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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

L'étude française sur les édulcorants artificiels et le cancer, c'est du « bullsweet »

20 Avril 2022 Publié dans #Article scientifique, #Nutrition

L'étude française sur les édulcorants artificiels et le cancer, c'est du « bullsweet »

 

Josh Bloom*

 

 

Image originale : Pixabay [« Bullsweet » est un jeu de mots qui associe les débuts de « bullshit » – inutile de préciser le sens – et « sweetener », édulcorant.]

 

 

Les études merdiques sur les méfaits présumés des édulcorants artificiels sont à peu près aussi courantes (et précieuses) qu'un chewing-gum collé sous une chaise d'école. Pourtant, en voici une autre qui prétend que la consommation d'édulcorants artificiels, en particulier l'aspartame et l'acésulfame-K, est associée au cancer. Devons-nous la démonter ? Je dis oui.

 

 

Le monde des peurs chimiques est un peu comme une course de chevaux perpétuelle, avec généralement les mêmes vieux chevaux fatigués – divers produits chimiques – dans la même course. Aujourd'hui, dans la 5e course à Oncology Downs, dans le New Jersey, se trouve Packet of Cancer, une pouliche pur-sang de quatre ans qui était la grande favorite à 3 contre 5. Le cheval, qui était un outsider à 3 contre 1 la semaine dernière encore, a attiré de nombreux paris à la suite de la publication d'un article dans PLOS Medicine sur l'association de deux édulcorants artificiels avec le cancer. La pouliche est sortie de la boîte, son jockey n'ayant jamais regarder en arrière, et a gagné de sept longueurs.

 

C'est reparti. Une étude de plus dans une collection apparemment infinie d'études, toutes sur les méfaits des substituts du sucre. Cette fois, Charlotte Debras et ses collègues de l'Université Sorbonne Paris Nord ont rejoint la course avec « Artificial sweeteners and cancer risk: Results from the NutriNet-Santé population-based cohort study » (édulcorants artificiels et risque de cancer : résultats de l'étude de cohorte en population NutriNet-Santé), qui prétend confirmer la croyance de longue date selon laquelle les édulcorants artificiels sont une mauvaise nouvelle. Comme d'habitude, vous devriez commencer à creuser votre tombe lorsque vous sirotez un coca light, car vous n'allez pas tarder à en avoir besoin.

 

Ce cheval a-t-il des jambes ? Regardons. Avertissement : Avant que vous n'essayiez de lire un exercice très long et détaillé sur l'endurance, je vais vous faire une faveur. Une grande partie de l'article porte sur la méthodologie de l'étude, l'analyse statistique et la tentative de correction d'un max de variables dans les populations étudiées. N'hésitez pas à le lire (trois d'entre nous l'ont fait et nos têtes ont explosé), mais ce n'est pas nécessaire. L'article est surtout du bruit et son véritable message (ou son absence de message) peut être perçu en se concentrant sur certaines des données à partir desquelles les auteurs tirent leurs conclusions.

 

 

L'étude

 

Plus de 100.000 adultes français ont été suivis sur une période de 12 ans, au cours de laquelle les faits suivants se sont produits :

 

« Les participants déclarent tous les aliments et boissons consommés au cours des principaux repas et des autres occasions de manger, et ils fournissent des informations sur la taille des portions au moyen de photographies validées ou de récipients de portions standard. Les apports alimentaires de base [Baseline dietary intakes] ont été évalués en faisant la moyenne de tous les enregistrements alimentaires sur 24 heures fournis au cours des deux premières années de suivi (jusqu'à 15 enregistrements). Les apports quotidiens en énergie, en alcool et en macro- et micronutriments ont été évalués à l'aide de la table de composition des aliments NutriNet-Santé (qui fournit la composition nutritionnelle d'environ 3.500 articles). Les apports en nutriments des plats composés ont été estimés selon les recettes françaises habituelles définies par des professionnels de la nutrition. Les sous-déclarants d'énergie alimentaire ont été identifiés à l'aide du métabolisme de base et de la méthode du seuil de Goldberg, et exclus des analyses. »

 

Ignorons simplement le protocole compliqué et concentrons-nous sur les résultats car si les résultats sont invalides ou non concluants, alors la méthodologie n'est pas pertinente.

 

 

Mesures de base [baseline measurements]

 

Pour comparer les effets entre les groupes, il faut déterminer à l'avance les caractéristiques des participants avant l'étude. C'est ce qui est fait (avec des détails atroces) dans le tableau 1 de l'article : « Caractéristiques de base de la population étudiée, cohorte NutriNet-Santé, France, 2009-2021 (n = 102.865) ». Le tableau est suffisamment grand pour servir un dîner pour 100 personnes.

 

 

 

 

Développons donc quelques sections ; il y a là des données discutables (pour le dire gentiment).

 

La cohorte a été divisée (selon les données autodéclarées) en un groupe de personnes qui n'utilisent pas de substituts artificiels (non-consommateurs, en jaune, groupe témoin), et ceux qui n'en utilisent que peu (petits consommateurs, en vert) ou beaucoup (grands consommateurs, en rouge).

 

 

 

 

D'emblée, la différence de base de l'IMC est intrigante. Par rapport aux non-consommateurs (encadré bleu), les grands consommateurs (encadré rouge) avaient un IMC supérieur de 7,2 % – un chiffre faible mais significatif, surtout quand on voit l'ampleur des changements dans les taux de cancer par la suite. L'obésité étant un facteur connu de développement du cancer, il est raisonnable de se demander si une partie, voire la totalité, des effets mesurés dans les populations étudiées ne sont pas simplement un facteur de la différence d'IMC au départ. Cette différence est-elle suffisante pour invalider l'ensemble de l'étude ? Difficile à dire.

 

Et puis il y a ceci : un regard sur la différence entre la quantité d'édulcorant utilisée par les petits et les grands consommateurs. C'est assez important.

 

 

 

 

Les petits consommateurs (cercle vert) utilisaient en moyenne 7,6 mg de tous les édulcorants par jour. Les grands consommateurs (cercle rouge) utilisaient plus de 10 fois cette quantité. Les tendances pour l'aspartame (15 fois) et l'acésulfame-K (10 fois) sont similaires. Lorsque l'on voit (ci-dessous) la très faible différence dans les taux de cancer entre ces groupes, il n'est pas déraisonnable de s'interroger : si les édulcorants artificiels causent effectivement le cancer, pourquoi y a-t-il une différence minuscule dans le taux de cancer alors que la différence dans la quantité d'édulcorants consommés était énorme ?

 

 

RÉSULTATS

 

Allégation Bullsweet n°1 sur le cancer – Incidence totale du cancer et quantité totale d'édulcorants artificiels

 

« Dans cette grande cohorte de 102.865 adultes français, les édulcorants artificiels (notamment l'aspartame et l'acésulfame-K) ont été associés à une augmentation du risque global de cancer (hazard ratio [HR] pour les plus grands consommateurs par rapport aux non-consommateurs = 1,13 [IC 95 % 1,03 à 1,25], P-tendance = 0,002). »

 

[C'est nous qui graissons.] C'est ici que l'on peut conclure que nous sommes en présence du « Le Trash paper » article poubelle »). (Tableau 2). Le tableau occupe une page entière, j'ai donc à nouveau découpé les sections pertinentes.

 

 

 

 

Comme vous pouvez le voir, il y a peu ou pas de différence dans le taux de tous les cancers dans le groupe des édulcorants artificiels totaux (case rouge), le groupe de l'aspartame (case bleue) ou le groupe de l'acésulfame-K (case verte) (1). Pourtant, les auteurs prétendent le contraire. Notez que l'affirmation d'une augmentation du nombre de cancers (HR 1,13, 13 %) est fondée sur un seul chiffre dans l'ensemble du tableau, indiqué par la flèche jaune. Il s'agit non seulement d'un seul chiffre, mais aussi d'un chiffre très faible.

 

Examinons quelques problèmes. Tout d'abord, notez que dans les données ajustées au minimum (voir ci-dessous), les grands consommateurs ont en fait moins de risques d'avoir un cancer que les petits consommateurs (HR 1,19 pour les grands, 1,26 pour les petits). Ce fait n'est pas pris en compte ; on utilise plutôt le chiffre de 1,13. Cela devient encore plus surprenant si l'on considère que dans la même colonne, les petits consommateurs ont un risque plus élevé, bien qu'également insignifiant – HR 1,14, 14 %. Il est évident que ces chiffres sont tous les mêmes.

 

 

Allégation bullsweet n°2 sur le cancer

 

« Plus spécifiquement, la consommation d'aspartame a été associée à une augmentation du risque de cancer du sein (HR = 1,22 [95% CI 1,01 à 1,48], P = 0,036). »

 

Une fois encore, examinons les données.

 

 

 

 

Les auteurs ont à nouveau isolé un point de données (encadré rouge/flèche) dans l'ensemble du tableau et ont réussi à trouver quelque chose de statistiquement significatif : une association entre le cancer du sein et l'aspartame lorsque le groupe des non-consommateurs est comparé au groupe des grands consommateurs. Même ainsi, le HR est assez faible – 1,22 – un effet minuscule, et il n'apparaît que lorsque les statistiques ont été entièrement ajustées.

 

Les données sur l'acésulfame-K et la consommation totale d'édulcorants artificiels contredisent cette tendance. L'incidence du cancer n'est pas affectée par la consommation totale d'édulcorants artificiels dans son ensemble ; l'acésulfame-K (si ces chiffres doivent être pris au sérieux) semble avoir un effet protecteur contre le cancer du sein, puisque les grands consommateurs sont légèrement moins susceptibles de développer un cancer du sein, tant dans les groupes à ajustement minimal que dans les groupes à ajustement complet. Pouvez-vous croire à tout cela ?

 

 

Quels sont les ajustements ?

 

J'ai ignoré tout ce qui concerne l'ajustement des données. Cela est dû aux paramètres qui ont été utilisés pour les faire :

 

« Ajusté pour l'âge (échelle de temps), le sexe (sauf pour le sein et la prostate), l'IMC, la taille, la prise de poids pendant le suivi, l'activité physique, le statut tabagique, le nombre de cigarettes fumées en paquets-années, le niveau d'éducation, le nombre d'enregistrements alimentaires sur 24h, les antécédents familiaux de cancer, le diabète prévalent, l'apport énergétique sans alcool, l'alcool, le sodium, les acides gras saturés, les fibres, le sucre, les fruits et légumes, les aliments complets, les produits laitiers. Tous les modèles ont été mutuellement ajustés pour la consommation d'édulcorants artificiels autres que celui étudié. Les modèles de cancer du sein ont également été ajustés pour l'âge à la ménarche, l'âge au premier enfant, le nombre d'enfants biologiques, le statut ménopausique de base, l'utilisation de contraceptifs oraux au départ et pendant le suivi, et le traitement hormonal de la ménopause au départ et pendant le suivi. »

 

Il y a plus d'une douzaine de paramètres qui ont été pris en compte pour rendre les données plus fiables. Ou bien l'ont-ils été ? Il est assez courant que les auteurs d'articles de recherche de données choisissent les facteurs à inclure afin de faire chauffer les calculettes pour trouver quelque chose de statistiquement significatif. Pourquoi ces variables ? Y a-t-il d'autres variables qui, si elles étaient incluses, feraient pencher la balance dans l'autre sens ? Qui sait ?

 

Cela a certainement été fait auparavant. On peut faire en sorte que des articles épidémiologiques minables donnent à peu près tous les résultats que l'on veut, simplement en choisissant ou en omettant certains groupes et en appliquant une série de corrections au lieu d'une autre. Le groupe de Debras a-t-il joué ce jeu ? Je n'en ai aucune idée. Tout ce que je peux dire (pour être gentil), c'est que les preuves du lien entre les édulcorants artificiels et les cancers dans cette étude sont, au mieux, bancales.

 

 

Et une note d'un chimiste

 

Il y a un problème fondamental avec l'ensemble des prémisses de l'étude – que les édulcorants artificiels sont une seule entité. Tout ce que l'aspartame, l'acésulfame-K et le sucralose ont en commun est qu'ils sont perçus comme sucrés par les récepteurs de la langue. À part cela, il s'agit de trois substances chimiques totalement différentes, avec des propriétés physiques, chimiques et biologiques différentes. Ainsi, toute étude qui compare la cancérogénicité de l'aspartame à celle du sucralose est automatiquement faussée. Il n'y a aucune plausibilité biologique pour que le goût sucré, réel ou artificiel, soit lié de quelque manière que ce soit au cancer.

 

 

Plus d'informations à venir

 

Restez à l'écoute. Le mois prochain, je couvrirai le concours sur les perturbateurs endocriniens au BPA Arena à Akron. Pour l'instant, Tiny Testicles est un solide favori à 3-2, mais ne négligez pas Anogenital Distance (4-1) de Phthalate Farms dans le Kentucky. Il a été impressionnant dans la dernière ligne droite ces derniers temps.

 

 

NOTE :

 

(1) Le sucralose n'a pas été pris en compte dans toutes les analyses car son utilisation (ou son absence) n'a pas donné de résultats statistiquement significatifs. Il est également inoffensif.

 

_______________

 

Josh Bloom, directeur des sciences chimiques et pharmaceutiques.

 

Josh Bloom, vice-président exécutif et directeur des sciences chimiques et pharmaceutiques, vient du monde de la découverte de médicaments, où il a fait de la recherche pendant plus de 20 ans. Il est titulaire d'un doctorat en chimie.

 

Source : French Artificial Sweetener-Cancer Study is 'Le Bullsweet' | American Council on Science and Health (acsh.org)

 

 

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D
Par contre, il semble que les édulcorants, naturels ou de synthèse puisse perturber l'homéostasie en déclenchant la production d'insuline via les signaux des récepteurs sucrés. <br /> L'organisme identifie la présence de sucre, donc lance sa "production" d'insuline qui doit métaboliser le glucose.<br /> Or, il n'y a pas de sucre, seulement le signal, l'édulcorant est un leurre.<br /> On soupçonne que les édulcorants pourraient être un facteur déclenchant les diabètes de type II.
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U
Il y a aussi un gros problème de recrutement de la cohorte qui, contrairement aux lois de base de la statistique, n'a pas été rée au hasard mais repose sur le volontariat.<br /> 80% des participants sont des femmes.<br /> Qui croit que 80% de la population française est féminine ?<br /> Et si vous ne le croyez pas, vous ne devez croire aucun résultat de cette cohorte.<br /> Surtout au niveau de quelques pourcents.
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