme l'avant-élection. Avec le même président que jusqu'à présent : Emmanuel Macron.

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* Source : Macron, Le Pen und die Landwirte - Bauer Willi

** Le texte allemand, traduit donne à peu-près ceci : « au choix, "foutre dans la merde" ou "casser les couilles" aux non-vaccinés, selon la traduction que l'on veut donner à son expression tant discutée. »