Lyon Science, les abeilles, une apicultrice et BASF
Chronique d'une gestion désastreuse d'un « conflit d'intérêts »
(Source)
Lyon Science organise sa huitième édition pour le 3 avril 2022.
Le 24 mars 2022 était annoncé sur Twitter un « correctif du programme », avec deux points d'exclamation :
« CORRECTIF du programme !!
On nous a alerté sur la question de conflits d'intérêts d'une des conférencières, travaillant à la fois chez BASF et proposant un talk sur les abeilles. Nous étions passés à côté de ce problème. Pour éviter toute polémique, et garantir aux participants de LyonScience2022 un événement dans lequel les conflits d'intérêts sont pris très au sérieux, et évités autant que possible, la participation de Sandrine Leblond est annulée. Le reste de la journée est maintenu.
Dans un contexte d'interdiction à l'échelle européenne d'un certain nombre de pesticides, car mis en cause dans le déclin des populations des abeilles, nous ne pouvons pas nous permettre l'existence d'un tel conflit d'intérêt, signalé notamment par @FactSory et @GlyphoScore.
Nous ne sommes pas à même ici, et d'ici la tenue du festival, de décortiquer ce qui dans la conférence de Sandrine aurait pu être problématique. Il est clair que cela jetterait un doute sur l'ensemble de l'événement, ce que nous voulons pas. »
Voilà, voilà !
L'explication de la décision est fort laborieuse. Dix jours n'auraient pas été suffisants pour tirer l'affaire au clair... par exemple par une discussion avec l'oratrice précédemment pressentie.
Mme Sandrine Leblond travaille chez BASF (en tant que « responsable Biodiversité »)... c'est un conflit d'intérêts allégué, « signalé » par des personnages dont on peut constater les activités et motivations sur Twitter... quelqu'un ou quelques-uns dans le comité d'organisation décide(nt) de céder aux exhortations, que l'on supposera polies mais à l'évidence pressantes, et supprime la présentation du programme.
Est-ce bien sérieux de prendre « les conflits d'intérêts [...] très au sérieux » par l'éjection d'une oratrice de grande compétence (apicultrice, agronome, active dans le domaine de la biodiversité – quoique... chez... oh, la vilaine...) d'une journée à l'intention d'un public que l'on peut qualifier de populaire (sans connotation péjorative) ?
Du reste, quelles auraient été les réactions dans une situation inverse, un apiculteur militant dans une association qui blâme les pesticides pour tous les déboires de l'apiculture... qui a peut-être participé aux récentes manifestations contre l'agrochimie à Lyon ? On peut sans risque affirmer qu'il n'y aurait pas eu de signalement d'un « conflit d'intérêts ».
Mais revenons à Mme Sandrine Leblond.
C'est – premier motif de la décision évoqué – « [p]our éviter toute polémique »... Nous ne jetterons pas la pierre à celui qui a ou ceux qui ont pris cette décision, connaissant les dégâts que peuvent causer une « polémique ». Mais on ne peut que regretter cette retraite en rase campagne qui donne raison aux fauteurs de troubles.
Il y en a davantage sur le fil... (Source)
Il est difficile de croire, d'une part, que Mme Sandrine Leblond ait caché son activité professionnelle aux organisateurs et, d'autre part, à supposer l'invraisemblable, que ceux-ci n'aient pas cherché à en savoir plus sur une conférencière potentielle. « Pour éviter toute polémique... », ont-ils dit...
La lecture du fil dont les premiers éléments sont reproduits ci-dessus laisse entendre que la polémique aurait été virulente. Elle aurait tout aussi bien été vaine et dérisoire, confinée à un silo de « bien-pensants ». Un quarteron de rouspéteurs aurait fait du tohu-bohu sur Twitter, comme ils l'ont fait en août et septembre dernier quand était diffusé le programme de la Fête de la Science d'octobre dernier.
Car oui, c'est bis repetita, mais avec une issue différente.
Le tweet supprimé (voir plus haut)
Le programme tel qu'il s'établissait avant la funeste décision
Les chasseurs de « conflits d'intérêts » avaient alors reçu un soutien appuyé de MM. Stéphane Foucart et Stéphane Mandard qui signèrent un « Quand un groupe chimique s’invite à la Fête de la science pour parler des abeilles » pathétique du point de vue de la déontologie journalistique (comparez le titre et la citation ci-dessous...).
À l'époque, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, sponsor de l'événement, avaient répondu ceci aux brillants chasseurs et dénonciateurs de conflits d'intérêts du Monde :
« La personne participant à cet évènement a bien indiqué l’entreprise pour laquelle elle travaille, mais le nom de cette entreprise n’a pas été mentionné dans le programme car la personne intervient en son nom personnel en tant qu’experte (elle est apicultrice et ingénieure agronome), sans aucun lien avec l’entreprise pour laquelle elle travaille […] Pour une complète information de tous, le nom de l’entreprise en question va être précisé dans le programme. »
On avait donc aussi cédé à une chasse aux sorcières, ce qui a permis aux deux Stéphane de pavoiser : il y avait quelques jours avant l'événement deux versions du programme, l'une avec et l'autre sans la mention de BASF.
Et Mme Sandrine Leblond a fait sa présentation le 2 octobre 2021...
(Source)
Il y eut un commentaire acide (voir ci-dessus)...
Et on peut supposer que la présentation a été tellement intéressante que les organisateurs de Lyon Science jugèrent pertinent d'en organiser un bis.
Un bis qui n'aura pas lieu...
La déprogrammation intempestive, suivie d'une sorte de syndrome de Stockholm, n'est certes qu'un événement mineur. Mais il est symptomatique d'un problème de plus grande ampleur.
(Source)
(Source)
On peut adapter ici un aphorisme d'Albert Einstein :
Le monde est dangereux à vivre non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.
Générations Futures n'est pour rien dans cette affaire. Mais le rapprochement est opportun.
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