Pesticides : passer une lingette sur la vitre... et hop, l'enfumage de Générations Futures
(Source)
La petite entreprise Générations Futures, incorporée sous forme d'association loi 1901, a produit un nouveau « rapport », EXPORIP, pour « exposition des riverains aux pesticides ».
Rappelons que le 19 octobre 2021, Santé Publique France et l'ANSES ont lancé PestiRiv, « [u]ne étude inédite sur l’exposition aux pesticides des personnes vivant en zone viticole », avec des mesures réalisées auprès de 3.350 personnes dans 6 régions françaises permettant à terme d’identifier de manière objective les sources qui contribuent le plus à l’exposition aux pesticides et d’adapter les mesures de prévention. Ce fut dans un assourdissant silence médiatique, si l'on excepte les titres agricoles et cartains locaux, ainsi que la presse militante, de connivence, qui s'était empressée de relayer les critiques de l'activisme anti-pesticides.
Il est vrai que c'était le lancement d'une opération de grande envergure qui devrait fructifier en 2024... pas encore de quoi alimenter par des résultats l'industrie de la contestation et de l'indignation.
Au contraire de ce nouvel opus de Générations Futures.
Le dispositif adopté pour une opération « participative » était plutôt ingénieux : des participants – lire sans aucun doute : des amis de Générations Futures – ont essuyé des vitres avec des lingettes qui ont ensuite été analysées pour la présence de 30 pesticides autorisés uniquement pour des usages agricoles parmi les plus utilisés en France (pas le glyphosate, qui nécessite des tests particuliers, ni les dérivés du cuivre... autorisés en agriculture biologique). Les résultats ont ensuite été associés à des réponses à un questionnaire sur les cultures environnantes et leurs distances des vitres essuyées.
Les analyses ont été réalisées par Yootest, « le spécialiste de la Qualité de l'Air Intérieur (QAI) », qui, soit dit en passant, s'est ainsi payé une publicité à bon compte. Selon certains articles des médias, il est – évidemment – « indépendant ».
Un assez volumineux « rapport » a été établi. Mais il n'y a pas de quoi s'emballer : il est de la nature du Canada Dry par rapport à la boisson plus corsée...
Car tout repose sur... 58 prélèvements ! Autrement dit, pas grand-chose sinon rien.
Mais cela n'a pas empêché les auteurs de présenter des « résultats » avec des pourcentages à une décimale et, surtout, de tirer des enseignements. Compte tenu de la faiblesse des effectifs, leur valeur est quasi nulle. Mais suffisante pour l'enfumage.
Générations Futures écrit par exemple sur la page Web dédiée, « Des riverains exposés aux pesticides jusqu’à 100 mètres et plus de la zone d’épandage la plus proche ! » :
« 79,3% des prélèvements analysés présentent au moins un résidu de pesticide! »
C'est 46 échantillons sur 58. Mais, bien sûr, rien de précis ne nous est dit ici sur ce qui a été trouvé. L'aiguille du chromatographe a tressauté – franchi la limite de détection –, et hop ! +1 au compteur des mauvaises nouvelles qui sont d'excellentes nouvelles pour Générations Futures.
C'est ce que montre le tableau 1 du « rapport » reproduit ci-dessous.
Ce tableau comporte 15 entrées. Cela signifie qu'il n'y a pas eu de détection pour la moitié des pesticides analysés. Cette information est donnée dans la littérature de Générations Futures pour le grand public, mais à un endroit un peu incongru... pas bon pour la fabrique de la peur et de l'indignation.
Notons l'incongruité des percentiles pour des échantillons de taille aussi faible. Avec 16 échantillons pour les fenêtres à « plus de 101 m de la première culture », la valeur est théoriquement celle qui départage les 1,6 échantillons les plus « chargés » des autres. Mais ils ont l'avantage de montrer que les quantifications ne concernent que les tranches supérieures des échantillons.
Par ailleurs, les auteurs n'ont pas hésité à faire des sommes incluant des valeurs numériques inférieures aux limites de quantification. Nous avons comme un doute et une interrogation...,
Selon nos pointages, la limite de quantification a été dépassée dans environ 3 % de mesures et des détections en dessous de cette limite ont été enregistrées pour 5 % des mesures, essentiellement là où elles étaient prévisibles (aux abords des vignes et des vergers).
On assiste ainsi à une tentative de déshonneur par association : toute l'agriculture, indistinctement, est mise en cause, grâce à l'accent mis sur les vignes (18) et vergers (12).
Il va de soi aussi, qu'une détection ou une quantification ne signifie pas que les riverains sont exposés en permanence à un pesticide mais qu'il l'ont été sur une courte durée – à supposer qu'ils aient assisté en spectateur au traitement.
Les valeurs mesurées – quand on a pu le faire – ne nous apprennent rien ou pas grand-chose sur l'exposition réelle des personnes. À quoi correspondent des nanogrammes par mètre carré de vitre en termes d'exposition des humains à des pesticides ? Ou à n'importe lequel des polluants atmosphériques ? Personne ne le sait à notre connaissance.
L'agriculteur a effectué un traitement... Il y a eu dérive ou volatilisation (voire projection directe dans le cas notamment d'un échantillon présentant de l'amétoctradine à un niveau extraordinairement élevé)... Une partie de la matière active s'est déposée sur la vitre et y est resté collée jusqu'à ce qu'elle ait été « récoltée » par la lingette, et avant qu'elle n'ai été dégradée. Et ?
Le plus intéressant est ceci :
« La distance aux cultures influence ce pourcentage d’occurrence. Ainsi entre 95 % (fenêtre à moins de 21 m) 90% (fenêtre entre 20 et 100 m des cultures) et 50,0% (fenêtre à plus de 101 m des cultures) des échantillons présentent au moins un résidu de pesticide. »
Il y avait par exemple 19 fenêtres « à moins de 20 m de la première culture » (on supposera que les participants auront pu mesurer les distances avec suffisamment de précision).
On peut applaudir ! Les vitres chez ma grand-mère, qui habitait en bord de route, étaient régulièrement plus sales que les nôtres, qui vivions à l'écart...
Il semble que, pour les distances par rapport aux premières cultures, on ait perdu deux échantillons...
On se fera grâce de la suite de la gesticulation, pour arriver directement au bouquet final :
« "Ces premiers résultats plaident donc pour la mise en place de zones sans traitement réellement efficaces, bien plus larges que les 5 à 10 m prévus actuellement. La distance de 100 m, demandée par Générations Futures et de nombreuses ONG depuis longtemps, semble bien avoir un effet très net sur la baisse de l’exposition aux pesticides." déclare François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.
"Générations Futures demande au gouvernement, qui doit réécrire partiellement les textes sur l’utilisation des pesticides suite au récent jugement du conseil d’Etat, de prendre en compte cette situation afin de renforcer les distances trop faibles actuellement en place." Ajoute t’il. »
Ben voyons !
Admirez le titre de l'article dans sa version électronique, « Pesticides : une étude suggère de fixer les distances minimales d’épandage à plus de 100 mètres des habitations », publié le 25 novembre 2021 – comme le billet de Générations Futures – à 00h00 – a priori pas comme Générations Futures...
En chapô :
« Une campagne de prélèvements menée par l’association Générations futures remet en cause les distances (de 3 à 20 mètres) fixées par le gouvernement pour protéger les riverains. »
La version papier datée du 26 novembre 2021 est plus mesurée (« Pesticides : les riverains restent exposés » et « Des mesures montrent que les distances d'épandage retenues par le gouvernement ne protègent pas des résidus »).
Mais comment peut-on être aussi péremptoire ? Réponse : c'est le Monde, pages Planète, des Stéphane...
Allez ! On vous livre la mise en route :
« Voilà une nouvelle étude dont les résultats risquent de relancer le débat explosif sur l’exposition aux pesticides des riverains des zones agricoles. Ils confirment en effet, sur le terrain, que les distances minimales d’épandage retenues par le gouvernement (3 mètres, 5 mètres, 10 mètres et plus exceptionnellement 20 mètres) sont largement insuffisantes pour les mettre à l’abri. A l’initiative de l’association Générations futures, une campagne participative de mesure de pesticides dans l’air (Exporip) a été organisée entre avril et octobre aux domiciles de 58 volontaires, répartis dans 26 départements. Elle a permis d’obtenir 58 échantillons à partir d’une méthode originale : un prélèvement sur la vitre du logement, à l’aide d’une lingette. L’analyse des échantillons a été confiée au laboratoire indépendant Yootest. »
Quelques autres médias se sont intéressés à la question, tous avec le même manque de recul.
Libération se distingue par un jeu de mots en titre, « Distances d’épandage : les pesticides frappent à la fenêtre » (réservé aux abonnés) et trouve que « l’association de défense de l’environnement confirme [...] que les fameuses distances minimales d’épandage des pesticides […] ne sont pas suffisantes pour garantir la sécurité des riverains [...] ».
Insistons : la sécurité des riverains est en cause dès lors que l'on trouve des résidus de pesticides accrochés à leurs fenêtres...
L'Info Durable emploie un titre neutre, « Générations futures veut renforcer les zones d'épandage » et nous apprend à cette occasion qu'il y a eu une dépêche de l'Agence France-Presse. Et indirectement que la mayonnaise gesticulatoire a eu du mal à monter, beaucoup de médias n'ayant pas repris l'« information ».
Avec « Des riverains exposés à plus de 100 mètres des cultures », Que Choisir – compagnon de route de Générations Futures dans des opérations de pétitions – fait dans la surenchère. Il conclut sur l'étude EXPORIV de Santé Publique France et de l'ANSES : :
« Malheureusement, les résultats finaux ne sont pas attendus avant 2024, alors qu’il y a urgence et que de nombreuses personnes sont gravement impactées chaque jour ! »
Mais c'est le Parisien qui décroche le pompon, avec un titre nauséabond : « "On se fait gazer sans le savoir" : Florence ne regarde plus les pommiers de son enfance du même œil ». Non, le verbe à l'infinitif – qui renvoie à une des périodes les plus sombres de notre histoire – n'a choqué personne à la rédaction. Le titreur l'a même trouvé suffisamment putaclic pour retenir la citation.
En chapô :
« Domiciliée dans un petit village du Tarn, cette jeune mère de famille s’inquiète des différents produits utilisés par les agriculteurs en charge des vergers autour de chez elle. »
Mais qui est cette Florence, qui fut une oie blanche en matière de pesticides jusqu'à ce qu'elle a découvert Générations Futures et son opération ExpoRip ?
« "Franchement, je n’avais pas conscience du danger qu’ils représentaient" soupire-t-elle aujourd’hui », écrit avec aplomb le Parisien. C'est à croire que le Tarn – ou le village d'Ambres – a été placé auparavant sous une bulle qui l'a isolé des controverses sur les dangers des pesticides...
Ajoutons encore :
« Après avoir subi un traitement de choc (baignée dans des solvants, bombardée d’ultrasons, centrifugée) dans le laboratoire Yootest, la lingette de Florence a révélé la présence de deux molécules : "Du fluopyram, un fongicide utilisé notamment contre la tavelure du pommier et le métolachlore, un pesticide organochloré, un désherbant, pourtant interdit en France depuis 2003"» rapporte celle qui s’intéresse désormais de près aux produits phyto. »
Le S-métolachlore interdit ? Première nouvelle ! Mais tout est bon pour susciter l'indignation.
Alerte Environnement a vendu la mèche avec « Dans "Le Parisien", "Florence" la communiquante joue à la Française lambda » :
« [...] Florence Millet, attachée de presse et militante anti-phyto bien connue du Tarn. Tendance bien radicale, rien à voir avec Madame-tout-le-monde. Sur son site, elle se vante de "bien connaître les médias, leurs exigences et impératifs pour construire une stratégie pérenne, sur-mesure et percutante au service de la communication des entreprises et institutions". En l’espèce, Générations Futures and Co. Belle opé de com’, "Florence", bravo, on ne connaît pas vos tarifs, mais on recommande quand même ! »
Et actu.fr nous apprend que Mme Florence Millet est membre du collectif Respirons 81 qui fut particulièrement remonté contre l'exploitant de « 323 hectares de vergers industriels situés à 800 mètres environ de [s]a maison » – « industriels », forcément industriels – quand celui-ci fit brûler de la paille mouillée pour lutter contre le gel au printemps dernier.
En fait, Mme Florence Millet était déjà connue de la rédaction du Parisien ! Dans « Dans le Tarn, une action en justice contre les feux antigel allumés dans les vergers », elle y est même présentée comme une des fondatrices de Respirons 81.
Le 26 juillet 2021, le Conseil d'État avait ordonné que les règles d’utilisation des pesticides – lire essentiellement : les « zones non traitées » – soient complétées, dans un délai de six mois, « pour mieux protéger la population » (communiqué de presse : décision).
Le gouvernement travaillant actuellement à la réécriture des textes en cause, l'objectif de la manœuvre est clair : peser sur les décisions avec un « rapport », certes indigent, mais qui a le mérite de susciter l'émotion... cela peut faire la différence dans certains bureaux ministériels.
Et, comme le montre l'opération « Parisien », tous les coups sont permis au su ou à l'insu du plein gré de Générations Futures.
Actu Environnement écrit dans « Pesticides : Générations futures montre le besoin d'augmenter les distances d'épandage » :
« Un rapport de synthèse de l'étude "Exporip" et de ses conclusions a été transmis aux ministères compétents, à l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ainsi qu'à Santé publique France. Générations futures et Yoostep prévoient, d'ores et déjà, de renouveler leur enquête en 2022, afin "d'évaluer l'évolution des niveaux relevés et de donner plus de puissance statistique à (leurs) résultats". »
Renouveler l'enquête ? Il faut bien alimenter le fond de commerce...