Les mathématiques du blé et du pain (republié avec un complément)
Ce texte a été publié une première fois en août 2017. Les données chiffrées ont évidemment changé. Aujourd'hui, à l'augmentation du prix du blé (et donc de la farine) s'ajoute, notamment, celle de l'énergie. Le texte reste cependant d'actualité comme le montre le complément.
La récolte de blé s'achève, une nouvelle campagne de commercialisation commence.
Les consommateurs – dont certains sont experts dans l'art de donner des conseils aux agriculteurs et de définir la politique agricole qui devrait être celle de la France – savent-ils combien ils paient l'agriculteur quand ils achètent une baguette ?
Figurez-vous que trouver les données sur la toile n'est pas chose facile ! On peut raisonnablement supposer que la chose n'intéresse pas grand monde... le coût de nos aliments de base n'est plus un problème sauf pour ceux qui tirent le diable par la queue (et qui ne sont probablement pas de bons « clients » pour l'internet). Mais on peut aussi regretter que la profession agricole ne soit pas plus active.
L'idée de ce billet nous a été donnée par notre ami allemand Willi l'Agriculteur, qui nous a aiguillés vers le site food-monitor, qui a pris ses informations au Rheinischer Landwirtschafts-Verband (RLV – association rhénane de l'agriculture), qui a pris...
Nous prendrons une partie des informations du web pédagogique – en persiflant qu'il ne connaît pas les règles de trois... Mais ne critiquons pas davantage : il s'est penché sur un problème intéressant avec des données et des résultats fort crédibles.
Un kilogramme de blé permet de faire 750 grammes de farine blanche. Ajoutez 450 grammes d'eau, 20 grammes de sel et la levure... de quoi faire en gros 1.200 grammes de pâte, presque 5 baguettes de 250 grammes.
Le Ministère allemand de l'Agriculture et de l'Alimentation indique qu'il faut 850 grammes de blé « du champ » pour produire un kilogramme de pain de froment. Ce qui donne 1,18 kilogrammes de pain pour 1 kilogramme de blé. Les chiffres sont similaires.
Ajoutons que ces 850 grammes correspondent à 17.000 grains de blé. Un grain de blé = 0,05 gramme. En agriculture, on travaille beaucoup avec le poids de 1.000 grains. Ici, c'est 50 grammes (c'est beaucoup – la FAO donne une fourchette de 35 à 50 grammes).
Selon une estimation récente, la récolte française de 2017 se situerait à 70,4 quintaux/hectare, proche de la moyenne quinquennale de 70,9 quintaux/hectare pour 2012-2016 (très impactée par la mauvaise récolte de 2016 ; elle était à 73,9 l'année dernière et évolue normalement autour de 73 quintaux/hectare). Mais il faut bien manger l'année prochaine, donc ressemer. Enlevons 150 kilogrammes pour la semence. Il reste 69,4 quintaux.
Un hectare fournit donc 6940 kilogrammes de blé, soit 34.700 baguettes.
En juin 2017, la tonne de blé était payée en moyenne 148 euros au producteur. Au même prix, l'agriculteur toucherait 1027 euros pour sa nouvelle récolte.
Divisez par 34.700, et cela fait... 0,0296 euro par baguette.
L'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires donne 0,18 euros au kilo de baguette pour le blé (soit 0,045/baguette), mais ce prix inclut les coûts de l'organisme stockeur.
Le site France-inflation donne le prix de la baguette au premier trimestre de 2017 à 0,87 euro, quasi stable depuis 2011/2012. La part de l'agriculteur dans le prix de la baguette est donc de 3,4 %. Le food monitor allemand annonce 4 %.
Il est une autre donnée importante en ces temps d'États Généraux de l'Alimentation : si on doublait le prix payé à l'agriculteur pour son blé, sans répercussion sur les marges des intervenants suivants de la filière, la baguette augmenterait de... 3 centimes.
Avant de sauter sur les cibles favorites de la contestation que sont les intermédiaires, il faut souligner qu'ils ont aussi des frais et des charges. Ainsi, le site boulangerie.net a calculé des salaires et charges salariales équivalant à 53 % du prix de la baguette en 2011.
D'après le site France-inflation, la consommation moyenne de pain serait de 153 grammes par jour. Le Figaro a donné 120 grammes par jour pour 2015. Avec un hectare de blé, l'agriculture fournit donc la consommation annuelle de pain de 198 personnes. Exprimé autrement, il faut 50,5 mètres carrés pour fournir le pain d'un Français.
Bien entendu, si on passe au bio, les données changent. Le rendement était de 29 quintaux/hectare en 2015 ; enlevez 200 kilogrammes pour la semence (il en faut plus en bio), et vous fournissez le pain de 77 personnes seulement ; leur empreinte « pain » passe à 130 mètres carrés/personne, 2,6 fois plus. Qui dit que l'agriculture biologique est respectueuse de l'environnement ?
La récolte de blé de 2021 est évaluée à 73 quintaux/hectare.
Le cours du blé s'établit actuellement à 282 euros la tonne, mais cela ne dit pas grand-chose pour la suite. Le pain qui est fabriqué aujourd'hui est issu d'un blé qui a été vendu par un agriculteur, et une farine qui a été produite, il y a quelque temps à un cours inférieur.
Ces 282 euros la tonne sont un peu moins du double du prix utilisé ci-dessus (148 euros).
Sans refaire l'ensemble des calculs – c'est d'un intérêt limité vu la situation économique très volatile – on peut donc estimer que sur l'augmentation annoncée du prix de la baguette, en gros 3 centimes reviendront à l'agriculteur.
Ce n'est pas beaucoup ? Il y a deux manières de voir les choses.
D'une part, cela représente un doublement de sa part et, si elle est de 10 centimes, en gros un tiers de l'augmentation du prix de la baguette. D'autre part, pour une baguette à 1 euro, cela représentera 6 % de son prix.
D'une part, il y a matière à faire de l'agribashing : les « céréaliers » (la cible préférée des agribasheurs) s'en mettent plein les poches, n'est-il pas ? D'autre part, la rémunération du travail de l'agriculteur reste très minoritaire dans le prix de la baguette.
(Source)
Les Français réalisent-ils le bonheur qu'ils ont d'être nourris par une agriculture performante et, surtout, des agriculteurs performants ?
Comme l'écrit M. Denis Beauchamp dans un superbe fil Twitter à ne pas manquer, « La hausse du coût de l’alimentation est gérable dans des pays comme la France, mais c’est loin d’être le cas partout dans le monde ». D'autres pays risquent de connaître des « émeutes de la faim ».
(Source)
Mais il ne faut pas croire... La campagne de production 2021/22 risque de s'annoncer extrêmement compliquée avec l'augmentation des prix des intrants, et notamment des engrais. Et au-delà, il y a les folies du Green Deal, du Pacte Vert.