Les chroniques de M. Stéphane Foucart dans le Monde : toujours plus loin dans la honte
À propos de « Vouloir produire plus au nom de l’indépendance agricole, c’est comme vouloir mettre plus d’automobiles sur les routes au nom des économies d’énergie »
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Le Monde a publié le 19 mars 2022, dans son édition électronique, une chronique de M. Stéphane Foucart au titre époustouflant (c'est une citation du texte) : « Vouloir produire plus au nom de l’indépendance agricole, c’est comme vouloir mettre plus d’automobiles sur les routes au nom des économies d’énergie ».
En chapô :
« Comme le rappellent près de 200 scientifiques, la guerre en Ukraine montre les limites de nos systèmes productifs actuels, explique dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au "Monde". »
Le titre est plus mesuré dans la version papier des 20 et 21 mars 2022 : « Agriculture : les leçons de la guerre », avec en pavé : « Les engrais azotés sont produits grâce au gaz naturel et leur prix a plus que triplé en un an » et « Emmanuel Macron l'a annoncé : le projet de verdissement de l'agriculture européenne sera "adapté" à l'aune de la crise ».
Rappelons le contexte.
Il faut y ajouter les mesures issues de la stratégie « biodiversité ».
Il y a, d'une part, une stratégie « de la ferme à la table » de l'Union Européenne qui, au titre d'un « verdissement » allégué (et non réalisable) promet des réductions de la production agricole européenne à deux chiffres en pourcentage selon quatre études, largement concordantes sur l'ampleur du désastre, de sources et de méthodologies différentes.
Source : Centre commun de recherche de la Commission européenne
Il y a, d'autre part, la guerre en Ukraine et la perspective de disettes et de famines dans le monde (pas en France et probablement pas en Europe) dont les contours sont encore difficiles à cerner. Les instances onusiennes craignent depuis quelque temps un « ouragan de famine ».
La question n'est plus de savoir s'il y aura une crise, mais quelle sera son ampleur – et comment il faut y faire face.
Dans le meilleur scénario, pour l'heure improbable, le cessez-le-feu intervient dans les prochaines semaines, les travaux agricoles se déroulent du mieux possible et les livraisons de produits agricoles de l'Ukraine et de la Russie reprennent.
Dans un autre scénario, les semis de printemps et les récoltes ne se font pas ou très mal en Ukraine – ou, pire, une stratégie de destruction systématique est mise en œuvre pour provoquer un nouvel Holodomor et une émigration massive –, la Russie réserve ses exportations de blé et d'engrais aux pays « amis » et, sauf mesures palliatives du reste du monde exportateur, c'est le chaos dans la deuxième moitié de l'année et en 2023 (et plus si le conflit s'enlise).
Quelle que soit l'évolution de la situation en Ukraine, la guerre a mis en évidence quelques réalités géopolitiques et géostratégiques auxquelles il faut s'adapter et répondre à court et plus long terme (ou pas... dans le domaine de l'énergie, les Allemands, par exemple, ne sont toujours pas prêts à maintenir leurs centrales nucléaires restantes en fonctionnement).
(Source)
Face à cette situation, l'Union Européenne a le choix entre deux politiques :
-
Contribuer autant que possible à la prévention des dangers qui nous guettent, notamment en augmentant notre production agricole ;
-
Maintenir sa « stratégie », quoi qu'il en coûte, et jeter un œil indifférent à l'approvisionnement alimentaire mondial, et même européen.
Cette analyse fournit aussi, par analogie, des indications sur les effets de la guerre en Ukraine (source)
Comme on pouvait s'en douter, M. Stéphane Foucart a choisi le camp des va-t-en-famine.
C'est son droit, et il est en « bonne » compagnie. Mais le problème est (aussi) dans l'argumentation.
On entre dans le sujet avec une analyse économique surprenante, enfin qui l'est moins si on la met sur le compte de l'ignorance des réalités de l'agriculture :
« Lorsque les cours sont au plancher, il faut produire le plus possible pour éviter la ruine ; lorsqu’ils s’envolent, il faut produire le plus possible pour rafler la mise. La guerre en Ukraine n’est pas perdue pour tout le monde et ce ne sont pas les vendeurs de bicyclettes qui en tirent, ces jours-ci, le meilleur profit.
Depuis le début du conflit, les lobbys agro-industriels ont poussé leurs arguments avec un succès éclatant. Jusqu’à remettre en cause, en France au moins, la stratégie "Farm to Fork" ("de la ferme à la fourchette"), le volet agricole du Pacte vert de la Commission européenne. Le président candidat Emmanuel Macron l’a annoncé jeudi 17 mars : le projet de verdissement de l’agriculture européenne sera "adapté" à l’aune de la crise. Le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, ayant déjà annoncé la fin des jachères en France, on peut s’attendre à ce que cette adaptation s’apparente à une volonté de démantèlement en bonne et due forme. »
On ne peut qu'être scandalisé par l'imputation faite aux agriculteurs d'être des profiteurs et d'avoir « poussé leurs arguments » dans une optique de lucre. Faut-il mettre cela sur l'arrogance de l'auteur, son mépris de classe ou encore sa méconnaissance des faits ? Les trois sans doute.
Les « céréaliers » ont en majorité vendu leurs récoltes de 2021 avant la flambée des cours due à la guerre. Pour les récoltes à venir, les cours sont évidemment incertains, mais l'augmentation des prix des engrais est, elle, certaine et pèse sur les coûts à la production avec d'autres facteurs comme l'énergie. Les éleveurs achetant des aliments du bétail sont quant à eux durement touchés.
Le propos est d'autant plus grotesque que, dans la version électronique, un metteur en page facétieux a invité les lecteurs à lire aussi « La flambée du prix des céréales secoue les agriculteurs français » de Mme Laurence Girard !
On ne peut qu'être scandalisé, aussi, par le manichéisme du propos illustré par la référence aux « lobbys agro-industriels ». Ceux-ci incluent maintenant dans la pensée de l'auteur – et d'autres acteurs du débat public – les entités portant les intérêts des agriculteurs comme la FNSEA en France et le COPA/COGECA à Bruxelles.
Les porteurs d'intérêts agricoles n'ont pas été les seuls à plaider pour une contribution accrue de l'agriculture européenne à l'alimentation mondiale.
Mais Mme Christiane Lambert « a exigé » de pouvoir produire plus et, deux semaines plus tard, M. Macron « a obtempéré »...
(Source)
C'est, certes, une chronique, un texte qui autorise davantage l'expression d'opinions qu'un article d'information, mais tout de même...
Il est vrai, cependant, que dans une autre chronique, du 11 décembre 2021, M. Stéphane Foucart avait opiné qu'« Aucun gouvernement n’a suivi ou devancé avec une telle constance les desiderata du productivisme agricole ». Il faisait alors grand cas d'un canular d'Extinction Rébellion, un déménagement factice de la FNSEA vers les locaux du Ministère, rue de Varenne.
« Vouloir produire plus au nom de l’indépendance agricole » ? Il n'y a pas que la comparaison fort boîteuse avec les automobiles et les économies d'énergie ! M. Stéphane Foucart avait bien compris que l'enjeu était autre, et il a choisi un sophisme d'homme de paille moisi, en éliminant l'enjeu quasiment d'un trait de plume :
« Cela semble tomber sous le sens. Plus d’un quart des exportations mondiales de blé venant de Russie et d’Ukraine, il paraît à première vue criminel de ne pas chercher à produire plus, d’être non autonome et de ne pas nourrir le monde affamé, en particulier les pays du Sud, dont l’approvisionnement en blé dépend de l’hémisphère Nord. Ce narratif plein d’humanité a le mérite d’être facile à comprendre. Mais, hélas !, il est faux. »
Comment évacuer le noble objectif de nourrir le monde ?
Le raisonnement est assez limpide et beaucoup foireux : il n'y a pas que les quantités disponibles, mais aussi les prix. L'augmentation de la production européenne serait petite et n'aurait qu'une influence marginale sur les cours sur un marché fondamentalement financiarisé et spéculateur.
C'est sans doute exact à court terme. Mais ce tour de passe-passe permet d'escamoter les effets dévastateurs de la stratégie « de la ferme à la fourchette » !
Et donc :
« Pour garantir la sécurité alimentaire, les aides aux plus pauvres sont sans doute plus efficaces qu’une augmentation marginale de la production européenne – obtenue au prix d’une dégradation encore accrue du climat et de la biodiversité. »
« Pour garantir... » ? L'un n'exclut pas l'autre, mais chez l'auteur l'un permet d'exclure l'autre. C'est à la limite : donnons leur des aides financières pour acheter le blé qui n'a pas été produit...
Notons au passage :
« […] Ce qui motive l’agro-industrie à produire plus – c’est-à-dire les cours élevés – est donc exactement ce qui entrave l’accès des plus pauvres à la nourriture. »
En introduction, l'auteur nous avait expliqué qu'il faut produire plus, que les cours soient hauts (pour bénéficier de l'aubaine) ou bas (pour éviter la ruine)... Comprenne qui pourra...
Vient alors l'explication de la comparaison hasardeuse du titre : l'agriculture « conventionnelle » – on suppose que c'est elle seulement... – est tributaire des hydrocarbures, de la pétrochimie pour les pesticides et du gaz pour les engrais, de sorte que vouloir produire plus « au nom de l’indépendance agricole », c'est simplement changer de dépendance.
Il faut donc écouter
« [les] près de 200 agronomes, agroéconomistes et agroécologues européens [qui] ont pris fortement position, vendredi 18 mars, dans un texte demandant aux décideurs de "ne pas abandonner les pratiques agricoles durables pour augmenter la production de céréales". »
Les signataires sont plus de 500 à l'heure où nous écrivons, mais pour leur pedigree et pour leur appel à maintenir mordicus la stratégie de la ferme à la table... ce sera peut-être pour un autre billet.
(Source)
MM. Xavier Poux et Pierre-Marie Aubert, de l'IDDRI, sans nul doute inspirateurs au moins en partie de la stratégie de la ferme à la table, sont aussi appelés à la rescousse. N'ont-ils pas « dessin[é] avec précision le scénario de transformation de nos systèmes productifs vers une agriculture indépendante, non toxique et durable »?
(Source)
« Quant à savoir si une telle mutation est réaliste, la crise actuelle nous pose la question symétrique : n’est-ce pas plutôt le maintien du statu quo qui manque de réalisme ? »
Après avoir fait de gros effort pour persuader le lecteur de la pertinence d'une politique de décroissance agricole et alimentaire, voilà que l'auteur exprime un doute !
Ce qui est certain, en revanche, c'est que la priorité ne va pas à l'urgence alimentaire, sauf, peut-être, avec des YAKA, FOKON, YZONKA.
Mais il y a d'autres journalistes de la rubrique Planète pour sauver l'honneur du Monde.