La Commission européenne consulte sur les « OGM » et « NGT »... les Verts/ALE du Parlement européen saBOTent
André Heitz*
(Source)
La Commission européenne a organisé une consultation sur la « législation applicable aux végétaux produits à l’aide de certaines nouvelles techniques génomiques ». Elle s'est close le 22 octobre 2021. Les Verts/ALE du Parlement européen ont mis en place un système de contributions panurgiques pour s'opposer à toute réforme.
Pour un esprit rationnel, la réglementation européenne des « organismes » (plantes) génétiquement modifiées (OGM) est un désastre. La directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement et abrogeant la directive 90/220/CEE du Conseil est devenue un obstacle à toutes les activités liées aux OGM, quasiment depuis la recherche fondamentale jusqu'aux applications économiques.
Il y a deux exceptions : le maïs MON810, résistant à la pyrale et à la sésamie a bénéficié de trous dans la raquette politique (politicienne) et est cultivé en Espagne et sur quelques centaines d'hectares au Portugal ; les importations de produits issus de plantes transgéniques, puisqu'il faut bien nous nourrir et alimenter notre bétail, et aussi se conformer aux règles du commerce international.
La situation s'est aggravée avec deux décisions judiciaires malencontreuses.
D’une part, la Cour de Justice de l’Union européenne a jugé le 25 juillet 2018 (communiqué de presse ; arrêt ; article sur Contrepoints), en bref, que les organismes obtenus par mutagenèse constituent des OGM et sont, en principe, soumis aux obligations prévues par la directive... mais que :
« les organismes obtenus par des techniques de mutagenèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps sont exemptés de ces obligations ».
D'autre part, le Conseil d'État français, sur la foi de plaidoiries fallacieuses pour les unes, probablement insuffisantes pour les autres, a décidé le 7 février 2020 que devaient également être soumises aux procédures d’autorisation, etc. les variétés issues d’une mutagenèse aléatoire in vitro (communiqué de presse ; décision ; analyse dans Contrepoints ici et ici).
Il y a deux os avec la décision du Conseil d'État. D'une part, elle implique de caractériser a posteriori des variétés bien établies (en particulier des colzas et tournesols rendus tolérants à des herbicides) comme des OGM réglementés – ce qui reviendrait à les retirer de la circulation, comme l'exigent la Confédération paysanne et d'autres entités anti-OGM ; d'autre part, des États membres et, plus mollement la Commission, ont signalé leurs objections aux intentions réglementaires proposées par le gouvernement français pour donner application à la décision du Conseil d'État.
La FNAB occulte le fait que l'agriculture biologique utilise aussi des variétés qui sont, à ses yeux, des « OGM cachés »... mais chut ! (Source)
La Commission se devait donc d'agir, y compris et surtout sur le problème plus général des variétés issues des nouvelles « techniques d'édition de gènes » comme l'emblématique système CRISPR/Cas-9 qui valut le prix Nobel à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna.
Nous avons décrit les méandres de la procrastination et des décisions s'assimilant à des manœuvres dilatoires de la Commission et des États membres dans « Techniques génomiques : l’Union européenne tresse une couronne mortuaire ».
La Commission a finalement produit une « analyse d'impact initiale » de cinq pages et lancé une consultation du public d'une durée d'un mois qui s'est terminée le 22 octobre 2021.
En résumé :
« Cette initiative vise à proposer un cadre juridique applicable aux plantes obtenues par mutagénèse ciblée et par cisgénèse ainsi qu’aux produits destinés à l’alimentation humaine et animale qui contiennent de telles plantes. Elle se fonde sur les conclusions d’une étude de la Commission concernant les nouvelles techniques génomiques.
L’objectif est de maintenir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale ainsi que de l’environnement, de permettre l’innovation dans le système agroalimentaire et de contribuer aux objectifs du pacte vert pour l’Europe et de la stratégie "De la ferme à la table". »
En encore plus résumé : dites-moi ce que je dois faire ! Mais la balance penche tout de même vers un assouplissement, en fait un retour dans le réel.
Le site et l'analyse d'impact initiale sont très évasifs sur les techniques en cause. La « mutagenèse ciblée » recouvre les techniques les plus récentes faisant appel à des outils comme CRISPR/Cas-9 et permettant de supprimer, modifier ou ajouter une courte séquence dans un gène. La cisgenèse consiste à ajouter dans le génome d'une plante un gène prélevé sur une autre plante de la même espèce ou d'une espèce voisine pouvant se croiser avec la première.
La Commission a mis en place un mécanisme simple de contribution : on pouvait s'enregistrer en répondant à des questions basiques sur son identité, et l'outil envoyait un courriel de confirmation à l'adresse mail indiquée, ouvrant une fenêtre de 24 heures pour poster une contribution. Le système n'était pas entièrement étanche mais limitait les fraudes.
Les Verts/ALE du Parlement européen ont quant à eux mis en place un outil de réponse préformaté en quatre langues (français, allemand, anglais et italien) :
« On vous facilite la tâche : il vous suffit de remplir le formulaire et nous veillerons à ce que votre commentaire parvienne à la Commission européenne. »
Colonne de gauche, un texte de propagande anxiogène, complotiste et ridicule à souhait. Par exemple :
« Les entreprises de l'agro-business veulent introduire en douce des aliments génétiquement modifiés dans nos champs et nos assiettes, en prenant le prétexte de “nouvelles techniques génomiques”. L’industrie prétend que ces nouvelles techniques ne produisent pas d'organismes génétiquement modifiés (OGM) et qu'elles devraient être exclues de la réglementation européenne sur les OGM.
Mais en réalité, les semences produites à l'aide de nouvelles techniques de modification génétique comme CRISPR/Cas sont fondamentalement différentes des semences non génétiquement modifiées. Elles sont potentiellement dangereuses pour l'environnement et notre santé, et n'ont pas leur place dans une agriculture respectueuse de la nature. »
Colonne de droite, un gabarit de réponse avec des textes prérédigés, modifiés lors des rafraichissements de la page. Par exemple :
« La réglementation européenne sur les OGM doit s'appliquer à tous les organismes génétiquement modifiés (OGM), qu'ils soient issus d'anciennes technologies ou de "nouvelles techniques génomiques" - une dérégulation, même partielle, viendrait porter un préjudice grave à la liberté de choix des citoyens et des paysans.
Les cultures génétiquement modifiées font partie intégrante d'un modèle agricole désastreux qui repose sur l'utilisation massive de produits chimiques qui menacent notre santé et les écosystèmes. Dans les pays où les cultures OGM sont pratiquées, elles ont causé des dommages à l'environnement et à la santé des personnes. Elles ne devraient pas être cultivées dans l'UE ni ailleurs. »
Notez l'incohérence délirante des positions promues : les OGM ne devrait être cultivé nulle part, ce qui met en échec « la liberté de choix des citoyens et des paysans »...
Amateurisme ou volonté de tromper, un texte en petits caractères faisait référence à une éventuelle publication du nom de l'auteur et de la contribution :
« Votre nom et votre message peuvent être publiés sur le site web de la Commission européenne. La Commission stockera vos données conformément à ses propres dispositions en matière de protection des données personnelles. »
En fait le nom et le message apparaissaient bel et bien sur le site de consultation de la Commission européenne quelques minutes après l'envoi.
L'outil a permis d'inonder le site de la Commission avec des réponses standards, en contournant le mécanisme de limitation des fraudes.
Jules César – JulesCésar@Capitolium.it – a répondu en retard et sa contribution est peut-être parvenue à la Commission [voir le complément ci-dessous] (la partie « contribution » du programme a maintenant été désactivée, mais on peut s'inscrire pour recevoir la Bonne Parole).
Le programme invitait aussi Jules César à diffuser le « bon » message sur les réseaux sociaux.
Bien sûr, les Verts/ALE et les organisations qui ont repris le dispositif ont pu collecter des informations personnelles et, le cas échéant, recruter des adeptes.
À la clôture de la consultation, il y avait 70.894 contributions, à comparer aux 120 sur la « Protection du milieu marin — révision des règles de l’UE » qui s'était terminée le 21 octobre 2021, la veille.
Selon les statistiques, 46 % et 36 % de ces réponses provenaient d'Allemagne et de France, respectivement. Suivent la Belgique, l'Autriche et les Pays-Bas avec 3 % chacun. Preuve est ainsi faite de l'extraordinaire manipulation de l'opinion par les organisations anti-OGM, et des personnalités comme des eurodéputés, qui se sont livrées à de grosses campagnes de mobilisation.
« Rédigez votre propre contribution » ? Copiez-collez ! (Source)
Si l'on considère les 100 dernières contributions – la dernière étant de Saint Louis Sucre – les avis favorables à un assouplissement de la réglementation se comptent sur les doigts d'une main. Certaines sont anonymes, ce qui pointe vers un autre effet de la campagne : l'intimidation des « mal pensants ».
La Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, signée le 25 juin 1998 par 39 États, a été présentée par nombre de commentateurs comme un pilier de la « démocratie environnementale ».
C'est au contraire un formidable cadeau au monde alter et anti, un cheval de Troie pour qui est disposé à utiliser ses mécanismes sans scrupules. Les opposants à la science prométhéenne et aux technologies de progrès en ont fait un instrument de leur totalitarisme.
Un groupe politique du Parlement européen, les Verts/ALE, vient de nous en faire la démonstration éclatante avec un « bot », un programme informatique qui effectue des tâches automatisées. Ils ont saBOTé la démocratie.
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* André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.
Une version de cet article a été publiée dans Contrepoints.
M. Erwan G. a essayé de troller le site de Greenpeace. Sa contribution – en faveur de la révision des textes et procédures n'a pas été publiée sur le site de la Commission – lire : n'a pas été transmise... lire : a été censurée.
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