L'Allemagne devient le pilote fantôme de la politique agricole de l'UE
Norbert Lehmann, AGRARHEUTE*
© Conseil européen
Les ministres de l'Agriculture de l'UE réunis à Luxembourg ce jeudi 7 avril. Ils veulent renforcer l'agriculture européenne et redonner de l'importance à la souveraineté alimentaire.
La politique agricole de Bruxelles est en train de changer de cap en raison de la guerre en Ukraine. La souveraineté alimentaire est à nouveau une priorité. Seul le ministre allemand de l'Agriculture, Cem Özdemir, ne suit pas le mouvement. [L'article d'origine est daté du 8 avril 2022.]
Cette semaine, les ministres européens de l'Agriculture se sont réunis à Luxembourg. Une fois de plus, la guerre en Ukraine était à l'ordre du jour. Les conséquences de l'invasion russe sur les marchés agricoles mondiaux sont immenses.
La Commission Européenne et la grande majorité des États membres tentent d'atténuer les effets négatifs sur la sécurité de l'approvisionnement et les prix des denrées alimentaires. Plusieurs mesures de crise ont déjà été adoptées à cet effet. Un changement de cap à long terme se dessine également, passant d'une politique agricole commune (PAC) axée sur l'environnement à une politique axée sur l'environnement et la production. Mais il y a un pays qui freine des quatre fers, c'est l'Allemagne.
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Janusz Wojciechowski, commissaire européen à l'Agriculture, lors de la conférence de presse finale du Conseil agricole de l'UE à Luxembourg (8 avril 2022).
Le commissaire européen à l'Agriculture Janusz Wojciechowski a rappelé au Conseil agricole que les États membres pourront utiliser cette année 4 millions d'hectares de surfaces d'intérêt écologique (SIE) pour la production alimentaire. Cela a été rendu possible par une dérogation accordée le 23 mars.
L'Allemagne avait été le seul État membre à s'opposer à cette dérogation au sein du comité de gestion de l'UE. Les États membres ne peuvent toutefois pas empêcher un acte juridique délégué de la Commission européenne. Les gouvernements ont jusqu'au 13 avril pour faire savoir à la Commission s'ils font usage de cette option.
En Allemagne, la décision est en revanche tombée aujourd'hui : les SIE ne seront autorisées dans ce pays que pour l'alimentation animale. C'est ce qu'a obtenu le ministre fédéral de l'Agriculture Cem Özdemir (Verts).
L'Allemagne s'engage ainsi sur une voie particulière. La France a déjà libéré ses 300.000 hectares par décret fin mars pour la culture de céréales, y compris l'utilisation de produits phytosanitaires. La prime de verdissement n'est pas menacée pour autant. Les terres continueront d'être comptabilisées comme des jachères, à la fois comme surfaces écologiques prioritaires et pour la rotation des cultures.
Notre voisin de l'Est, la Pologne, veut également libérer les terres en jachère pour la production de denrées alimentaires et de fourrage. L'Espagne agit de même. Les agriculteurs espagnols peuvent cultiver 600.000 hectares supplémentaires. L'Italie aurait également tendance à libérer les terres.
Les conséquences à long terme de la guerre en Ukraine sur la politique agricole se dessinent également à Bruxelles. Le groupe PPE au Parlement Européen s'est prononcé en faveur d'une suspension de l'obligation de mise en jachère de 4 pour cent des terres arables dans le cadre de la conditionnalité à partir de 2023.
Le commissaire européen à l'agriculture Wojciechowski veut, comme on le sait, examiner cette question. La Roumanie et l'Irlande ont soutenu cette demande cette semaine au Conseil de l'agriculture.
Le ministre fédéral Özdemir s'y oppose toutefois également. Il mise sur l'utilisation de davantage de matières premières agricoles pour la production de denrées alimentaires plutôt que pour l'alimentation animale et les biocarburants.
Pourtant, d'autres États membres pensent depuis longtemps plus loin et demandent des flexibilités supplémentaires. À l'initiative de la ministre croate de l'Agriculture Marija Vučković, 13 États membres au total ont demandé au Conseil agricole de l'UE de débloquer des fonds du deuxième pilier de la PAC pour soutenir les agriculteurs qui doivent faire face à des augmentations très importantes des coûts du gazole, des engrais minéraux et d'autres intrants. Les fonds résiduels disponibles au titre du soutien au développement rural devraient pouvoir être réaffectés à cette fin.
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Le ministre français de l'Agriculture Julien Denormandie veut développer la politique agricole de l'UE non seulement en fonction d'objectifs environnementaux, mais aussi d'« objectifs de production ».
Le ministre français de l'Agriculture Julien Denormandie, qui préside le Conseil agricole de l'UE au premier semestre, a élevé le débat sur l'orientation de la politique agricole de l'UE à un niveau supérieur.
M. Denormandie a proposé hier à ses collègues ministres de fixer des objectifs de production pour l'agriculture européenne. « Que se passerait-il si l'UE devenait encore plus dépendante des importations agricoles en provenance de Russie ? », a averti M. Denormandie.
Le Français a demandé que la vision politique de la PAC soit complétée par la souveraineté et l'indépendance alimentaires. La transformation de l'agriculture vers une meilleure protection du climat, de l'environnement et de la nature, ancrée dans le Green Deal, doit être complétée par la vision supplémentaire d'une production assurée de denrées alimentaires et de fourrage.
« Produire et protéger », tel est le mot d'ordre de M. Denormandie. À Berlin, cet appel est tombé dans l'oreille d'un sourd.
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* Norbert Lehmann travaille depuis plus de 25 ans comme journaliste spécialisé. Après des études d'économie agricole à Bonn, le service de presse et d'information Agra-Europe a été sa première étape professionnelle. Il a fait de fréquents séjours à Bruxelles en tant que correspondant. Ensuite, activités au sein du groupe d'édition Handelsblatt, dans les relations publiques scientifiques ainsi qu'en tant qu'indépendant. Depuis 2012, il travaille au dlv, en dernier lieu en tant que chef de la rubrique Management & Markt à la rédaction d'AGRARHEUTE.
Source : Deutschland wird zum Geisterfahrer der EU-Agrarpolitik | agrarheute.com