Hommage à Samuel Paty et nos profs : Louis Uhlrich (1925-2008)
André Heitz
Voici un an que disparaissait Samuel Paty, assassiné par arme blanche et décapité peu après être sorti de son collège de Conflans-Sainte-Honorine. Son « crime » ? Expliquer les valeurs humanistes, les valeurs de la France (ou dont la France aime à se prévaloir).
Il y a un an ou presque, je lui rendais hommage à travers mon instituteur, Francis Spielmann.
Aujourd'hui, ce sera à travers un des mes professeurs d'histoire-géographie – et d'instruction civique –, Louis Uhlrich.
Me voilà parti à la recherche de sources, histoire de soumettre les éléments de mémoire à l'épreuve des faits. Ce fut difficile, bien plus qu'il y a quelque temps, lorsqu'un brin de nostalgie avait suscité un petit élan de curiosité.
Louis Uhlrich (source)
Je suis donc tombé sur la description d'un itinéraire de promenade/randonnée de découverte du Lac de Michelbach, dans le Haut-Rhin. Quel est le rapport ? Voici :
« LOUIS UHLRICH : natif de Guewenheim, il a été, durant la Seconde Guerre Mondiale, incorporé de force puis prisonnier en Russie. Il fut ensuite professeur d’histoire au lycée Jean-Jacques Henner d’Altkirch (un excellent professeur, je peux en témoigner, il faisait partie de ces profs que tous les élèves adoraient par sa façon d’enseigner, sa gentillesse, sa patience et sa culture), et a occupé de nombreuses fonctions à Masevaux et dans les environs : président du SIVOM de la Vallée de la Doller, conseiller général du Canton de Masevaux de 1956 à 1992, président de la commission des finances et vice-président du Conseil Général du Haut-Rhin, et président-fondateur du Barrage de Michelbach (1968-1985). »
« ...un excellent professeur » ? Je peux en témoigner aussi.
L'enseignement formel n'était pas toujours « formel ». Nous avions ainsi eu à étudier – difficilement – un document du Moyen-Âge sur la vie locale. Étonnant ? Oui, car je parle des années 60.
Et, au-delà de l'enseignement, il y avait l'éveil à la citoyenneté, de manière presque subliminale.
Louis Uhlrich nous avait ainsi fait visiter une laiterie. Pour nous, de la campagne, le circuit du lait s'arrêtait à la boille (en franco-provençal – savoyard si vous voulez – bidon de lait) trempant dans la fraîcheur de l'eau de puits dans l'abreuvoir avant d'être chargée sur le camion aux aurores ; pour les bourgeois d'Altkirch, le lait, ce devait être ce qui était venu de la laiterie. Nous avions aussi visité les installations du journal l'Alsace.
Son intense activité politique a toujours été dissociée de son activité professionnelle. Y contribuait le fait qu'elle se déroulait essentiellement, au niveau local, dans un canton distinct de celui où il enseignait. Mais son éthique lui interdisait toute forme de prosélytisme.
Cette activité ne se dévoilait pour beaucoup de ses élèves que lors des campagnes électorales pour la députation. Son portrait apparaissait alors partout (enfin tant que les affiches n'étaient pas arrachées).
Il se lançait alors, avec constance et conviction, à l'assaut d'un siège qui ne pouvait que lui échapper dans une circonscription tout acquise aux partis gaullistes successifs.
Louis Uhlrich – sans nul doute par conviction – appartenait à la famille du Centre.
C'était aussi le positionnement de nombreux « Malgré-nous », incorporés de force dans l'armée allemande, et de leurs familles : ils pouvaient difficilement se réclamer de ce « patriotisme » que pouvaient afficher les familles qui ont échappé à l'incorporation et ont pu se réfugier dans un prudent attentisme ; ou encore ceux qui pouvaient se prévaloir d'une sorte de fait d'armes dans l'armée allemande (cette dichotomie était très prégnante dans mon village).
Pourtant... Louis Uhlrich avait une jambe raide. Si ma mémoire est meilleure que celle de Google, il avait eu le courage d'inciter ses camarades à cesser le combat, qui était alors manifestement perdu, et un officier jusqu'au-boutiste s'est vengé d'un coup de pistolet.
Louis Uhlrich a œuvré, sans que nous, ses élèves, l'ayons su, pour les « Malgré-nous ». Avec Jean-Luc Eichenlaub, il est l'auteur d'un texte imprimé, « Prisonniers de guerre en Russie pendant la Seconde guerre mondiale : les archives russes sur l'incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans l'armée allemande ».
En 1990, une mission du Conseil général du Haut-Rhin incluant Louis Uhlrich a oeuvré auprès des autorités soviétiques pour permettre l'accès aux archives russes concernant le sort des incorporés de force prisonniers. En 1993, le Conseil général a pu acquérir un répertoire des prisonniers de guerre français dans les camps russes. Depuis le 2 octobre 1995, un arrangement franco-russe permet d'accéder par le canal des Archives départementales du Haut-Rhin aux dossiers des « Malgré-nous » partis vivants d'URSS ou morts en captivité.
Mon père, qui avait échappé de très peu au sinistre camp de Tambow, vouait une grande estime à Louis Uhlrich. La mienne est différente, mais aussi grande.
Nous avions participé à une de ses campagnes électorales, avec affiches, pots de colle et balais. Louis Uhlrich avait évidemment été battu, par 58 contre 42 %. Pierre Weisenhorn, qui allait succéder au vainqueur de la joute électorale en 1973, aurait déclaré : « Si on avait mis un drapeau tricolore au cul d'une vache, elle aurait été élue. »
C'est Louis Uhlrich qui a écrit la notice biographique de « Pierre Paul Émile Weisenhorn », dans le Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne.
Mon vœu : que nos jeunes rencontrent tous dans leur cursus scolaire des Samuel Paty, Francis Spielmann, Louis Uhlrich,...