Stratégie européenne « de la ferme à... », quoi donc ? Trois articles ravageurs dans l'Opinion
Glané sur la toile 892
Le 1er octobre 2021, l'Opinion a publié trois articles ravageurs, sous la plume de Mme Emmanuelle Ducros, sur la stratégie – ou faut-il écrire « stratégie » avec des guillemets d'ironie et de doute ? – de l'Union Européenne « de la ferme à la fourchette » (farm to fork), laquelle se combine notamment avec une « stratégie » « biodiversité pour 2030 ».
(Source)
Mme Emmanuelle Ducros écrit en introduction de « Stratégie agricole: un suicide européen » :
« La stratégie agricole européenne à 2030, appelée Farm to fork, découle de la volonté de parvenir à la neutralité carbone en 2050. Elle consiste, entre autres, à pousser à 25 % la part de l’agriculture biologique, à ramener à zéro les importations de soja, à baisser de moitié les usages de pesticides et d’antibiotiques vétérinaires, de 20 % les épandages d’engrais, et à diminuer de 10 % les surfaces cultivées sur le continent. Economistes, agriculteurs, spécialistes de la géopolitique tirent la sonnette d’alarme. C’est un sacrifice économique à l’échelle du continent pour des effets environnementaux nuls, voire pire ! »
Une fois les présentations des divers avertissements et études faites, elle s'est lancée dans une longue et lancinante litanie de chiffres.
La dernière étude mise sur le marché médiatique, de chercheurs de l'Université de Kiel, est encore plus catastrophiste que les analyses du Département Américain de l'Agriculture et du Centre Commun de Recherche (JRC) de la Commission Européenne. Celle du JRC est tellement dérangeante que la Commission l'a publiée en catimini juste avant le grand départ pour les vacances estivales.
J'en connais au moins un qui a posé une question assassine...
(Source)
Mais rassurez-vous... Le document du JRC n'est pas une étude d'impact ; le Commissaire à l'Agriculture, Janusz Wojciechowski, répète : ce n'est pas une étude d'impact. Dormez tranquilles, braves gens : la catastrophe annoncée n'est pas certaine...
(Source)
Relevons ce commentaire :
« Soviet suprême. Pour Yves Madre, économiste et responsable du think tank bruxellois FarmEurope, "c’est un plan digne du Soviet suprême. On fixe des objectifs et ensuite, cela doit devenir ce qu’on a décidé. Pour la com’, c’est attrayant. Mais personne ne s’est demandé si c’était crédible, si cela nourrirait les citoyens européens. Qui peut se permettre de payer son alimentation 10 % à 15 % plus cher ? 75 % à 80 % de la population européenne n’en ont pas les moyens ! Et qui peut accepter qu’il y ait une alimentation à deux vitesses, avec du local pour les riches, et de l’importé pour les pauvres ? On ne va pas créer un système européen de l’assistanat alimentaire… D’autant que cela financera d’autres agricultures, les études ne prennent pas en compte l’appel d’air qui sera créé en Europe pour les productions à prix compétitif venu d’ailleurs." »
Un autre personnage est interrogé. Il semble conscient de l'énormité de la « cagade », mais se doit de rester politiquement correct, surtout en cette période pré-électorale :
« Clauses miroir. Que faire maintenant que ce constat catastrophique est là ? Pour Julien Denormandie, le ministre français de l’Agriculture, "il ne faut pas prendre Farm to fork pour autre chose qu’une feuille de route politique, qui doit encore être traduite en lois, pendant deux ou trois ans. Il va falloir être vigilants dans l’application, sur les moyens mis en œuvre. Les enjeux sont importants." »
En fait, il y aurait une autre réponse, plus rationnelle : « Press delete » et « Reboot »... Mais ce sera dur, même pour un ministre compétent et réaliste, tant son « patron » a joué sur les ambiguïtés et les calculs politiciens.
Espérons que ne se réalisera pas, au cours des six mois de présidence de l'Union Européenne par la France, l'aphorisme qui faisait les délices – entre gens se faisant confiance – des Genossen de l'ex-République Démocratique Allemande : « Letztes Jahr standen wir noch vor dem Abgrund... Dieses Jahr sind wir einen großen Schritt weiter! » – l'année dernière, nous étions encore au bord de l'abîme... Cette année, nous avons fait un grand pas en avant !
Pas sûr que les assiettes soient aussi bien garnies si la stratégie est mise en œuvre (source)
C'est plutôt une affirmation : « L’Amérique prête à se substituer à l’Europe pour nourrir la planète ».
En fait, ce sont les États-Unis d'Amérique et d'autres pays exportateurs de produits agricoles selon la terminologie consacrée (il s'agit en grande partie de produits alimentaires) qui sont prêts ; d'autres pays que M. Tom Vilsack, Secrétaire à l'Agriculture, a déjà commencé à rameuter :
« C’était à Florence, le 18 septembre, lors de la rencontre des ministres de l’Agriculture du G20. The Fence Post, un magazine américain spécialisé dans les questions agricoles, rapporte les propos tenus par le secrétaire d’Etat a l’Agriculture à des reporters au cours d’une conférence téléphonique : Tom Vilsack explique être en train d’essayer de rallier une coalition de pays autour des Etats-Unis pour faire croître leurs productions agricoles, afin de "contrer" la stratégie européenne Farm to fork. Il dit craindre la réduction de la productivité mondiale si d’autres pays que l’Europe adoptent une voie similaire à celle du plus important exportateur agricole du monde. »
Ce que l'USDA pense de F2F (source – page principale)
Nous marquerons cependant notre désaccord sur le chapô :
« Le retrait de l’Europe de la scène agricole mondiale, que risque de provoquer la stratégie "Farm to fork" de Bruxelles, se traduira par le remplacement de nos productions par d’autres, moins vertueuses environnementalement et socialement ».
Il n'est pas du tout dit que les productions de ces pays soient moins vertueuses. Il serait judicieux de sortir des raisonnements binaires fondés principalement sur l'idée que le plus vertueux des itinéraires techniques est nécessairement celui qui utilise le moins de pesticides et d'engrais – de synthèse évidemment. Ou que la production brésilienne implique nécessairement une déforestation.
Notons aussi que « counter », traduit par son équivalent le plus courant, a aussi le sens de « pallier », « compenser », « contrebalancer ».
Cet article revient aussi, avec force, sur l'irresponsabilité de la stratégie. Notamment :
« Paradoxe : la population européenne pourrait être supérieure de 200 à 300 millions d’habitants à celle d’aujourd’hui, du fait des migrations climatiques. Personne n’a pensé, en imaginant la réduction drastique des volumes de nourriture européens, qu’il faudrait, aussi, les alimenter... Laissera-t-on cette tâche, avec une dépendance alimentaire organisée, aux Etats-Unis, au Brésil, ou à la Russie qui se réarme massivement d’un point de vue agricole ? »
Et :
« [Pour] Sébastien Abis, spécialiste de la géopolitique agricole, à la tête du think tank Demeter […] l’attitude stratégique de l’Europe est incompréhensible géopolitiquement. Il pointe le fait que le Moyen-Orient et le Maghreb, climatiquement sinistrés et démographiquement dynamiques, auront bientôt besoin de deux fois plus d’importations qu’il y a trente ans. [...] »
Troisième volet du tryptique, « Paolo de Castro (Parlement européen): "La Commission oublie que nous avons une population à nourrir" » est, comme son titre l'indique, une interview.
M. Paolo de Castro, membre du groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates, est vice-président de la Commission de l'Agriculture et du Développement Rural et fut notamment, par deux fois, Ministre de l’Agriculture en Italie.
En résumé :
« La stratégie Farm to Fork de la Commission européenne "se contente de fixer des objectifs (-50% de pesticides, -20% d’engrais) sans jamais se soucier de la façon dont on y parviendra", déplore l’eurodéputé italien. "Les fermiers européens utilisent ces produits parce qu’ils ont des récoltes à protéger, une population à nourrir." »
Et, en bref, il faudra selon lui expliquer au Parlement Européen les tenants et aboutissants de la stratégie.
Souhaitons lui bon courage et, surtout, bonne chance ! Il y a, par exemple, dans son groupe un Tartarin de l'Aude qui ne partagera sans doute pas son avis et déploiera toute sa capacité de nuisance. « ...une population à nourrir » n'est plus une préoccupation majeure de nombre de « socialistes », contrairement à... enfin voyez les prises de position de M. Éric Andrieu.
M. Paolo de Castro a en effet été titillé sur un sujet connexe :
« Vous aimez dire que l’agriculture a besoin de la science...
Oui. L’Europe doit autoriser les nouvelles technologies de sélection variétales (NBT), qui permettent de produire des plantes résistantes aux maladies, à la sécheresse, plutôt que d’utiliser des pesticides. Ce sont des techniques légères, peu coûteuses, même les petites universités peuvent s’en servir. Pour l’heure, la distinction entre OGM et NBT n’a pas été faite par la Cour européenne de Justice. La Commission a ouvert la porte à une clarification, mais elle n’est pas aidée par l’idée fausse que ce sont de "nouveaux OGM". […] Sans vision globale, nous mangerons chinois. »
L'article de The Fence Post contient un passage entre guillemets dont on ne sait pas s'il rapporte des propos de M. Tom Vilsack ou du COPA-COGECA :
« Nous ne pouvons pas accepter une approche contre-productive du F2F, axée sur les objectifs. Nous avons été frappés cette semaine par le fait que l'agriculture n'a même pas été mentionnée dans le discours sur l'état de l'Union. La Commission doit ouvrir un véritable dialogue avec sa communauté agricole, travailler sur des solutions concrètes si nous espérons trouver des réponses collectives, sur les questions fondamentales de la fuite de carbone, de la souveraineté alimentaire et de la répartition équitable des efforts. »
Nous avons un gros problème à Bruxelles.