Néonicotinoïdes : l'EFSA fait la preuve de la chienlit réglementaire européenne
C'est un formidable télescopage.
D'un côté, l'entreprise suisse Public Eye incorporée sous forme d'association, pas vraiment petite (5,7 millions de francs suisses de recettes en 2018), gesticule sur les exportations de néonicotinoïdes par des entreprises européennes vers des pays tiers avec un texte non daté (mais du 18 novembre 2021), « L’UE exporte des milliers de tonnes de "tueurs d’abeilles" interdits sur son sol ».
L'« information » est complaisamment relayée, le même jour, par des médias amis, tels le Monde – en l'occurrence de M. Stéphane Mandard – avec « L’Europe exporte des milliers de tonnes de pesticides "tueurs d’abeilles" pourtant interdits sur son sol », ou encore FranceTVInfo avec « https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/neonicotinoides-long-suisse-public-eye-alerte-sur-une-situation-d-hypocrisie-politique_4849711.html ».
De l'autre, l'Agence Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) publie un communiqué de presse, adossé à une kyrielle de rapports, « Néonicotinoïdes : l'EFSA évalue les utilisations d'urgence sur la betterave sucrière en 2020/21 ».
Ce fut, bien sûr, dans un silence médiatique assourdissant, à l'exception bien entendu de la presse agricole, ainsi que d'Ouest France qui a titré, à notre sens maladroitement : « Abeilles. La réintroduction de néonicotinoïdes "justifiée", estime l’agence européenne de l’EFSA ». Maladroitement car les abeilles ne sont pas réellement en cause, s'agissant de l'utilisation de néonicotinoïdes en enrobage des semences essentiellement (et en France exclusivement) de betteraves.
En résumé :
« Les évaluations portent sur 17 autorisations d'urgence pour des produits phytopharmaceutiques contenant de la clothianidine, de l'imidaclopride, du thiaméthoxame et du thiaclopride, accordées par l'Allemagne, la Belgique, la Croatie, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, la Lituanie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie.
[…]
En 2020, la Commission européenne avait demandé à l'EFSA d'évaluer si les autorisations d'urgence accordées par les États membres étaient justifiées en raison d'un danger pour les cultures "qui ne pourrait être contenu par aucun autre moyen raisonnable", conformément au règlement de l'UE sur l’utilisation de produits phytopharmaceutiques.
Dans les 17 cas, l'EFSA a conclu que les autorisations d'urgence étaient justifiées, soit parce qu'aucune méthode ou produit alternatif – chimique ou non chimique – n'était disponible, soit parce qu'il existait un risque que l'organisme nuisible développe une résistance aux produits alternatifs disponibles. »
S'agissant de l'évaluation de la décision française, le rapport est ici. En voici le résumé (découpé) :
« La Commission européenne a demandé à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de fournir une assistance technique conformément à l'article 53, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1107/2009 afin d'examiner les autorisations d'urgence accordées en 2021 par l'autorité nationale compétente en France pour les produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives néonicotinoïdes (a.s.) clothianidine, imidaclopride ou thiaméthoxame pour des utilisations sur la betterave sucrière qui ont été restreintes lorsque toutes les utilisations extérieures ont été interdites en mai 2018. Il a été demandé à l'EFSA d'évaluer si l'octroi de cette autorisation d'urgence et sa large portée étaient nécessaires en raison d'un danger qui ne peut être contenu par aucun autre moyen raisonnable.
Dans ce contexte, l'EFSA a recueilli et évalué les informations relatives à l'autorisation d'urgence de l'imidaclopride et du thiaméthoxame en France, conformément au protocole insecticide de l'EFSA élaboré dans le cadre d'un mandat concernant l'application de l'article 4, paragraphe 7, du règlement (CE) n° 1107/2009.
L'évaluation a démontré que pour les organismes nuisibles examinés (Aphis fabae, Aulacorthum solani, Macrosiphum euphorbiae, Myzus ascalonicus et Myzus persicae) vecteurs du virus de quarantaine BYV (virus de la jaunisse de la betterave), aucune substance active alternative aux néonicotinoïdes n'est actuellement autorisée en France sur la betterave sucrière pour le traitement des semences.
Les applications par pulvérisation foliaire contre les pucerons vecteurs du BYV ne peuvent pas être considérées comme une méthode alternative suffisante au traitement des semences, car elles ne permettent pas de contrôler la prolifération précoce des pucerons.
L'évaluation comprenait une évaluation des alternatives non-insecticides pour les utilisations présentées. Sept méthodes non chimiques sont disponibles, mais elles ne sont que modérément efficaces.
Pour cette raison, l'EFSA a conclu, en considérant la méthodologie du protocole insecticide de l'article 4(7) de l'EFSA, que les autorisations d'urgence étaient scientifiquement soutenues. »
Ce n'est qu'un exemple (source)
M. Yannick Jadot, auteur de nombreux gazouillis critiques envers la décision gouvernementale et péremptoires s'agissant de l'existence de « solutions alternatives » n'a semble-t-il pas été disponible pour commenter l'avis de l'EFSA. Trop occupé, sans doute, par sa campagne électorale...
Un gazouilleur a écrit que cette « chose » se serait faite en toute discrétion.
(Source)
En fait de discrétion, il s'agit de celle des médias et des réseaux sociaux qui se sont plutôt rués sur l'indignation suscitée par Public Eye et son compère britannique Unearthed (une filiale de Greenpeace).
Une indignation qui, évidemment, ne pouvait pas se marier avec le constat que des néonicotinoïdes sont indispensables pour une culture productive de betteraves à sucre (et de quelques autres espèces) et pour combattre un virus « de quarantaine ».
En dernière analyse, ce nouvel épisode de la saga des néonicotinoïdes en Europe démontre la chienlit qui règne au niveau européen s'agissant de l'homologation des produits phytosanitaires.
En particulier sous la pression de la France – meilleur élève de la classe – l'Union Européenne a fini par interdire tous les usages extérieurs des néonicotinoïdes et limiter drastiquement les usages en serre.
C'était sur la base d'un rapport d'évaluation de l'EFSA qui prêtait le flanc à une telle décision : le problème récurrent du « tel ou tel effet indésirable n'a pas pu être exclu », prélude à l'application malavisée d'un « principe de précaution » mal interprété, le tout sous la pression de puissants manœuvriers.
Et, quelque temps après, les États membres ont rectifié le tir en accordant des dérogations de 180 jours comme le permet la réglementation européenne.
En France – meilleur élève de la classe – il a fallu passer par la case Parlement pour, non pas abroger une disposition législative stupide, mais l'assortir d'une possibilité de dérogation limitée dans le temps (qu'il faudra sans dout renouveler bientôt... on s'amuse comme on peut...).
Du coup on peut s'interroger : l'interdiction n'a-t-elle pas obtenu la majorité nécessaire – « politiquement » et médiatiquement correcte – parce que l'on pouvait faire entrer par la fenêtre les néonicotinoïde qu'on avait mis à la porte ?
Plus important encore, ces rapports de l'EFSA mettent à mal un dispositif réglementaire qui s'attarde sur les dangers – même pas les risques, lesquels sont susceptibles de faire l'objet de mesures de prévention et de mitigation – et néglige la notion de bénéfice-risque.
Les leçons seront-elles apprises ? On peut en douter.